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La régénération par l’Esprit Saint dans le réveil de la Drôme

La régénération par l’Esprit Saint dans le réveil de la Drôme

Stéphane ZEHR*

Pierre Guelfucci définit ainsi la nature théologique du Réveil : « Tout dans le Réveil – message, manifestation, esprit, but – tient dans le retour impérieux à l’ordre biblique : ‹Sainteté à l’Eternel !› ‹Soyez saints car je suis saint›[1] [1]. » Si le Réveil se veut un retour aux exigences de Dieu, une vocation à la sainteté, cette remise à l’honneur pose immanquablement la question du « comment ».

L’étude historique des Réveils a souligné la centralité de la régénération et de la conversion dans le phénomène de renouveau :

(…) la plupart insistent sur l’autorité stricte de la Bible et la doctrine du sacrifice expiatoire de Christ. L’expérience religieuse est déterminante : la conversion du cœur et la réception émotionnelle de la justification se tiennent dans un rapport de simultanéité avec la régénération, qui devient le moteur de la vie individuelle et communautaire des convertis[2] [2]

Le Réveil de la Drôme (1922-1938 environ), selon le récit qu’en fait Jean Cadier dans Le Matin vient, s’inaugure ainsi par un événement particulier : à la fin du culte, une paroissienne de La Motte se convertit publiquement, entraînant un mouvement collectif de repentance et de consécration. Historiquement et théologiquement, le Réveil, pour la « Brigade », commence par une régénération spirituelle : « Un souffle profond avait accompli des transformations profondes[3] [3]. » La sainteté voulue par Dieu est donnée par Dieu dans un acte miraculeux, celui de la régénération par l’Esprit Saint.

Cette forte association entre la sainteté comme vocation du chrétien et la régénération par le Saint-Esprit était-elle une nouveauté spécifique du Réveil ? La tradition réformée semble avoir sacralisé et approfondi certains lieux de la pensée de Calvin (prédestination, ecclésiologie, alliance de grâce…), mais les commentateurs récents ont relevé l’importance de la régénération dans la composition de l’Institution de la religion chrétienne, notamment. La construction de l’exposé de Calvin fait de son chapitre sur la repentance, « De la pénitence », « une véritable charnière[4] [4] ». Olivier Millet affirme que, « dans une culture où l’homme s’appréhendait et se définissait moralement et spirituellement, plus que jamais, à travers son rapport à cette sainteté, ce chapitre constitue en quelque sorte le cœur de l’Institution[5] [5] ». La doctrine de la régénération tisse donc un lien profond, historique et spirituel, entre Réforme et Réveil, qu’il s’agit d’analyser.

Nous nous demanderons : dans quelle mesure le Réveil de la Drôme a-t-il été une actualisation de la doctrine calvinienne de la régénération par le Saint-Esprit ?

Nous étudierons, dans une première partie, les quatre aspects de la théologie calvinienne de la régénération, et nous verrons comment ils s’expriment dans la théologie du Réveil de la Drôme. Ensuite, nous analyserons les accentuations propres au Réveil et comment il s’approprie ces principes doctrinaux. Nous verrons, ensuite, les « vrais fruits » de la régénération à la lumière de la « crise pentecôtiste » que le Réveil a connue à partir de 1932.

I. « Dieu ne se contente pas de ce que nous sommes » :
le Réveil de la Drôme et les trois aspects de la régénération chez Calvin

1. Un acte de Dieu : la conversion, œuvre du Saint-Esprit 

Le mot d’ordre de la Brigade, alors qu’elle en est à ses débuts (1926), « Dieu ne se contente pas de ce que nous sommes », formule le message d’une transformation radicale nécessaire. La sainteté de Dieu exige une rupture pour que l’homme puisse accéder à la communion et au salut :

Comment parler de sainteté ? Comment moi, homme pécheur, créature souillée, pourrais-je vous dire ce qu’est la sainteté ? Je ne le puis. (…) Ce que je sais, c’est que Dieu est saint et qu’il exige de nous la sainteté. Les hommes ne sont pas saints, et voilà pourquoi il est nécessaire qu’il y ait une conversion [6] [6]

Cette exigence divine se comprend en fonction de la dépravation totale de l’homme enseignée par Calvin. L’homme, exclu de la présence de Dieu par son péché, doit connaître un renouvellement de tout son être pour hériter la vie éternelle :

Soyez renouvellez en vostre ame, et vestez le nouvel homme, lequel est créé selon Dieu en justice et vraye saincteté. (…) Ainsi donc, par ceste regeneration nous sommes de la grace de Christ reparez en la justice de Dieu, de laquelle nous étions décheuz par Adam, comme il plaist à Dieu de restituer en leur entier tous ceux lesquels il adopte en l’Heritage de la vie eternelle[7] [7].

Calvin précise : lors de la conversion, « c’est comme si l’on transformait une pierre en chair[8] [8] ». Ce miracle est un « changement de conseil et de volonté » ; il est avant tout une transformation du cœur qui est le point de départ d’une existence « en nouveauté de vie ». La notion de conversion revêt une importance particulière dans la biographie de Calvin lui-même, qui n’hésite pas à employer le mot pour signifier son adhésion subite (dans sa Préface au Commentaire des Psaumes de 1557) à la doctrine réformatrice :

Il semble que la conversion de Calvin à l’évangélisme réformateur ait répondu comme une libération à une expérience personnelle de l’angoisse devant la culpabilité du péché, à laquelle les rites de la confession et de l’absolution auraient été incapables d’apporter une solution satisfaisante. (…) Aussi bien notre auteur redéfinit-il, en s’appuyant sur la Bible et en s’inspirant de Luther, la pénitence-repentance comme une conversion répondant à la grâce divine, terme par lequel il a ailleurs qualifié son propre choix soudain pour la Réforme[9] [9].

Cet événement fait l’objet d’une découverte aussi existentielle que doctrinale chez les jeunes pasteurs qui deviendront les Brigadiers. Dans son étude sur « Le Saint-Esprit et la sanctification », Henri Eberhard évoque son origine : « Il ne s’agit pas seulement de nos péchés, mais de notre nature de péché. C’est elle qui doit être changée, transmuée en une nouvelle nature qui sera l’œuvre de la grâce de Dieu en nous[10] [10]. » Il s’exprime dans les mêmes termes que Henry Bruston, pour qui la Parole définit la conversion comme « une nouvelle naissance, c’est-à-dire qu’un homme nouveau va germer au sein de l’homme ancien et le repousser[11] [11] ». Intrinsèquement liée à une conscience écrasante du péché et à la repentance, la conversion « nouvelle naissance » ou « pénitence » recouvre, dans les faits, la même réalité : la nécessité d’une intervention de la grâce en faveur de l’homme pécheur et sa réception dans la foi.

