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Sommaire N° 265 – 2013/1 – JANVIER 2013 – TOME VXIV

L’anthropologie biblique
et la relation d’aide
dans l’Église

Paul MILLEMANN

 

Sommaire

Introduction [1]

I. Les options déterministes de la relation d’aide [2]

  1. [2]Approches fondées sur une trichotomie rationaliste [3]
  2. [2]La question des passions en anthropologie biblique [4]
  3. [2]Approches fondées sur une trichotomie spiritualiste [5]
  4. [2]La raison et les émotions en anthropologie biblique [6]

II. Les options holistiques de la relation d’aide [2]

  1. [2]Approches fondées sur la globalité de la personne [7]
  2. [2]Distinguer entre personne intérieure et extérieure [8]
  3. [2]Approches fondées sur la transformation du cœur [9]
  4. [2]L’homme, image de Dieu, et la vie nouvelle [10]

III. Les options relationnelles et communautaires [2]

  1. [2]Approches fondées sur les relations familiales [11]
  2. [2]Repères bibliques sur les relations familiales [11]
  3. [2]La communauté comme groupe de croissance spirituelle. [12]
  4. [2]La communauté chrétienne partagée entre groupe et individu [13]

Conclusion [2]

  [2]

[2]Introduction

L’origine, l’existence et le devenir de l’homme sont, depuis l’aube des temps, des questions préoccupantes pour nombre de personnes. En effet, la volonté de comprendre le sens de la vie a suscité des débats aux conclusions très diversifiées selon les arrière-plans des personnes. D’autre part, l’homme, même si son caractère unique est reconnu, doit être observé dans un réseau relationnel qui influe sur son style de vie. Larry Crabb note à ce propos : « La capacité de nouer des relations étroites existe au plus profond de l’homme, qu’il soit chrétien ou non. En effet, l’homme a été créé pour cela[1] [14]. » Les relations avec les autres et avec soi-même provoquent bien des réflexions destinées à appréhender l’être humain dans son essence et son fonctionnement. Ces relations qui, à certains moments, peuvent être bonnes, sont, à d’autres, sources de peine et de souffrance. Comment, alors, faire face à un mal qui est parfois subi douloureusement ? Quelles perspectives existe-t-il au-delà des difficultés relationnelles ? Comment faire face aux difficultés et aux traumatismes de la vie si ce n’est en cherchant de l’aide ou une forme d’accompagnement spécifique ?

Au cours de ces réflexions se sont également posées les questions de l’existence de Dieu et du rapport que l’homme entretient avec lui. Dieu est-il responsable de la souffrance ? S’il ne l’est pas, pourquoi la permet-il ? Très souvent, nos contemporains s’interrogent sur le paradoxe qu’offre un Dieu reconnu comme naturellement bon et la présence du mal dans le monde. Henri Blocher répond à ce sujet : « L’Ecriture rejette, comme calomnie diabolique, comme blasphème, le soupçon que Dieu serait complice du mal : qu’il en hébergerait en son sein le germe, ou, ce qui revient au même, l’incorporerait à ce qui procède de lui. Dieu est bon totalement, radicalement, absolument[2] [15]. » Si Dieu, le créateur du ciel et de la terre, n’est pas l’auteur du mal, pourquoi celui-ci existe-t-il et de quels moyens dispose-t-on pour y faire face ? Comment l’homme peut-il affronter le mal et la souffrance, étrangers à la nature de Dieu, mais bien présents dans sa vie et dans ses relations ? La foi chrétienne a-t-elle quelque chose à répondre ? L’apôtre Paul supplie ses lecteurs d’être réconciliés avec Dieu et de devenir des ambassadeurs ayant en eux ce ministère de réconciliation (selon 2 Corinthiens 5.17-21). Si la réconciliation concerne, en premier lieu, la relation des hommes avec Dieu, elle concerne également celle des hommes entre eux. Les croyants sont appelés, en effet, à témoigner de l’œuvre de Dieu en eux. Etre une personne renouvelée par l’œuvre du salut accomplie par Jésus-Christ n’est pas sans effets sur la manière de vivre ses relations avec les autres comme avec soi-même.

Pour David Powlison, l’accompagnement de la souffrance est modifié de façon radicale, selon qu’il est vécu avec ou sans la présence de Dieu. Il affirme : « Quand Dieu entre en ligne de compte, votre manière de penser à ces notions se modifie : problème, diagnostic, stratégie, solution, utilité, remède, perception et conseiller… Tous ces termes… [relatifs à la relation d’aide] ont, dès lors, une portée différente[3] [16]. » La vie chrétienne se caractérise par une mentalité renouvelée, un changement qui touche l’être intérieur et qui conduit, par voie de conséquence, à des actes nouveaux. C’est donc par une relation renouvelée avec Jésus-Christ, reconnu comme Sauveur et Seigneur, que se développe un processus spécifique d’accompagnement de la souffrance. Cette approche particulière de la santé et de la maladie suscite un changement novateur de perspective et confère une capacité radicalement différente des autres approches. En commentant ce ministère de réconciliation pour lequel les chrétiens sont appelés des ambassadeurs, Paul David Tripp affirme :

Nous voulons examiner quatre approches nous permettant de fonctionner comme des instruments de Dieu pour promouvoir le changement dans la vie d’une personne. (…) Si vous voulez aider des amis, il y a deux choses à considérer. En premier lieu, quoi que vous fassiez, vous devez viser un changement au niveau du cœur[4] [17]. En second lieu, ce que vous faites doit suivre l’exemple du Merveilleux Conseiller. Je voudrais présenter un modèle de ministère personnel, qui doit prendre en considération ces deux aspects. Il se construit sur la manière dont Christ produit le changement dans nos vies et donne un sens à l’appel biblique de changement de nos cœurs. Quatre mots représentent quatre aspects d’un ministère d’ambassadeur dans la vie de quelqu’un. Ces quatre mots sont : aimer, connaître, parler et faire[5] [18].