Pour la doctrine calviniste, la conversion est due à l’initiative souveraine, exclusive et gracieuse du Saint-Esprit. Autrement dit, l’homme ne peut rien par lui-même pour opérer une quelconque amélioration de sa nature[12] [12]. Cette vérité a d’abord été vécue par le Réveil de la Drôme ; tel que le rapporte Jean Cadier dans le Matin vient – et la construction littéraire est tout à fait révélatrice –, le Réveil est un mouvement essentiellement spontané et mystérieux :

Il ne manquait qu’une chose : l’étincelle, le Feu du Saint Esprit. Soudain, elle jaillit dans le petit temple d’Establet, puis dans les autres sanctuaires de La Motte. L’Esprit divin manifeste sa flamme dans les cœurs. Un souffle nouveau passe dans les cœurs et fait toutes choses nouvelles. Une heure est venue[13] [13]

Elle fut ensuite théorisée selon une ligne identique à celle de Calvin :

Le Saint-Esprit est un Dieu souverain. Il a une volonté qui domine infiniment toutes les volontés humaines. Son œuvre, c’est la grâce et la grâce est toujours en dernier ressort un don que n’influence aucune volonté ni aucun sentiment humain[14] [14].

Réveil et régénération appartiennent donc, dans l’absolu, à la volonté de Dieu seul, et celle-ci s’exprime par un acte souverain, ponctuel, de salut (la conversion), qui inaugure une voie nouvelle de sainteté.

2. Statut et dynamique : une tension redécouverte entre justification et sanctification 

L’intuition théologique principale des Brigadiers les a poussés à une lecture de Calvin novatrice par sa fidélité même : justification et sanctification sont deux conséquences de la conversion, et deux faces indissociables de la régénération. Comme le note Paul Wells :

Calvin traite à la fois de la régénération, de la repentance, de la conversion et de la sanctification (…) de la justification (…). Ce n’est que plus tard que ces différentes parties seront traitées séparément dans les dogmatiques réformées[15] [15]

De même Olivier Millet : « (…) les liens de la pénitence et la justification procèdent de la même source et ne peuvent être distingués qu’intellectuellement[16] [16]. » En effet, dans les écrits du Réveil, la justification par la foi seule sert bel et bien de cadre et d’arrière-plan non négociable à la sainteté[17] [17], mais elle n’est jamais traitée en soi. Au contraire, la justification, en tant que statut, ne peut se comprendre comme un état, c’est-à-dire indépendamment de sa mise en œuvre au travers de la sanctification, qui en manifeste les fruits : « Comme il est impossible de couper Jésus-Christ en morceaux, ces deux réalités, la justification et la sanctification, sont inséparables puisque nous les recevons ensemble et liées en lui[18] [18]. »

La redécouverte de l’unité en tension de ces deux vérités est particulièrement nette pour Gédéon Sabliet qui, dans son exposé « Justification et sanctification », puise abondamment chez Calvin la matière de son autorité : « Si ces deux étapes de notre rédemption sont distinguées dans l’Ecriture, c’est pour que la variété des grâces de Dieu nous apparaisse mieux. Mais elles sont inséparables dans leurs effets[19] [19]. » Tel est le point fondamental où se rencontrent revivalisme et calvinisme : dans la réappropriation, la lecture en palimpseste et la remise à l’honneur d’une même vérité unifiée. La tension entre justification et sanctification est la dynamique de la foi chrétienne, le moteur de la régénération, dont « le but est que l’image de Dieu, qui avoit esté obscurcie et quasi effacée en nous par la transgression d’Adam, soit restaurée[20] [20] ».

D’où l’insistance, chez Calvin comme chez les hommes du Réveil, sur la nécessité de la sanctification dans le processus de régénération. La sanctification et son œuvre de transformation apparaissent comme l’« enseigne » de la justification, la marque de sa réalité : « Et Sainct Paul et Sainct Jehan disent qu’on produise des fruits dignes de repentance, entendantz qu’il faut mener une vie qui monstre et testifie en toutes ses actions, un tel amendement[21] [21]. » Les Brigadiers se réfèrent explicitement à Calvin pour justifier qu’il faille vivre une vie en conformité avec l’exemple christique, notamment dans un numéro du Matin vient au titre significatif, « Réforme et Réveil » :

Pour nous en tenir à l’Institution, nous n’avons pas relevé moins de seize chapitres traitant de la nécessité pour le chrétien de vivre en nouveauté de vie, de la régénération, de la sanctification, alors que huit sont expressément consacrés au sujet de la justification[22] [22].

Le maintien de cette « double grâce » comme de cette « double exigence » explique la force spirituelle du Réveil, refusant une justification qui soit source de négligence morale ou de bonne conscience religieuse : « Tout le message de l’Institution sur la vie chrétienne met en garde les chrétiens contre la peste de se croire arrivés[23] [23]. » La sanctification consiste, pour le réveillé, à devenir par l’Esprit ce qu’il est déjà en Christ[24] [24] ; elle est à la fois un statut et une dynamique.

3. Une relation : l’« union mystique » avec le Christ vivant 

Quelle est la nature de cette sanctification et comment se vit-elle ? Elle se serait muée en moralisme si elle n’avait pas été présentée comme une relation personnelle et vivante avec le Christ ressuscité. Ayant été « enté en Christ » par la foi, le croyant participe de la vie divine et bénéficie des vertus de Christ, lesquelles lui sont communiquées par l’Esprit Saint :

Jésus-Christ ne nous sert à rien tant que nous ne nous unissons pas à lui, par son Esprit, pour qu’il nous dirige. (…) A ce même but répond l’union sacrée, qui nous fait chair de sa chair, os de ses os, c’est-à-dire un avec le Christ. (…) Christ s’unit à nous par son Esprit seul ; par la grâce et la puissance de cet Esprit, il nous fait dépendre de lui et réciproquement, il est à nous[25] [25].