La « modélisation » de l’être humain s’est construite à partir de présupposés philosophiques qui ont contribué à complexifier de plus en plus la compréhension de la nature humaine. Henri Blocher note : « Dieu est mystère, l’homme en son image est mystère aussi. Un mystère dernier de l’être humain nous humilie, nous avertit, dans la relation d’aide, la cure d’âme, la thérapie, que nous posons les pieds sur une terre sainte…[6] [19] » En fait, les approches de la relation d’aide ressemblent à un labyrinthe comprenant de nombreux méandres dans lesquels il est aisé de se perdre. Parallèlement, on trouve, dans l’histoire de la psychologie, différents courants de pensée correspondant à des approches anthropologiques variées qui ont généré, par la suite, des modèles thérapeutiques très diversifiés. La confrontation des idées dans ce domaine se retrouve dans les fondements théoriques des différentes approches de relation d’aide proposées dans l’Eglise. A ce propos, Walter Barrett et Jef de Vriese notent :

Il est évident que chacun des modèles psychothérapeutiques en usage aujourd’hui se base sur une théorie spécifique. (…) Les représentants des courants psychothérapeutiques discutent beaucoup de leurs différentes présuppositions philosophiques ; celles-ci s’opposent à bien des égards à la conception chrétienne du monde. La différence entre les fondements théoriques des psychothérapies séculières et chrétiennes est énorme. Le débat a permis de conclure que l’image de l’homme que se fait la psychothérapie est loin d’être conforme à celle que nous offre la Bible. Cela implique-t-il qu’il n’est pas possible d’appliquer les techniques psychothérapeutiques à la relation d’aide chrétienne ? Cette question reste entière[7] [20].

Il devient délicat d’avoir une vision claire des approches de la relation d’aide en vigueur dans nos Eglises, tant en matière de formation que de pratique. Dans quelle mesure les présupposés psychologiques dominent-ils sur les fondements bibliques ? Dans quelle mesure la variété des théories sous-tendant les formations n’est-elle pas un obstacle à la mise en œuvre de pratiques de relation d’aide cohérente avec une approche biblique de l’homme, de son fonctionnement et de la souffrance ? Force est de constater que, dans le domaine de la relation d’aide jugée spécifiquement « chrétienne », les offres d’accompagnement ou de formation proposées aux membres et sympathisants de nos Eglises ont des présupposés très différents. Daniel Déjardin dénonce un manque de discernement dans le choix des outils nécessaires à l’accompagnement dans l’Eglise :

On ne peut manquer de s’interroger sur l’attrait qu’exerce la pensée psycho logique sur l’Eglise de notre fin de siècle (…) l’utili sation sauvage de certains concepts hors de leur cadre de référence (en parti culier issus de la psychanalyse), l’affirma tion dogmatique d’hypothèses psycho pathologiques souvent mal interprétées ont produit parallèlement beaucoup de dégâts collectifs et individuels. (…) Si la psychopathologie apporte un éclairage technique concernant les troubles de la personnalité, l’Eglise doit se montrer critique à l’égard de son utili sation et consciente des limites de ses prolongements thérapeutiques[8] [21].

Ainsi, que proposer pour la gestion de la souffrance dans l’Eglise étant donné l’influence sous-jacente de la psychologie présente dans les différents courants de relation d’aide qui y existent ? Ceux-ci offrent-ils une vision de l’homme et des solutions en accord avec l’anthropologie biblique ? Cette question de l’anthropologie biblique n’est-elle pas centrale pour présenter et défendre la foi chrétienne lorsque les Eglises se préoccupent d’accompagner la souffrance ?

Pour esquisser une réponse à ces questions, il nous semble essentiel de prendre l’anthropologie biblique comme source de construction d’une approche de la relation d’aide dans l’Eglise. A ce niveau, la difficulté rencontrée provient de la compréhension de la nature humaine qu’ont les théologiens. Jules Marcel Nicole note en effet :

Depuis les origines du christianisme, les théologiens ont été les uns dichotomistes, c’est-à-dire qu’ils voyaient l’homme composé de deux éléments, le corps et l’âme, les autres trichotomistes, c’est-à-dire qu’ils en distinguaient trois, l’esprit, l’âme et le corps. Toutes sortes de schémas parfois fort ingénieux ont été échafaudés sur ces bases. Les choses ne sont sans doute pas si simples. Sur le plan biblique, il apparaît difficile de découper l’homme en deux ou en trois. On ne dissèque que des cadavres. Un être vivant comprend des éléments fort divers liés les uns aux autres, indissociables, et c’est de leur union que dépend la vie[9] [22].

Le principe anthropologique d’une dualité dans la constitution de l’être humain qui semble acquis, avec d’un côté le corps (qui représente la vie extérieure et matérielle) et de l’autre les émotions, les pensées, le cœur, l’âme et/ou l’esprit (qui représentent la vie intérieure), ne s’oppose pas au fait que l’âme humaine ou le cœur soit marqué, depuis la chute de l’homme, par la souffrance. Si communion et harmonie existaient dans la logique créationnelle de Dieu, la chute de l’homme a fait entrer dans le monde de nombreux maux. Jean-Claude Larchet note, à ce propos, que l’âme humaine est affectée par le péché originel d’Adam, qu’elle connaît la souffrance, la tristesse et la mort spirituelle et que les maux qui en découlent affectent le corps, « [qui] (…) est soumis à la souffrance, à la maladie, à la corruption et finalement la mort[10] [23]. » Les différentes approches de relation d’aide chrétienne mettent toutes un accent particulier sur le changement de la personnalité intérieure accompli par l’œuvre de rédemption de Jésus-Christ ; cela nous semble essentiel pour percevoir la souffrance de l’homme intérieur, dont les effets se traduisent également au niveau de l’être extérieur. C’est sur ce terreau commun que se construisent les différentes approches de relation d’aide chrétienne de nos diverses Eglises locales.

Dès lors, pour déterminer dans quelle mesure l’anthropologie biblique se situe au cœur des différentes approches de relation d’aide dans l’Eglise locale, nous nous proposons, dans le cadre de cette étude, de réfléchir, dans un premier temps, aux options déterministes influant sur les pratiques de relation d’aide. Certaines approches se fondent sur des modélisations de l’homme de type trichotomiste ayant une orientation rationaliste ou spiritualiste. Au sujet de ce fondement d’anthropologie biblique, Henri Blocher précise :

Les partisans d’une division triple ou trichotomie se plaignent qu’on simplifie abusivement les choses en confondant l’âme et l’esprit. Ce sont deux parties en plus du corps ! En fait la trichotomie se présente en deux versions, fort opposées : l’une rationaliste et l’autre irrationaliste. La première (…) fait de l’âme le siège de la sensibilité, des pulsions vitales, des émotions, bien au-dessous de l’esprit raison. Cette conception apparaît dans l’ère platonicienne, surtout dans le néo-platonisme (…) [la seconde] ravale la raison et la volonté dans la partie médiane, l’âme, et fait de l’esprit, partie supérieure, une faculté du divin au-delà de tout raisonnement et de toute délibération[11] [24].