Hors de cette relation, une vie sainte selon les commandements de Dieu est impossible, et l’homme est conduit dans le désespoir, le stoïcisme ou l’hypocrisie. La nouveauté de vie est intrinsèquement associée à la vie du Christ, et cela, le Réveil de la Drôme l’a bien compris :

Nous sommes ici devant le caractère positif, glorieux de la sainteté. Deux expressions résument ce caractère : Christ en nous. Nous en Christ. Entrevoir cela, c’est s’élancer vers la compréhension de la notion biblique de sainteté. Le croyant racheté, justifié, « adopté » qui tend à la sainteté doit vivre en Christ et de même Christ doit vivre en lui. Il y a échange, transfusion de vie, substitution, recréation. « Si quelqu’un est en Christ il est une nouvelle création. » (2Co 5.17)[26] [26]

La régénération et l’octroi de la sainteté ne fonctionnent pas pour autant comme un automatisme mécanique : la dimension relationnelle, « alliancielle », entre l’homme converti et son Seigneur met au cœur de l’union mystique l’amour et l’obéissance. La sainteté n’est pas un état, c’est une présence, et cette présence est, dans une large mesure, conditionnelle. Autrement dit, la participation au Christ se fait selon le chemin qu’il a suivi, dans la mort à soi-même, l’obéissance aux commandements et la foi dans la vie de résurrection, qui en est le moyen[27] [27].

Car si nous sommes vrayement participans de sa mort, par la vertu d’icelle nostre vieil homme est crucifié, et la masse de péché qui réside en nous est mortifiée, à ce que la corruption de nostre premiere nature n’ayt plus de vigueur. Si nous sommes participans de sa resurrection, par icelle nous sommes ressuscitez en nouvelleté de vie, laquelle respond à la Justice de Dieu[28] [28].

La dialectique de la régénération s’exprime au conditionnel (« Si nous sommes vraiment ») et selon les termes de « mortification » et de « vivification », par lesquels l’homme est et demeure en communion avec Christ. Elle implique une lutte quotidienne contre le péché, et conduit, dans le renoncement, à une repentance renouvelée. Calvin, d’ailleurs, développe tous ces aspects dans son chapitre « De la pénitence », ce qui montre bien que l’essence de la régénération tient dans ce mouvement de repentance et de foi qui se poursuit toute la vie :

(…) aussi, d’autre part, après avoir commencé la Penitence, il nous la fault poursuivre toute nostre vie, et ne la laisser jusques à la mort, si nous voulons consister et demeurer en Christ[29] [29].

La mystique calvinienne est une mystique de la croix : « On s’aperçoit que la sainteté est d’abord une mort, une destruction[30] [30]. » C’est dans la mesure où l’homme accepte le dessaisissement de sa nature de péché pour se revêtir de l’homme nouveau, Christ, qu’il authentifie son statut de « régénéré ».

La pensée de Calvin sur la régénération se présente volontairement de manière compacte, en tenant ses différents aspects (repentance, conversion, sanctification, justification, union mystique) dans une interdépendance absolue, nécessaire à son équilibre et à sa pleine vérité. L’analyse montre que, par sa parenté de vues sur la régénération, le Réveil s’inscrit dans la continuité du calvinisme historique. Ce rapport de dépendance filiale s’établit selon deux canaux : actualisation, explicitation.

II. « Dieu n’a pas changé » : les accents du Réveil entre actualisation et explicitation 

1. Actualisation : la parole prophétique du Réveil 

L’union mystique est une relation d’alliance, vivante et personnelle, que la Parole entretient. L’homme n’est pas seul face aux exigences de Dieu ; il est, à la fois, éclairé, soutenu, dirigé et averti par la Parole de Dieu :

(…) cette même Parole qui nous a révélé la sainteté nous en révèle le chemin. Elle nous fait vivre dans la présence et dans la communion du Christ vivant. Elle renouvelle jour après jour notre intimité avec lui en nous faisant entendre sa voix (…) La Bible nous sanctifie parce qu’elle est notre moyen de rencontre avec Jésus-Christ[31] [31].

J. Cadier, on le note, unit et distingue la « Parole » et la « Voix ». La régénération demande une actualisation et une individualisation de la Parole éternelle de Dieu, tout en affirmant la contemporanéité de l’action du Saint-Esprit. Dieu n’a pas changé depuis la Réforme : voilà pourquoi la prédication va jouer un rôle crucial dans le Réveil de la Drôme, notamment dans l’organisation des conventions ; elle sera le moyen de rendre présent le témoignage du Saint-Esprit, de le mettre au centre des préoccupations et de convaincre de leur perdition les hommes qui s’égarent. Tel est le sens du « prophétisme du Réveil » :

Mais ce qui manque, ce sont des prophètes ! (…) des hommes et des femmes que Dieu a pris au mot et qu’il a jetés sur les routes du monde et de l’Eglise pour proclamer à la face de tous Ses exigences saintes (…) dont le message inspiré s’impose aux foules comme aux maîtres de l’heure (…)[32] [32].

Le verbe « s’imposer » soulève immédiatement la question de l’autorité de cette Parole, à savoir, comme le dit Auguste Lecerf, « le droit d’être cru sur parole, obéi au commandement[33] [33] ». Car le prophétisme requiert l’autorité divine pour convaincre et être obéi à salut. Là encore, les Brigadiers soulignent la complémentarité de l’autorité atemporelle du témoignage de la Parole avec celle, immédiate, du Saint-Esprit :

Le Témoignage du Saint-Esprit est direct, personnel. Le Témoignage des Ecritures est objectif, écrit. Le Témoignage du Saint-Esprit est actuel. Le Témoignage des Ecritures a entre deux mille et trois mille ans d’existence. Le Témoignage des Ecritures est stérile cependant si le Témoignage du Saint-Esprit ne nous en fait pas goûter le goût, la saveur, la valeur[34] [34].

La Parole écrite doit être attestée par l’action conjointe et simultanée de l’Esprit pour ne pas être lettre morte, mais autorité qui s’impose et, donc, moyen efficace de la régénération.

Cette tension entre objectivité et subjectivité, éternité et actualité, témoignage interne et témoignage externe fait que la Parole est typiquement, pour le Réveil, un événement[35] [35], une « Révélation-acte » :

La Parole de Dieu est d’une autre dimension que le livre, c’est un Evénement. Un événement divin qui a fait irruption dans le temps, que nous saisissons dans l’histoire. Mais comme il est éternel, parce qu’il est divin, il est contemporain de tous les temps, et vivifie toutes les histoires. De cet événement, la Bible nous donne un témoignage externe. L’Esprit Saint, au contraire, nous en donne un témoignage interne (…)[36] [36].

C’est par cette intervention divine que la Parole est créatrice et que les consciences sont convaincues de justice et de jugement.

Cette prédication, en effet, ne peut jamais être qu’un témoignage d’obéissance à la Parole de Dieu, en sorte que la puissance de l’Esprit puisse confirmer au cœur de celui à qui il s’adresse l’autorité de cette Parole. Celui qui reçoit cette Parole et en qui le Saint-Esprit l’a scellée comme Parole de Dieu sait fort bien, du reste, que le ministre qui la lui a transmise n’a pas parlé de lui-même, mais que Dieu, par son intermédiaire, est vraiment venu jusqu’à lui[37] [37].

La régénération passe par le témoignage de la Parole et de l’Esprit Saint, dont l’action commune miraculeuse « fait parvenir la Parole de vie dans nos cœurs et pour l’éternité[38] [38] », concédant à l’homme l’expérience intérieure qui lui fait reconnaître la Voix de son Seigneur, et l’y enracine. Comme le dit encore Jacques Pannier : « L’Ecriture est l’instrument du Salut dont l’Esprit est le sceau[39] [39]. » Dès lors, la prédication prophétique se donne comme Parole inspirée, accordée au moment opportun car en communion avec le Verbe éternel, conduisant celui qui l’entend à la repentance. Par le témoignage du Saint-Esprit, le Réveil, c’est la Réforme aujourd’hui.

2. Explicitation : le passage du « salut accompli » au « salut appliqué » 

Cette prédication nous fait aborder le point le plus important de la relation entre Réforme et Réveil. Le Réveil est mû par une obsession, celle de la cohérence entre doctrine prêchée et vie vécue. La sentence de Calvin, « ce n’est pas une doctrine de langue que l’Evangile, mais de vie »[40] [40], reprend dans le Réveil toute son urgence. Voilà pourquoi les Brigadiers vont insister, non seulement sur la nécessité d’une sanctification qui soit le corollaire et l’« enseigne » d’une justification bien comprise, mais aussi sur le moyen de cette sanctification. Car le drame du protestantisme endormi et autosatisfait est bien de se contenter de l’objectivité doctrinale de l’œuvre accomplie par Christ à la croix, de professer une croyance (au meilleur des cas) en la victoire acquise en Christ, mais de ne produire aucun changement dans les faits ; la prédication polémique taxera cette attitude dichotomisée de « piété défaitiste » :

Vous connaissez certainement ces chrétiens dont on pourrait dire que leur horloge spirituelle s’est arrêtée à l’heure de leur conversion (…) On dirait que pour eux tout est fini du jour où l’on est sauvé. Etre converti, c’est beau, c’est merveilleux, mais ce n’est pas tout le Salut : après la porte étroite, il y a une vie nouvelle, la vie sainte[41] [41].

Puisque « Dieu a horreur des gens religieux »[42] [42], le rôle organique du Réveil de la Drôme sera d’expliciter le passage du « salut accompli » au « salut appliqué », et de souligner l’unité de l’un et l’autre au travers de la « sanctification par la foi ».

Jean Cadier impute cette découverte à la venue d’Austin Sparks, en 1925, pour la 3e Convention de Dieulefit. Il faut bien comprendre : le Réveil proclame qu’une vie de victoire sur le péché est possible, et que cette victoire ne comprend pas seulement le pardon, mais aussi une délivrance de sa puissance maléfique. L’esclavage du péché se termine objectivement à la nouvelle naissance, mais comme le dit Calvin, « cependant que nous habiterons en ceste prison de notre corps, il nous faudra tousjours et sans cesse combattre avec la corruption de nostre nature[43] [43] ». Pas de perfectionnisme, mais néanmoins des luttes et des victoires. Le processus de la régénération consiste donc à

faire passer dans notre vie la victoire déjà acquise au Calvaire. Une lutte pour triompher de quelque faiblesse peut se perpétuer sans jamais aboutir à la victoire, jusqu’au jour où l’on s’aperçoit que cette victoire est déjà remportée. Nous ne combattons pas pour une victoire, mais dans une victoire. Jésus a dès maintenant l’autorité sur Satan[44] [44].

Les vices invincibles par les efforts ou l’autopersuasion ne sont plus de l’ordre de la fatalité. Pire, être un protestant moral, l’éthique elle-même sont choses dérisoires si elles ne reflètent pas la réalité d’un cœur purifié.

La « sanctification par la foi » consiste donc en une attitude de piété, pratique et résolue : un « acte de foi » par lequel le croyant saisit dans la prière[45] [45], pour lui-même, l’œuvre objective de la croix et la résurrection en Christ :

M. Sparks apporta sur le renoncement à soi-même et la vie en Christ un message qui donna à notre mouvement une direction nouvelle. Pour recevoir la puissance d’en haut, il faut prendre par la foi une position, la position « en Christ » dans la mort à soi et la résurrection avec le Seigneur vivant[46] [46].

« Vie de Victoire », « Vie de Puissance »… Profondément, le Réveil explicite par ces expressions idiomatiques la nature de la foi chez Calvin et fait de l’appropriation toute la différence entre la « simple croyance » – à laquelle tend nécessairement la tradition, même orthodoxe – et la « vraie foi » : « C’est une vérité. Ce n’est pas un morceau de doctrine jeté à la foule. » Ainsi, la régénération consiste à « prendre possession » de cette vérité afin de la vivre pleinement, et de rendre concrets les progrès moraux qu’appelle la sanctification. Contrairement à ce que l’on pourrait penser (ou à la manière dont elle a pu être vécue), cette attitude est l’inverse d’un légalisme. Les Brigadiers opposent clairement les « efforts de la chair » pour « replâtrer la façade »[47] [47] (dont les fruits sont l’orgueil, le désespoir ou l’hypocrisie des religieux) et l’œuvre de transformation gratuite opérée par l’Esprit, conséquence de cet abandon de la foi :

Le regard de la foi, c’est le regard de quelqu’un qui en est arrivé à désespérer de lui-même, de ses chutes répétées, de son impuissance, et qui constate tout à coup la délivrance que Dieu lui donne. La sanctification est un don ![48] [48]

Encore faut-il le recevoir. La prédication du Réveil, dans la droite ligne de Calvin[49] [49], aiguillonne pour le faire. Tant que l’homme manifeste par ses chutes qu’il est esclave d’un péché, la Loi le condamne ; mais c’est, dans cette « position de foi » active, par la communication surnaturelle de l’Esprit, qu’il obtient une liberté effective, du péché, de la condamnation et de la culpabilité.

« Dieu n’a pas changé. » Il exige toujours la sainteté, mais « ce qu’il ordonne, il le donne ». L’« union mystique », en tant qu’alliance, est conditionnelle à cette attitude de cœur : acceptation de la croix et foi active. Mais, dans le même mouvement, l’homme est au bénéfice des vertus obtenues par le Christ par sa résurrection, la « Vie de Victoire ». La piété, dont Christ est le mystère, est le moyen dont l’Esprit se sert, dans sa volonté souveraine, pour effectuer le passage du salut accompli au salut appliqué, changeant la connaissance théorique et désincarnée de Christ en connaissance réelle, par les yeux de la foi.