Dans un deuxième temps, nous considérerons les options holistiques de la relation d’aide qui concernent la globalité de la personne d’un point de vue soit moniste, soit dualiste supposant une transformation de la personnalité intérieure (du cœur, des pensées, des émotions, de l’intelligence…) et ayant également un impact visible dans la vie extérieure, les comportements et les attitudes. Enfin, dans un troisième temps, nous nous intéresserons aux options relationnelles et communautaires dans le champ de la relation d’aide pratiquée dans l’Eglise, un accent particulier étant mis sur la prise en considération du réseau relationnel et familial comme source de difficultés chez des membres ou des sympathisants de nos Eglises. Il s’agira de déterminer dans quelle mesure ces difficultés peuvent bloquer ou limiter la croissance spirituelle d’un individu. Nous observerons également l’impact de la communauté chrétienne en tant que source et moyen d’accompagnement face à la gestion des souffrances.

De la confrontation des approches de relation d’aide chrétienne proposées dans l’Eglise avec l’anthropologie biblique, nous espérons dégager des enseignements utiles au développement de l’accompagnement dans l’Eglise, enseignements de nature à la fois pastorale et communautaire. Nous souhaitons, en effet, promouvoir une approche de la relation d’aide qui ait les qualités d’une théorie solidement fondée sur le plan biblique et qui soit réellement applicable, dans la pratique, pour le bien des personnes en souffrance et pour la croissance de nos communautés chrétiennes, à la gloire de Dieu.

I. Les options déterministes de la relation d’aide

L’orientation de notre étude est de tenter de discerner et de comprendre l’anthropologie biblique sous-jacente aux différentes approches de relation d’aide chrétienne. Manfred Engeli note : « Dans la psychothérapie (…) on nous propose des théories qui concernent la nature profonde de l’homme et de son développement psychique, mais à la base de ces modèles, il y a toujours une anthropologie présupposée qui, en général, n’est pas dévoilée explicitement[12] [25]. » Les données d’anthropologie biblique suscitent des débats importants ; il existe aussi certaines conceptions marquées par une tendance assez déterministe, basée sur des principes de causalité. Dans de telles approches, les traumatismes de l’enfance occasionnent, selon certains, des blessures au plus profond de l’âme alors que, pour d’autres, c’est l’esprit de l’être humain qui en est affecté. Il en résulte que la souffrance d’aujourd’hui semble largement induite par ces traumatismes infantiles.

Du point de vue de l’anthropologie, on doit observer qu’une réalité qui sous-tend les textes bibliques est la richesse du vocabulaire employé pour désigner l’être humain et les éléments constitutifs de sa personne. John Cooper souligne : « De nombreux commentateurs ont fait observer que basar, ruah, nephesh et leb sont fréquemment utilisés pour se référer non à des parties spécifiques, mais à la personne entière. (…) La personne entière, et non seulement un moi immatériel, est invitée à se tourner vers Dieu[13] [26]. » Ces différents termes – habituellement traduits, en français, par « chair », « esprit », « âme » et « cœur » – soulignent la richesse des mots employés pour définir la nature de l’homme et les différents éléments qui la constituent. A ceci s’ajoute une difficulté supplémentaire : celle des figures de style employées dans le texte biblique. Ainsi, l’usage fréquent de métonymies tend à élargir le sens donné au mot, la partie du corps envisagée désignant alors l’ensemble du corps. Au vu de ces données, il semble difficile de caractériser, de manière formelle, la nature de l’homme et l’ensemble de ces composants : pourtant, les défenseurs de l’approche trichotomiste insistent sur la nécessité de séparer l’âme de l’esprit en deux entités indépendantes l’une par rapport à l’autre, ainsi que chacune d’entre elles par rapport au corps.

Les options déterministes que nous voulons considérer se fondent, la plupart du temps, sur une optique trichotomiste, qui revêt soit une forme dite rationaliste, soit une forme dite spiritualiste. En raison des différences d’influence qui peuvent exister entre elles, nous avons opté pour une présentation séparée des deux. Nous présenterons, d’abord, la trichotomie rationaliste, pour qui l’âme perturbée par le péché serait le lieu de développement des passions mauvaises ; nous verrons, à la suite, ce que dit l’anthropologie biblique au sujet des passions. Nous considérerons, ensuite, dans quelle mesure le rôle de l’esprit de l’homme est essentiel dans la trichotomie spiritualiste. Nous soulignerons, enfin, ce que l’anthropologie biblique nous apprend au sujet de la raison et des émotions.

1. Approches fondées sur une trichotomie rationaliste

Deux textes sont souvent proposés pour fonder bibliquement l’approche trichotomiste. En présentant cette approche avec les justifications théologiques proposées par ses défenseurs, Henri Blocher souligne : « En faveur de la division tripartite, on cite deux passages d’allure probante. L’apôtre Paul définit l’être tout entier comme ‹l’esprit, l’âme et le corps› (1Th 5.23) et l’épître aux Hébreux mentionne la ‹division de l’âme et de l’esprit›[14] [27]. » Dans cette vision tripartite de l’être humain, la question est de savoir dans quelle mesure l’accompagnement des personnes en souffrance s’adresse à l’âme ou à l’esprit ou concerne la personne dans son ensemble. Pour une approche trichotomiste de type rationaliste, l’âme est présentée selon sa nature passionnée, alors que l’esprit est vu davantage comme l’instance intérieure de l’homme capable de raison et d’intelligence. Dans la relation d’aide chrétienne, fondée sur cette approche rationaliste, l’accompagnement vise à limiter l’expression des passions de l’âme et à valoriser le rôle rationnel de l’esprit. C’est ainsi que le conseiller proposera que les actions de l’homme ne soient pas dominées par telle ou telle passion, mais soumises à la raison.

Cette approche rationaliste est relativement ancienne et se trouve dans l’histoire de l’Eglise. Si la question des passions de l’âme a un certain appui biblique (comme, par exemple, dans les Psaumes), elle a été également conceptualisée dans la philosophie grecque. Evagre le Pontique, un des Pères du désert, disciple de Grégoire de Nazianze et de Basile de Césarée, est probablement l’un des premiers à avoir tenté une synthèse entre les données bibliques sur l’âme et celles que Platon a développées. Antoine Guillaumont souligne :

Evagre définit la « pratique » comme la « méthode spirituelle qui purifie la partie passionnée de l’âme » (…) par cette expression, il faut entendre comme il le dit lui-même dans sa scholie au Psaume 25.2, le thumos et l’épithumia ; c’est-à-dire, l’irascibilité et la concupiscence ; cette terminologie relève de la théorie platonicienne de la tripartition de l’âme, qu’Evagre affirme tenir de celui qu’il appelle « notre sage maître », c’est-à-dire, Grégoire de Nazianze ; conformément à cette théorie, Evagre distingue l’âme en trois parties[15] [28].