III. Les « vrais fruits » de la régénération
ou le Saint-Esprit à l’épreuve de la « crise pentecôtiste » 

1. Le pentecôtisme de Satan 

Le Réveil voit sa conception de la régénération interpellée violemment par la l’essor du pentecôtisme. A partir de 1932, le mouvement de Pentecôte, déjà présent sporadiquement sur le territoire français, atteint les paroisses réformées de l’Ardèche, par la prédication du jeune et fougueux Douglas Scott. Bien que son message, l’« Evangile aux quatre angles » (Jésus sauve, Jésus guérit, Jésus baptise, Jésus revient) corresponde à des manques au sein des paroisses réformées (sa prétention à vivre un « évangile total » met en évidence la pauvreté de la vie spirituelle du protestantisme), il pose rapidement aux Brigadiers des problèmes doctrinaux, principalement à propos du « baptême de l’Esprit » et de l’idée d’une bénédiction supérieure dont le signe serait le parler en langues.

Ce qui dérange les Brigadiers est, avant tout, l’intuition d’une confusion, d’une fausse proximité entre les préoccupations et les formulations des deux mouvements. Ils reconnaissent que le pentecôtisme professe un certain nombre de vérités bibliques, notamment la nécessité d’un baptême d’en haut, l’inspiration plénière et le témoignage du Saint-Esprit, et ils avouent même avoir été tentés un temps par le « davantage » de leur expérience[50] [50] :

« Il est dans la vérité quand il affirme l’inspiration plénière (…) Il est dans l’erreur quand (…). »

« Le mouvement de Pentecôte affirme la guérison par la foi. (…) A s’en tenir à la généralité de cette affirmation, nous croyons qu’il est dans la vérité et nous sommes d’accord avec lui (…) L’erreur du mouvement de Pentecôte (…). »[51] [51]

La construction en antithèse de l’argumentation met en évidence l’origine de la réserve : le mélange de vérité et d’erreur. Ce n’est pas parce que le message pentecôtiste est faux qu’il convient de le redouter, c’est parce qu’il donne à certaines affirmations bibliques une signification détournée (vie de l’Esprit, naissance spirituelle…), et qu’il allie dogmes infaillibles et pseudo-vérités dans un ensemble qui flatte les aspirations du cœur humain : sensibilité, puissance extraordinaire, guérison… C’est sur ce front polémique du mélange, typique de la doctrine de séduction, que le Réveil va développer une réaction prophétique : « C’est un mélange de vrai et de faux. C’est un mouvement de l’Antéchrist[52] [52]. »

Ceci nous aidera à comprendre que, dans bien des séductions de Satan, il y a un élément qui semble être, et même qui est réellement, un fruit de l’Esprit de Dieu, et Satan en profite pour avoir l’oreille de ses dupes et pour ruiner l’influence de Dieu. Nous trouvons parfois le pur Evangile de Dieu prêché par des séducteurs du Diable et faisant partie intégrante de leur système[53] [53].

Prise de position qui vaudra aux Cahiers du Matin vient, organe du Réveil de la Drôme, 2000 désabonnements.

Il faut bien comprendre qu’en touchant au cœur de la régénération par le « baptême du Saint-Esprit », le pentecôtisme met le Réveil de la Drôme en danger. Ce danger s’enracine dans une dissociation de la conversion et du don de l’Esprit. La régénération selon Calvin, reprise spontanément par la Brigade, associe indéfectiblement conversion (repentance et changement d’orientation du cœur) et don de l’Esprit (qui par son habitation purifie l’homme de ses péchés, lui donnant désormais la capacité de vouloir le bien et de chercher en Dieu ce qui lui manque) :

Je m’élève ici de toute ma force contre les distinctions trop fréquemment admises entre conversion et expérience de sanctification, entre conversion et baptême de l’Esprit. Je crois que dès le moment où une âme saisit le pardon de ses péchés, elle peut et elle doit entrer pleinement dans le salut complet qui lui est proposé par la grâce divine, elle peut et elle doit saisir aussi par la foi l’affranchissement de ses péchés et le don du Saint-Esprit[54] [54].

A la différence, la « doctrine » pentecôtiste, en dissociant les deux, morcelle la Trinité (l’Esprit est séparé chronologiquement du Fils qui le donne), et la décentre au profit d’une surreprésentation de la troisième Personne. De ce fait, le caractère de la régénération devient flottant, on ne sait plus ce qui la fonde, et il est impossible de vérifier la « christocentricité » de l’expérience qu’elle permet. En théologie aussi, celui qui divise, c’est le diable.

2. Le Saint-Esprit et ses « vrais fruits » 

La validité de l’expérience pentecôtiste va se mesurer, pour la Brigade, à ses fruits dans l’existence chrétienne. Le premier reproche qui lui est adressé, que ce soit dans la mystique de la glossolalie ou dans la guérison divine, est une instrumentalisation du Saint-Esprit : « L’erreur du mouvement de Pentecôte est dans la place qu’il donne à la guérison divine dans ses campagnes d’évangélisation et comme moyen apologétique[55] [55]. » Le vecteur est inversé : ce n’est plus le Saint-Esprit qui se sert de l’homme, c’est l’homme qui se sert du Saint-Esprit, à des fins de prosélytisme. D’où la volonté d’inverser la tendance.

La souveraineté du Saint-Esprit nous empêche aussi de fixer les conditions de sa manifestation en nous en lui traçant, en quelque sorte, son programme et ses étapes dans notre vie. Nous entendons parfois dire que pour avoir reçu le Saint-Esprit, il faut avoir passé par telle expérience ou manifesté tel don particulier. Or l’Esprit distribue ses dons comme il veut. Ce n’est pas à nous de choisir (…) Nous avons au contraire à nous mettre à sa disposition (…)[56] [56].