Dans une telle approche de l’âme et de ses passions, la recherche de la santé mentale se focalise sur le traitement de l’âme considérée comme malade et, de ce fait, prend une certaine coloration, comme ne manque pas d’ajouter Antoine Guillaumont :

Les passions sont les maladies qui résultent d’un mauvais usage des facultés de l’âme et elles se manifestent par le « trouble » de la partie irascible et l’« inflammation » de la partie concupiscible. La pratikê a pour but de rétablir la santé de l’âme en la libérant, la « purifiant » des passions dont elle souffre ; elle est donc véritablement une thérapeutique, une cure de l’âme…1

Le raccourci qui consiste à faire de l’esprit, ou de l’entendement, la partie « noble » de l’être humain n’est pas loin. Il en découle alors le développement d’un contraste entre le côté rationnel de l’esprit et le côté irrationnel de l’âme passionnée. Cette dernière est alors considérée comme la partie mauvaise, celle qui est dominée par le mal et les passions à cause de la chute de l’homme. Dans l’optique platonicienne, l’âme est aussi formée de trois parties : la puissance végétative ou vitale, la puissance animale qui, elle, comporte deux facultés, à savoir la puissance irascible (agressivité, volonté de combattre) et la puissance concupiscible (émotions, désirs et affectivité) et, enfin, la puissance rationnelle (le propre de l’homme). Platon affirmait en effet : « Enfin, nous sommes venus à bout, quoique avec bien de la peine, de montrer clairement qu’il y a dans l’âme de l’homme trois principes (…)[17] [29]. » Or, dans cette présentation schématique de l’âme, la puissance rationnelle devait dominer les puissances irascibles et concupiscibles, ce qui a réellement influencé l’approche de la souffrance humaine.

Dans cette perspective, l’âme siège des passions et des émotions peut avoir à faire face à des tentations diverses et variées qu’en raison de sa nature passionnée il lui est difficile de maîtriser. Ainsi Jean-Claude Larchet indique : « En détournant de Dieu les différentes facultés de son âme et de son corps et en les orientant vers la réalité sensible pour y rechercher le plaisir, l’homme fait naître en lui les passions (…) encore appelées vices[18] [30]. » L’idée d’une âme passionnée et orientée vers la recherche d’un plaisir égoïste, au détriment de la relation avec Dieu, s’est progressivement construite au cours des premiers siècles de l’histoire de l’Eglise. Un des Pères du désert nommé Evagre le Pontique a regroupé en huit passions génériques toutes les tentations qui assaillent l’être humain. Il indique en effet :

Huit sont en tout les pensées génériques qui comprennent toutes les pensées : la première est celle de la gourmandise, puis vient celle de la fornication, la troisième est celle de l’avarice, la quatrième celle de la tristesse, la cinquième celle de la colère, la sixième celle de l’acédie, la septième celle de la vaine gloire, la huitième celle de l’orgueil. Que toutes ces pensées troublent l’âme ou ne la troublent pas, cela ne dépend pas de nous ; mais qu’elles s’attardent ou ne s’attardent pas, voilà qui dépend de nous[19] [31].

Ces « passions » de l’âme ont été reprises par Jean Cassien et transposées dans le monachisme cénobitique pour devenir des « vices », avant que Grégoire le Grand ne les transforme en sept « péchés » capitaux et ne définisse un système de classement générique de l’ensemble des tentations qui assaillent l’être humain. De l’optique grégorienne est née la volonté d’éradiquer le mal en s’attaquant aux sept péchés capitaux et en prônant le développement des sept vertus.

Une autre manière de lutter contre les maux de l’âme s’est développée en parallèle : elle montre toute l’importance du rôle de l’esprit de l’homme, qui est capable de raison et de dominer les passions de l’âme humaine. Fondé sur des appuis bibliques où l’usage du terme grec nous (traduit généralement par intelligence, pensée ou entendement) est valorisé, un changement d’attribution de la partie rationnelle de l’âme a pu s’opérer vers l’esprit et souligne une dualité entre l’âme passionnée et l’esprit rationnel. C’est ainsi que se développe la trichotomie rationaliste qui fait de l’âme le siège des passions et de l’esprit le siège de la raison, marquant ainsi un clivage radical entre ces deux composantes de l’être humain. Dans les pratiques d’accompagnement, la trichotomie rationaliste est, sans doute, une voie royale pour opposer la raison aux passions. Mais cette perspective va, en définitive, se centrer sur une lutte entre vices et vertus et considérer les comportements ou les attitudes défaillantes de la personne, sans forcément s’intéresser à la racine de ses maux. Le changement préconisé face à la souffrance est un changement superficiel et non en profondeur. Dans la pratique d’accompagnement, le dialogue entre le conseiller et une personne vise à valoriser le rôle de censure de la raison vis-à-vis des passions. Une telle conception a aussi certaines racines dans le stoïcisme.

Jacques Brunschwig note à ce propos :

Ce qui frappe les stoïciens dans la passion, c’est précisément son irrationalité, son imperméabilité à la parole et au raisonnement (qu’il vienne d’autrui ou de soi-même), sa déraison profonde. (…) Lorsque la passion fait sa brèche, c’est le front tout entier de la raison qui est rompu et qui se désagrège, comme celui de la vérité[20] [32].

La trichotomie rationaliste offre comme support à cette dualité fonctionnelle, passion et raison, défendue par les stoïciens, une dualité structurelle entre l’âme et l’esprit humain, éléments constitutifs de la personnalité intérieure opposée à la personnalité extérieure du corps. Il faut également noter que la trichotomie rationaliste trouve des parallèles avec des approches thérapeutiques contemporaines plutôt déterministes, qui voient, ne serait-ce que de façon implicite, dans les passions ou les maladies de l’âme, une conséquence de traumatismes personnels infantiles ; c’est le cas, par exemple, de la psychanalyse freudienne et de ses dérivées. Fondée initialement sur une distinction anthropologique entre la vie consciente et les processus inconscients, l’approche psychanalytique s’est intéressée à la question des traumatismes de l’enfance, refoulés dans l’inconscient, qui sont générateurs de symptômes. Francis Mouhot note :

Le sujet s’opposant à ce que certaines représentations accèdent à sa conscience (elles peuvent se manifester dans les rêves, etc.), le travail de la psychanalyse consiste à en lever le refoulement (…) [Freud] constate que dès que les processus inconscients deviennent conscients, les symptômes disparaissent (…) L’inconscient n’est pas un concept nouveau : le roi David affirmait déjà au Psaume 19 que l’homme commet des fautes sans le savoir[21] [33].

La conception compartimentée de l’appareil psychique et de son fonctionnement selon Freud fait appel à un vocabulaire spécifique[22] [34]. L’activité psychique de l’individu est marquée par la dynamique pulsionnelle, comme le souligne Francis Mouhot :

C’est pour la psychanalyse le moteur de l’activité psychique du sujet. Ce sont des poussées biologiques, des excitations. Cette énergie est difficile à définir, mais ses effets dans la vie de tous les jours sont bien visibles. Les pulsions régies par le principe de plaisir ont pour but de satisfaire le plus rapidement possible les besoins du sujet pour réduire ses tensions internes en ignorant les conséquences, tant pour le sujet que pour les autres[23] [35].

Avec l’emploi du terme « pulsion », nous retrouvons une définition des passions de l’âme humaine présente dans la philosophie grecque et la nécessité qu’il y a de ne pas laisser ces élans dominer la nature humaine, mais de proposer une approche rationalisante selon laquelle la « toute-puissance » passionnée de l’âme doit être placée sous la censure rationnelle de l’esprit humain. C’est là que l’approche psychanalytique offre une relecture de concepts anciens et que les liens avec la trichotomie rationaliste semblent plausibles. Plusieurs approches de relation d’aide chrétienne voient un lien manifeste entre l’éclairage psychanalytique et la pratique de l’accompagnement présente dans leur approche. Sans forcément être explicites sur de tels liens, les accompagnements proposés vont promouvoir une recherche de la compréhension des pulsions humaines pour mieux les réguler. L’idée que toute difficulté est la conséquence d’un traumatisme ancien va inciter à la recherche des causes pour mieux en appréhender les conséquences. Si une explication rationnelle est trouvée, le problème n’en disparaîtra pas pour autant, mais la dynamique intérieure de l’être humain sera perçue de façon effective. L’étude des rêves, des actes manqués et des lapsus constitue, selon Freud, une voie royale d’accès à l’inconscient, comme il l’indique : « La psychanalyse (…) a réussi à établir que chaque symptôme a un sens et se rattache étroitement à la vie psychique du malade. (…) Les symptômes névrotiques ont donc leur sens, tout comme les actes manqués et les rêves[24] [36]. » C’est là que le « surmoi » va exercer son contrôle sur le « ça ». En langage de relation d’aide chrétienne, la transposition effectuée se propose de comprendre les passions de l’âme humaine, de les placer sous le contrôle de la raison et d’éviter qu’elles ne conduisent à des comportements inadaptés. Le conseiller va suggérer implicitement à l’accompagné de ne pas laisser l’âme le contrôler, mais de se placer plutôt sous la dépendance de l’esprit rationnel qui, à sa manière, va adopter une attitude de soumission à la personne de Dieu et à ses commandements. Si nous voyons là une manifestation de la tripartition (« esprit », « âme » et « corps ») de l’être humain, est-il possible de la fonder sur des bases d’anthropologie biblique ?

2. La question des passions en anthropologie biblique

Si nous partons du corps, avec l’observation des comportements selon une mentalité marquée ou non par la vie chrétienne, la théologie de l’apôtre Paul, en particulier dans la lettre aux Galates au chapitre 5, souligne le contraste qui existe entre ce qu’il appelle une marche selon l’Esprit et une marche selon la chair. Richard Longenecker précise :

Les deux listes de vices et de vertus qui sont énoncées en 5.19-23 sont données comme support à la thèse de Paul sur l’antinomie entre chair et esprit en 5.13-18. (…) Et l’énoncé de la thèse de Paul (vv. 13-18), l’enseignement (vv. 19-23) et l’exhortation (vv. 24-26) sont particulièrement pertinents pour les chrétiens d’aujourd’hui, si nous cherchons à savoir plus précisément ce que signifie « vivre par l’Esprit » et ne pas se conformer « à la chair »[25] [37].

Mais la chair est-elle seulement matérielle et physique ou doit-elle être conçue aussi comme immatérielle ? Un examen des données du vocabulaire biblique peut-il aider à faire la part des choses ? La vie matérielle et physique de l’homme est souvent décrite par les mots « corps » ou « chair ». Bruce K. Waltke souligne : « Bāsār (corps, chair) est utilisé 270 fois dans l’Ancien Testament. Ce terme désigne la substance corporelle de la vie de l’être humain ou de l’animal visible et animée. Souvent ce terme renvoie à des parties plus spécifiques du corps[26] [38]. » Pour autant, la synonymie entre « corps » et « chair » ne semble pas forcément totale. Le corps est présenté davantage comme la partie visible de l’être humain, sans qu’il s’y rattache, contrairement à la chair, une connotation péjorative. Le terme « chair » renvoie, selon Hans Walter Wolff, à l’infirmité de l’homme et décrit celui-ci dans sa faiblesse et sa vulnérabilité[27] [39]. La distinction entre « corps » et « chair » est bien plus marquée dans le vocabulaire néotestamentaire, qui comprend les deux termes. Pour l’apôtre Paul, la notion de « chair » va plus loin que simplement la composante physique de l’être humain ; la chair est parfois personnifiée comme principe de vie accomplissant, comme c’est le cas dans l’épître aux Galates, les mauvais désirs. En ce qui concerne l’aspect physique des mots « chair » et « corps », dans le grec du Nouveau Testament comme dans celui de la traduction des Septante (LXX), une distinction existe entre sarx, utilisé pour parler de la chair, et soma pour décrire le corps. La grande différence, au niveau du sens figuré des mots « corps » et « chair », réside dans le fait que le corps est considéré comme normal et que la chair et ses désirs désignent souvent, dans le vocabulaire biblique, le corps sous l’emprise ou sous la domination du mal. Cette différentiation est essentielle dans la mesure où, dans l’optique platonicienne ou même dans l’hérésie gnostique, le corps est perçu comme fondamentalement mauvais. Jean-Claude Larchet souligne :

On est frappé par le fait que, selon le récit biblique de la création, c’est le corps de l’homme qui a été créé en premier par Dieu : « Et Dieu façonna l’homme, poussière prise à la terre, et il souffla sur sa face un souffle de vie et l’homme devint un être vivant (Gn 2.7), la poussière désignant le corps et le souffle de vie l’âme. L’Ecriture contredit ici, par avance, les courants philosophiques (comme le platonisme, le gnosticisme, le néoplatonisme) et religieux (comme le gnosticisme et l’origénisme) qui voient dans le corps une réalité seconde postérieure à l’âme, liée à une dégradation de la réalité ou à une chute de l’âme consécutive à une faute qu’elle aurait commise dans une condition originellement incorporelle. Ce primat accordé par le Créateur Lui-même au corps est l’un des fondements de la valeur éminente que lui reconnaît l’anthropologie biblique que le christianisme a faite sienne[28] [40].