Le pentecôtisme pèche aussi par sa systématisation de l’œuvre du Saint-Esprit, l’enfermant dans l’automatisme consécutif du geste et de l’effet. Par l’imposition des mains notamment, il lie l’action de l’Esprit à un rite, alors que l’Esprit est, par essence, souverain : « Le don du Saint-Esprit n’est pas lié à une cérémonie extérieure spécialement instituée dans ce sens par Jésus-Christ[57] [57]. » Le magisme attaché à la foi dans une vérité biblique témoigne d’une méconnaissance de la sainteté de Dieu et d’une légèreté coupable : « Nous croyons à la puissance d’intercession. (…) Mais ce domaine est celui de la vie et de la mort (la guérison), et on ne peut s’en approcher qu’avec respect et tremblement[58] [58]. »

Le deuxième reproche est évidement le parler en langues comme marque nécessaire de la régénération. En dehors du fait qu’il a pour conséquence de séparer les croyants en deux catégories, il travestit les « vrais fruits » de l’Esprit, pour reprendre la formule de Jonathan Edwards. Les revivalistes réaffirment, à cette occasion, leurs fondamentaux : l’« enseigne » de la régénération est une vie de sainteté, non pas la multiplication des manifestations surnaturelles :

Il y a beaucoup de gens aujourd’hui qui se prévalent d’un baptême de l’Esprit qu’ils auraient reçu. Ils donnent à entendre qu’ils ont été favorisés : il n’y a personne comme eux. Non. Ce n’est pas là le baptême de l’Esprit. L’authenticité de ce baptême n’est avérée que s’il entraîne après lui une vie de sainteté. L’homme s’en va, le Seigneur vient. Sinon ce n’est pas le Saint-Esprit, c’est un faux baptême[59] [59].

Les Brigadiers « feront leurs choux gras » de l’immoralité et de l’hystérie religieuse prêtée aux initiateurs du pentecôtisme, comme aux réunions de leurs émules, preuve de l’origine douteuse de leur baptême[60] [60].

Plus profondément, le pentecôtisme fait erreur sur les conditions de communion avec Dieu, qu’il place exclusivement sur le terrain de l’expérience. Sa mystique est en continuité avec la nature humaine, d’où sa facilité, sa séduction. Le Réveil de la Drôme centre son « union avec Christ » sur la croix, donc en rupture : « Nous avons toujours voulu rester sur le plan de la prédication de la repentance, du pardon et de la recherche de la sainteté, sans aller vers les manifestations charismatiques[61] [61]. » C’est dans la mort à lui-même, dans le renoncement aux aspirations à la puissance maîtrisée, à cette religion de la main basse sur l’Esprit et d’élévation par l’expérience, que le réveillé demeure en communion avec son Sauveur :

[Dans le pentecôtisme] Il n’est plus question de don de soi pour Dieu et pour les autres, la Croix dont on se charge chaque jour pour suivre le Crucifié, le renoncement à soi-même, l’offrande reconnaissante de sa vie pour Dieu. Le centre est le profit, l’utilisation de la puissance divine pour soi. Le bénéfice remplace le sacrifice. Et si le bénéfice vient à manquer, la foi défaille[62] [62].

Le seul critère défendu par les Brigadiers pour obtenir l’Esprit en plénitude, c’est l’obéissance et la consécration[63] [63]. La faiblesse de l’homme donne alors à Dieu de se manifester dans sa gloire par une force qui s’illustre contre le péché et qui soutient l’homme dans la souffrance, sans garantir la guérison comme un dû.

3. Calvin au secours : l’usage apologétique de l’histoire de la Réforme

La controverse avec le mouvement de Pentecôte illustre un dernier aspect du lien entre calvinisme et revivalisme, celui de l’appropriation, par les Brigadiers, de l’histoire de la Réforme à des fins apologétiques. L’histoire du protestantisme et, en particulier, l’émergence de la Réforme au XVIe siècle, sert, au travers de ses préoccupations, des crises traversées et de ses fronts polémiques, de type-référent pour ses propres enjeux. Par exemple, l’un des Cahiers, consacré à la controverse avec le pentecôtisme, contient un article, « Les enseignements de l’histoire », dans lequel Edouard Champendal établit un lien entre l’expérience pentecôtiste et le montanisme, en passant par l’anabaptisme et le prophétisme cévenol. L’histoire enseigne que les mouvements « spirituels », s’ils n’acceptent pas de se purifier de leur pars diabolica et d’une soif immodérée pour le merveilleux, sombrent « dans le ridicule, ou même dans l’immoralité ». Ce jugement modéré du phénomène en lui-même n’en conduit pas moins à l’adoption d’une attitude ferme de mise à distance : « Nous inspirant des exemples des Spangenberg, des Wesley, des Spener, des Luther, des Saint Paul, nous combattons cette doctrine, fiers d’être aux côtés de cette noble phalange. »

L’étude de Jean Cadier va dans le même sens : « La Réforme devant l’hérésie spiritualiste », qui se termine sur des « Conclusions pour le temps présent ». Le Réveil se rapproprie la Réforme comme modèle et il effectue une transposition des situations permettant d’éclairer la crise présente. Les réformateurs transmettent par leur histoire une sagesse en acte nécessaire et toujours actuelle, car « il n’est rien de nouveau sous le soleil » : l’histoire est faite de constantes spirituelles qui, malgré des mutations de masques en fonction des contextes, n’échappent pas au discernement des « veilleurs ». Mais, surtout, les Brigadiers trouvent, en s’enracinant dans cette lignée de témoins, une légitimité historique et transcendante qui conforte leurs positions. La régénération et ses fruits se lisent aussi à la lumière des compréhensions antérieures : l’histoire de la Réforme, dans la mesure où sa fidélité à la Bible semble avoir été l’objet de l’approbation divine, est une lampe pour le Réveil qui abolit les différences dues au temps.

Conclusion

Il est possible de discerner, à l’intérieur même du Réveil de la Drôme, un certain nombre de nuances dans les sensibilités théologiques, qu’il faudrait affiner. On peut dire, sans trop systématiser, que ce Réveil est pris en tension entre deux pôles, l’un à l’orientation piétiste, incarné par Austin Sparks, et l’autre au calvinisme plus marqué, représenté par Jean Cadier. Cadier lui-même semble tenir le milieu entre le piétisme de Sparks et le calvinisme intellectuel d’un Auguste Lecerf.

Plus précisément, Jean Cadier est celui qui a le mieux intégré l’apport de Sparks en le désengageant de son origine piétiste.