Il apparaît donc que la connotation du « corps » ne représente pas quelque chose de mauvais en soi, contrairement à celle de la chair, qui semble davantage orientée vers le mal. Cette remarque doit cependant être nuancée dans la mesure où l’association entre « chair » et « péché » est très fréquente, mais cette association ne recouvre pas tous les usages du mot « chair », même dans les lettres de Paul. Dans la mesure où la chair représente la nature humaine orientée vers le mal, elle est, sans doute, davantage concernée par la réalité du combat spirituel. Xavier Lacroix note, en effet, que la chair est confrontée à une double dépendance : celle de la vie sensible et animale et celle du souffle de Dieu ; chaque personne est confrontée à la réalité d’un choix entre trois attitudes : l’autosuffisance, l’abandon aux forces de la vie animale ou l’accueil du souffle de Dieu[29] [41]. Si la chair est davantage confrontée à la question du mal et de la souffrance, elle ne peut être limitée à une réalité qui ne concernerait que la vie physique ; elle doit également correspondre à la vie intérieure de l’être humain. Or, dans cette perspective, la frontière semble particulièrement ténue entre la chair et l’âme de l’homme qui, pour certains, était le siège des passions qu’il fallait réorienter vers le bien, la chute de l’homme les ayant détournées de leur vocation première, à savoir l’adoration de Dieu.

Nous voyons déjà, dans les obstacles majeurs que rencontre la conception de la trichotomie rationaliste, le fait que l’anthropologie biblique souligne la distinction « corps » et « chair » et qu’elle oppose « chair » et « esprit ». La notion de « chair » ou de nature humaine corrompue ne trouve pas de place dans la trichotomie rationaliste, si ce n’est peut-être en tant que synonyme d’« âme ». Dans ce contexte, la trichotomie rationaliste établit un clivage âme/esprit assez fort au sein de la vie intérieure de l’homme, par opposition à la vie extérieure qui est associée au rôle du corps. Or, les termes employés dans le vocabulaire biblique des composants de l’être ne permettent pas d’opérer une distinction aussi nette. C’est là peut-être que le rôle de l’esprit est essentiel comme centre de la raison et de la volonté. Les spécificités du rôle de l’esprit de l’homme dans la nature humaine ne peuvent-elles pas nous aider à mieux cerner le point de vue de la trichotomie rationaliste ? C’est sans doute un éclairage qu’il faut rechercher. Pour autant, au-delà de certaines spécificités de l’âme ou de l’esprit, peut-on les concevoir comme deux parties de la nature humaine ou deux expressions qui désignent l’être intérieur, mais selon un autre point de vue ou selon certaines spécificités ?

Le mot hébreu ruah, souvent traduit par « esprit », peut désigner la partie immatérielle de l’homme. Ruah traduit par « esprit » est considéré comme la force vitale de l’homme. Le terme a des correspondances fortes avec nephesh et se présente comme une entité immatérielle. Il peut être traduit par « vent », « esprit », « souffle », « énergie vitale », « sentiment » et « volonté ». Parfois, il n’existe pas de différences marquées entre les deux mots, qui sont alors traduits soit par « âme », soit par « esprit ». En grec, c’est le mot pneuma qui est utilisé pour parler de l’esprit ; son usage est plus fréquent pour parler de l’Esprit de Dieu que de celui de l’homme. Dans son rôle de contrôle des passions et des émotions, il est très tentant d’identifier l’esprit à l’instance de censure de l’âme, comme le postule la théorie freudienne en utilisant le terme de « surmoi », dont les idéaux sont opposés aux pulsions du « ça » et au fonctionnement du « moi ». Francis Mouhot précise : « (…) il y a bien une double distinction à faire entre le moi et une autre instance (l’esprit), entre un inconscient pulsionnel et un inconscient spirituel. Cette hypothèse a un fondement biblique[30] [42]. » Dans cette perspective, le « ça » correspondrait à l’âme humaine dans sa dimension pulsionnelle, alors que le « surmoi » correspondrait à l’esprit de l’homme. Si des liens de synonymie fonctionnelle entre le « moi » défini par Freud et l’âme humaine semblent plausibles à Francis Mouhot[31] [43], rien ne permet pour autant de supposer que le modèle psychanalytique en matière d’anthropologie offre une lecture similaire à celle des données bibliques. S’appuyer sur de tels fondements pour construire une approche de relation d’aide déterministe, qui voit un combat incertain entre vices et vertus, entre âme passionnée et esprit rationnel, nous semble risqué en raison, notamment, de l’absence de clivage marqué entre « âme » et « esprit » dans les données d’anthropologie biblique.

La distinction structurelle (corps, âme, esprit) et fonctionnelle (vie matérielle, vie affective et passionnée, vie rationnelle) de la trichotomie rationaliste néglige un certain nombre d’éléments d’anthropologie biblique en se limitant à trois entités. Si elle offre une certaine modélisation de l’être humain aisément compréhensible, le débat ne peut se résumer à une correspondance entre fonction et structure. La nature humaine et son fonctionnement nous semble bien plus complexe avec les données structurelles complémentaires de la chair, du cœur et de l’entendement, qui sont totalement mises de côté dans l’option de la trichotomie rationaliste. De plus, une limitation des passions par la raison semble difficile à vivre au quotidien. Dans la pratique, nous restons des êtres sensibles et passionnés. Larry Crabb précise : « Soyons certains qu’aucun raisonnement, aussi solide et convaincant qu’il puisse être, n’est assez puissant pour nous faire changer le cours de nos actions… Nous sommes plus passionnés que raisonnables[32] [44]. » « Passions » et « raison » font partie de la nature humaine, elles sont présentes dans l’être intérieur que la Bible appelle le cœur, entité existant tout comme l’âme et l’esprit. Mais la séparation tripartite n’est-elle pas excessive dans ce contexte ? Ne vaudrait-il pas mieux se limiter à une dualité entre la personnalité intérieure (cœur, âme, esprit, entendement, intelligence, pensée) et la personnalité extérieure (corps) ? Si la trichotomie rationaliste n’est pas satisfaisante comme modèle anthropologique pour définir la relation d’aide, la perspective défendue par la trichotomie spiritualiste peut-elle offrir un modèle plus cohérent ?