Nous l’avons vu, l’auteur du Matin vient reconnaît que Sparks, en expliquant ce qu’est le véritable « acte de foi », a donné à leur mouvement un nouveau souffle. Les jeunes brigadiers s’épuisaient en de vains efforts pour correspondre eux-mêmes aux exigences divines de sainteté et Sparks les a conduits au vrai combat de la foi. Si le piétisme (ainsi que les « mouvements de sainteté » en général) tend fondamentalement à s’approprier la sainteté, c’est-à-dire à l’accaparer plus qu’à se l’approprier dans la foi, le calvinisme de Cadier maintient que cette sainteté est « en Christ ». Toute la différence entre Sparks et Cadier tient dans cette nuance, qui est une question d’orientation. La tendance naturelle du piétisme est de chercher à ce que la sainteté le satisfasse – ce qui est encore une récupération de la chair – de sorte que sa quête, livrée à elle-même, ne produit qu’inquiétude et fébrilité. Le calvinisme de Cadier ne considère pas la sainteté comme une amélioration de l’homme, mais comme un statut que l’on conserve dans la foi, extérieur à soi, ce qui est libérateur. La sanctification chez Cadier est moins anthropocentrée que chez Sparks, mais de façon légère. Cela n’empêche pas Cadier de reprendre à son compte la notion de foi active et d’appropriation de l’œuvre de la croix qui, dans la mort à soi-même et la confession de la vie de résurrection, concrétise la libération du péché. Il lui donne cependant un autre cadre, une autre base. Je crois, personnellement, que, par ce biais, Cadier a redécouvert la piété de Calvin – passage indispensable du « salut accompli » au « salut appliqué » – en dehors de laquelle il n’est ni Réforme, ni Réveil.

Le Réveil de la Drôme, qui peut aussi être pris comme un ensemble (il s’est voulu comme tel au-delà des nuances), se rattache ainsi, par un lien de filiation revendiqué, au calvinisme historique. Ses accentuations propres, relatives au contexte dans lequel il s’épanouit, n’ont de sens qu’en rapport avec le cadre et l’arrière-plan de la doctrine de Calvin, notamment en ce qui concerne la régénération. Son actualisation au travers de la prédication prophétique et du témoignage du Saint-Esprit, l’explicitation de la foi comme appropriation de l’œuvre objective de Christ et la redécouverte – majeure – de l’insécabilité du couple justification-sanctification se révèlent être un retour aux fondements bien compris de la Réforme. Cependant, on aurait tort d’en déduire que le Réveil de la Drôme est un « Réveil calviniste ». Comme l’écrit Jean Cadier :

C’est ainsi que je suis devenu calviniste sans le savoir, par le dedans en quelque sorte. (…) notre calvinisme était sorti de la pratique même du ministère, de la lecture simple de la Bible, de la prédication, de la prière.

Le Réveil de la Drôme procède d’un « calvinisme spontané », qui se découvre tel au fur et à mesure qu’il s’étend et se réfléchit lui-même, avant de devenir rapidement un « calvinisme argumenté », dans lequel la doctrine calvinienne participe à la défense et à l’affermissement du mouvement. Pour rendre justice à l’ordre des choses, il convient de parler non d’un « Réveil calviniste », mais d’un « Réveil du calvinisme ». Car l’illustre réformateur et ses représentants de l’orthodoxie néocalviniste sont dans les faits étrangers à son impulsion primordiale, même si les Eglises qui servent de théâtre au Réveil sont issues de la tradition qu’il a fait naître. En conclusion, le Réveil est originairement athéologique, bien qu’il ne soit pas sans théologie. Reste à étudier, de plus près, son rapport au renouveau de la théologie calviniste, incarné entre autres par Auguste Lecerf.

Les Brigadiers ont été calvinistes à la manière de Calvin, par un retour à la Parole.


* S. Zehr est étudiant en master à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence, membre de la Mission Timothée et un des responsables de la Librairie Calvin à Alès.

[1] [64]Les Cahiers du Matin vient, 3e année, n° 2, avril-juin 1932.

[2] [65] P. Gisel (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Laurent Gambarotto : « Réveil », PUF/Labor et Fides, Paris/Genève, 2006, 1220.

[3] [66] J. Cadier, Le matin vient, Association des Compagnons pour l’Evangile, Calvisson, 2009.

[4] [67] P. Wells, in Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, mise en français moderne par Marie de Védrines et Paul Wells, avec la collaboration de Sylvain Triqueneaux, Aix-en-Provence/Charols, Kerygma/Excelsis, 2009, 530.

[5] [68] J. Calvin, Institution de la religion chrétienne (1541), tomes I et II, édition critique par Olivier Millet (Textes Littéraires Français 598-599), Genève, Droz, 2009, 715.

[6] [69] H. Bruston, « La conversion », Les Cahiers du Matin vient, n° 2, 3e année, avril-juin 1932, Editions du Matin vient, Dieulefit, 71.

[7] [70] J. Calvin, op. cit., éd. O. Millet, 731.

[8] [71] J. Calvin, op. cit., éd. P. Wells, 239.

[9] [72] J. Calvin, op. cit., éd. O. Millet, 713.

[10] [73] H. Eberhard, « Le Saint-Esprit et la sanctification », in Le Saint-Esprit. Cinq études présentées à la 10e Convention de Dieulefit, Nouvelle Société d’Edition de Toulouse, Dieulefit, 1932, 105.

[11] [74] H. Bruston, op. cit., 66.

[12] [75] « (…) du premier mouvement jusqu’à la persévérance finale, le bien que nous faisons vient entièrement de Dieu. » J. Calvin, op. cit., éd. P. Wells, 239.

[13] [76] J. Cadier, Le Matin vient, Association des Compagnons pour l’Evangile, Calvisson, 2009, 25.

[14] [77] J. Cadier, « Plénitude du Saint-Esprit », in Le Saint-Esprit. Cinq études présentées à la 10e Convention de Dieulefit, Nouvelle Société d’Edition de Toulouse, Dieulefit, 1932, 74.

[15] [78] J. Calvin, op. cit., éd. P. Wells, 530 ; l’homme n’est pas sauvé par les œuvres, mais n’est pas sauvé sans elles.

[16] [79] J. Calvin, op. cit., éd. O. Millet, 819.

[17] [80] « Il faut se rappeler que jusqu’au chapitre 6, l’apôtre a fixé la grande doctrine de la justification par la foi. L’homme déclaré juste (c’est le sens de « justifier » dans le texte grec) par la foi au sacrifice expiatoire du Calvaire est dès lors introduit dans un ordre nouveau, dans un monde inconnu : la sainteté (la justice imputée doit devenir justice réelle). » G. Sabliet, « Justification et sanctification », in Les Cahiers du Matin vient, Réveil et Réforme, nos 1 et 2, 7e année, janvier-juin 1936, 49.

[18] [81] J. Calvin, op. cit., éd. P. Wells, 664.

[19] [82] G. Sabliet, op. cit., 54.

[20] [83] J. Calvin, op. cit., éd. O. Millet, 731.

[21] [84] J. Calvin, ibid., 727.

[22] [85] G. Sabliet, op. cit., 54.