3. Approches fondées sur une trichotomie spiritualiste

Une seconde approche trichotomiste, qualifiée parfois d’irrationaliste, pourrait être également appelée « spiritualiste » dans la mesure où elle définit l’esprit comme étant une instance purement spirituelle, qui se développerait uniquement chez les personnes renouvelées par l’Esprit de Dieu. Cette position est défendue par le théologien chinois Watchman Nee :

Par son esprit, l’homme est en relation avec le monde spirituel et l’Esprit de Dieu et, par son corps, il est en relation avec le monde extérieur, qu’il affecte et par lequel il est affecté. L’âme se situe entre ces deux mondes, tout en appartenant à l’un et à l’autre. Elle est liée au monde spirituel par l’esprit et au monde matériel par le corps. Il lui faut un intermédiaire et cet intermédiaire est l’âme, qui est produite par le contact entre l’esprit et le corps, les liant l’un à l’autre. L’esprit peut s’assujettir le corps par l’entremise de l’âme, en sorte qu’il obéisse à Dieu ; de même le corps, par l’intermédiaire de l’âme, peut entraîner l’esprit à l’amour du monde[33] [45].

Une telle approche marque également une partition entre « âme », « esprit » et « corps », en attribuant cependant d’autres fonctions spécifiques à l’âme et à l’esprit. L’âme est alors considérée pour ses fonctions associées à l’intelligence, la raison et la volonté, alors que l’esprit correspond à la partie spirituelle de l’être humain. Les défenseurs de cette position font usage du texte de 1 Corinthiens 14.14, qui spécifie que l’intelligence est mise de côté, tandis que l’esprit de l’homme est en action dans la prière en langues. Pour justifier bibliquement la position trichotomiste, les deux autres textes d’Hébreux 4.12 et de 1 Thessaloniciens 5.23 sont également utilisés. A ceci Henri Blocher répond :

Par une curiosité de l’histoire, cette seconde trichotomie si rare s’est largement diffusée dans les groupes évangéliques de langue française au point que certains croyants ignorent qu’il existe d’autres thèses ! Elle ravale la raison et la volonté dans la partie médiane, l’âme, et fait de l’esprit la partie supérieure, une faculté du divin, au-delà de tout raisonnement et de toute délibération. Elle parle volontiers d’intuition, mais ce n’est pas une intuition intellectuelle, comme dans la noésis platonicienne, couronnant le raisonnement, mais une intuition « spirituelle souvent contrastée avec le raisonnement »[34] [46].

Très en vogue dans les courants de la mouvance pentecôtiste charismatique, cette trichotomie spiritualiste oriente largement les pratiques de relation d’aide qu’elle défend, lesquelles se déclinent, parfois, sous la forme de prières de délivrance. L’accompagnement est vu comme une action puissante de l’Esprit de Dieu, libérateur de l’homme, qui vient agir directement sur l’esprit de l’homme par une transformation intérieure. Le conseiller chrétien fait figure de médiateur entre l’Esprit de Dieu et celui de la personne pour encourager la personne à mieux dépendre du Seigneur. Simone Pacot plaide en faveur d’une évangélisation vers les profondeurs de notre être quand elle rapporte :

L’être humain est constitué de trois composantes : l’esprit ou le cœur profond, l’âme ou la psyché, et le corps. L’humain est spirituel, psychique et corporel. Chaque composante n’est qu’une partie de lui-même : il n’est pas non plus uniquement esprit. Il est l’unité des trois composantes et sa tâche va être de retrouver cette unité. Le cœur profond : le centre de notre être, notre noyau le plus intime, le cœur du cœur dont nous parle la Bible, qui n’est pas le sentiment, mais le lieu de la rencontre avec Dieu. La psyché : les émotions, l’affectivité, les sentiments, l’intelligence, l’imagination, toutes nos facultés, notre relation à nous-mêmes, à l’autre. Le corps : tout le plan physique, biologique. Le corps, la psyché, le cœur profond ne sont pas sur le même plan[35] [47].

C’est donc l’intériorité de l’être qui est visée par l’action de Dieu, le lieu d’intimité profond qui doit être touché par l’action de l’Esprit Saint. L’esprit de l’homme est alors invité à entrer en résonance avec l’Esprit Saint, au point parfois de risquer de basculer dans une fusion ou une confusion entre les deux. Le pas suivant pourrait être constitué par une recherche de la part du divin en soi. Dans de telles expériences, la preuve de la présence de Dieu est marquée par une sensation forte de bien-être, qui n’est pas non plus sans rappeler les expériences mystiques ou les états modifiés de conscience, qui peuvent apparaître également dans certaines religions orientales. Le bien-être, associé au ressenti de la présence de Dieu en l’être humain, est volontiers recherché dans ce renouvellement de l’être intérieur, manifesté par une expérience particulière qui ressemble à un accomplissement de soi, comme le note Thierry Huser :

Car s’accomplir, c’est réaliser toutes ses potentialités. L’accomplissement, c’est encore, pour certains, arriver aux frontières de l’humain, avec l’idée associée qu’il faut franchir la frontière pour s’accomplir dans un contact où la distance avec le divin est abolie, d’où la recherche d’expériences extraordinaires ou extatiques[36] [48].

L’esprit en tant que composant de l’être humain n’est pas décrit pour ce qui le caractérise. Il est une sorte d’entité particulière, dont la structure ou la fonction n’est qualifiée que par la définition d’une composante spirituelle, dans laquelle la présence de Dieu est identifiée à un certain ressenti. Dans le souci de clarifier les sentiments et leur impact dans la spiritualité, Henri Blocher affirme : « Il s’agit du ressentiment en moi de ma relation à l’objet connu, ce que j’éprouve comme accompagnement ou assaisonnement de la relation. Le sentiment atteste mon implication. J’y suis. Je suis affecté dans ma propre vie. J’en suis tout remué et à l’action[37] [49]. » Ce qui qualifie l’expérience spirituelle due à l’action de l’Esprit est la dimension du ressenti qui s’exprime. Dans de telles approches de relation d’aide, un conseiller valorise la recherche et le vécu des émotions, comme preuve attestant l’expérience de renouvellement ou de guérison divine. De plus, il est fort probable que, dans une telle approche, l’accompagnement est diversifié en fonction des compétences de l’accompagnant : le médecin soigne le corps, le psychologue l’âme et le pasteur l’esprit, sans qu’aucun lien ne puisse être établi entre les différents intervenants.