[23] [86] G. Sabliet, ibid., 58.

[24] [87] « La sanctification dès lors est un ‹acte de foi›. Elle est un fait virtuellement accompli. Dieu nous considère à partir de cet acte comme ‹saints›. (…) Mais cette sanctification virtuelle devient effective jour après jour. Tu es saint, deviens-le. » In H. Eberhard, « Le Saint-Esprit et la sanctification », in Le Saint Esprit. Cinq études présentées à la 10e Convention de Dieulefit, 105.

[25] [88] J. Calvin, op. cit., éd. P. Wells, 478-479.

[26] [89] P. Guelfucci, « La sainteté dans le Nouveau Testament », in Les Cahiers du Matin vient, n° 2, 3e année, avril-juin 1932, Editions du Matin vient, Dieulefit, 71.

[27] [90] Les Brigadiers parleront de « sanctification par la foi », nous y reviendrons.

[28] [91] J. Calvin, op. cit., éd. O. Millet, 731.

[29] [92] Ibid., 736.

[30] [93] P. Guelfucci, op. cit., 76.

[31] [94] J. Cadier, « La Bible », in La doctrine du Réveil. Six études présentées à la 7e Convention de Mazamet, Ed. Le Matin vient, Dieulefit, 1929, 109.

[32] [95] E. Champendal, « Le prophétisme dans la Bible », in Le prophétisme du Réveil. Six études présentées à la 8e Convention de Dieulefit, Ed. Le Matin vient, Dieulefit, 1931, 5-6.

[33] [96] P. Caron, « Le Saint-Esprit et la Bible », in Le Saint-Esprit. Cinq études présentées à la 10e Convention de Dieulefit, Nouvelle Société d’Edition de Toulouse, Dieulefit, 1932, 38.

[34] [97] P. Caron, ibid., 43.

[35] [98] Cet aspect est aussi décliné sous le thème de « l’heure », cher aux Brigadiers, mais que nous ne pouvons pas développer ici.

[36] [99] J. Deransart, « Le Témoignage du Saint-Esprit et la Parole de Dieu », in Réforme et Réveil, Les Cahiers du Matin vient, 7e année, nos 1 et 2, janvier-juin 1936, Dieulefit, 25.

[37] [100] J. Deransart, ibid., 25.

[38] [101] J. Deransart, ibid., 23.

[39] [102] J. Pannier, Le témoignage du Saint-Esprit. Essai sur l’histoire du dogme dans la théologie réformée, Fischbacher, Paris, 1893, 197.

[40] [103] J. Calvin, op. cit., éd. O. Millet, 1658.

[41] [104] J. Cruvellier, « La sanctification par la foi », Les Cahiers du Matin vient, 3e année, n° 2, avril-juin 1932, Edition du Matin vient, Dieulefit, 84 ; cette idée fondamentale est reprise par de nombreux Brigadiers sous des formulations différentes.

[42] [105] J. Cadier, Le Matin vient, Association des Compagnons pour l’Evangile, Calvisson, 2009, 29.

[43] [106] J. Calvin, op. cit., éd. O. Millet, 737.

[44] [107] A. Sparks, « Le Saint-Esprit et la croix », in Les Cahiers du Matin vient, 1re année, n° 4, Dieulefit, 1930, 169.

[45] [108] Calvin lui-même le développe dans son chapitre sur la prière, qui, dans l’édition de 1541, achève l’exposé sur les modalités de la participation au Christ.

[46] [109] J. Cadier, op. cit., 81.

[47] [110] Mot d’ordre de la Brigade en 1935 : « Dis à ceux qui la replâtrent, que la façade s’écroulera ! »

[48] [111] J. Cruvellier, op. cit., 86.

[49] [112] « Et combien qu’il nous voie tant stupides, tant il y a qu’il nous exhorte à chercher en lui tout ce qui nous défaut. (…) Voyant notre tardiveté et paresse, il nous pique et nous donne comme des coups d’éperon, afin de nous faire hâter. » In J. Calvin, La famine spirituelle, sermon inédit sur Esaïe 55, éd. et notes Max Engammare, Droz, Genève, 2000, 23 ; cette nécessité de l’appropriation est plus flagrante dans ses sermons, lieu du prophétique par excellence, que dans l’Institution, synthèse théologique plus objective.

[50] [113] « En 1924, la Brigade a été un instant tentée par la voie des guérisons et des exorcismes. Elle a eu la certitude que Dieu l’arrêtait très précisément sur cette voie. » J. Cadier, « D’où vient notre réserve. Remarques sur le mouvement de Pentecôte », Les Cahiers du Matin vient, 3e année, n° 1, janvier-mars 1932, 9.

[51] [114] J. Cadier, ibid., 2-4.

[52] [115] P. Caron, cité par J. Cadier, Le Matin vient, Association des Compagnons pour l’Evangile, Calvisson, 2009, 139.

[53] [116] P. Caron, « Le mouvement de Pentecôte est-il de Dieu ? Remarques sur le mouvement de Pentecôte », Les Cahiers du Matin vient, 3e année, n° 1, janvier-mars 1932, 12.

[54] [117] J. Cadier, op. cit., 97.

[55] [118] J. Cadier, « D’où vient notre réserve. Remarques sur le mouvement de Pentecôte », Les Cahiers du Matin vient, 3e année, n° 1, janvier-mars 1932, 4.

[56] [119] J. Cadier, « Plénitude du Saint-Esprit », Le Saint-Esprit. Cinq études présentées à la 10e Convention de Dieulefit, Nouvelle Société d’Edition de Toulouse, Dieulefit, 1932, 77.

[57] [120] Ibid., 84.

[58] [121] J. Cadier, Le Matin vient, Association des Compagnons pour l’Evangile, Calvisson, 2009, 147.

[59] [122] A. Sparks, « Le Saint-Esprit et la croix », in Les Cahiers du Matin vient, op. cit., p. ???.

[60] [123] Lire à ce sujet P. Caron, « Le mouvement de Pentecôte est-il de Dieu ? », et ses remarques savoureuses « Remarques sur le mouvement de Pentecôte », op. cit.

[61] [124] J. Cadier, Le Matin vient, Association des Compagnons pour l’Evangile, Calvisson, 2009, 153.

[62] [125] Ibid., 145.

[63] [126] « Le livre des Actes n’a jamais donné qu’une seule condition pour recevoir le baptême du Saint-Esprit, c’est l’obéissance : ‹Dieu a donné le Saint-Esprit à ceux qui lui obéissent.› (Actes 5.32) » In J. Cadier, ibid., 142.