Dans une telle approche de renouvellement de l’esprit humain, l’accompagnement pastoral et spirituel semble mettre de côté la raison, au profit d’une recherche émotionnelle confirmant la validité d’une expérience ressentie au plus profond de l’être. Qu’adviendra-t-il si les sentiments ont tendance à s’estomper ? L’être humain ne risque-t-il pas de douter de la présence de Dieu en lui et, par voie de conséquence, d’aller jusqu’à remettre en cause la réalité de son salut ? Les pas qui conduisent dans cette impasse ne sont plus très nombreux à effectuer. La subjectivité du ressenti de la présence de Dieu peut varier au gré des circonstances, en particulier dans les situations difficiles. La personne du Créateur ne peut se réduire à une sensation ou à une impression qui ne serait que passagère. La Bible nous présente un Dieu qui entre en relation avec les hommes. Sans pour autant nier l’œuvre de l’Esprit Saint sur l’être humain, la compréhension de la volonté de Dieu et de son action dans le monde passe aussi par la mise en pratique de la Parole de Dieu. Comprendre la volonté du Créateur pour les hommes suppose une découverte ou une redécouverte quotidienne de la révélation biblique. Frédéric Hammann montre le danger d’une spiritualité fondée sur un ressenti indépendamment d’une prise en considération de la réalité du Dieu qui se révèle dans la Bible quand il affirme :

Parfois, une quête intense de la volonté de Dieu, vécue de manière très distante par rapport à la révélation biblique, suscite diverses pratiques « charismatiques » pouvant aller jusqu’à rappeler les consultations de l’oracle dans le monde antique… Comment encadrer le rôle de la subjectivité de l’individu ? Comment rester dans une démarche que je qualifierai d’intellectuellement consciente ? Là aussi, les interrogations ne manquent pas[38] [50].

Ainsi, une foi qui se limiterait à une perception émotionnelle de la présence et de l’action de Dieu semble bien fragilisée. Il deviendrait alors facile de douter de la grandeur de Dieu et de la réalité de son amour lorsque les circonstances mauvaises nous affectent. La porte ouverte au doute par rapport à la bonté de Dieu est aisée à franchir. Dans son mode de relation avec les hommes, Dieu ne laisse pas de côté leur intelligence ; il s’adresse à l’être humain dans son entier. La fusion entre l’esprit de l’homme et celui de Dieu n’est pas une option biblique, comme le rappelle Peter Jones : « Dans le monde qu’il a créé, Dieu établit les structures qui nous rappellent qu’il ne peut pas être confondu avec les choses qu’il a faites[39] [51]. » La distinction entre le Créateur et la créature est l’un des fondements de la foi chrétienne ; or le risque, avec certaines idées de la trichotomie spiritualiste, est de nier la réalité de cette distinction. L’expérience spirituelle attestée par le débordement du ressenti semble assez irrationnelle, tant elle est marquée par la subjectivité de ce qui est vécu. Au nom de la recherche d’une spiritualité appréhendée par l’émotionnel, la raison, la réflexion et l’intelligence semblent mises de côté au profit d’un vécu qui ne pourrait pas s’estomper rapidement. Il y a là, sans doute, un nouveau déséquilibre qui apparaît dès qu’on prend en considération l’ensemble des données d’anthropologie biblique.

4. La raison et les émotions en anthropologie biblique

La recherche et la promotion d’une expérience émotionnelle de Dieu découlent de cette approche de trichotomie spiritualiste qui valorise le rôle de l’esprit au détriment de ceux de l’âme et du corps. Watchman Nee précise :

La pensée de Dieu, c’est que ce soit l’esprit qui ait la prééminence et dirige notre âme. Mais une fois que l’homme est devenu charnel, son esprit tombe dans la servitude de l’âme. (…) Le péché a tué l’esprit… Le péché a rendu l’âme indépendante. Aussi la vie psychique est-elle devenue une vie d’égoïsme et de volonté propre[40] [52].

Il ne s’agit plus d’une domination des passions de l’âme par les facultés rationnelles de l’esprit comme c’est le cas dans la trichotomie rationaliste. La trichotomie spiritualiste propose une domination de l’intelligence et de la raison, propriétés fondamentales de l’âme, par une expérience spirituelle forte localisée dans l’esprit de l’être humain, partie appelée à être en résonance particulière avec l’être divin. En poussant le raisonnement à l’extrême, la tentation est grande de rechercher une fusion entre l’esprit de l’homme et l’Esprit dans une forme de mysticisme, voire de panthéisme. Il n’y a qu’un pas à faire pour basculer dans une indifférenciation entre l’esprit humain et l’Esprit de Dieu. Les êtres humains sont alors tentés de chercher en eux-mêmes la part du divin qui a été mise de côté ou altérée par le péché et qu’il faut retrouver au plus profond d’eux-mêmes. Peter Jones souligne le danger d’une telle démarche par rapport à la foi chrétienne : « La croyance que les humains sont divins et essentiellement bons explique la quête d’aujourd’hui pour la découverte spirituelle individuelle et l’espoir de pouvoir créer le ciel sur la terre[41] [53]. » Faire des efforts pour retrouver la part du divin en soi est une falsification de l’Evangile ; c’est là, sans doute, un des dangers implicites qui se trouvent dans une approche de relation d’aide basée sur une trichotomie spiritualiste ; il faut en être conscient.

Il est clair que l’Evangile offre une perspective de renouvellement de l’être intérieur, mais cette réalité n’est accessible que dans la mesure où la dimension relationnelle avec un Dieu rempli d’amour est mise en avant. En outre, si la raison ne doit pas dominer la foi, annihiler tout raisonnement ou toute intelligence au profit de l’expérience spirituelle est également risqué. Les pensées et l’intelligence de l’homme jouent donc un rôle essentiel dans la restauration de la personne ; il ne s’agit donc pas de les mettre de côté ou de les anesthésier en les plaçant sous la domination de l’esprit humain, lui-même en contact étroit avec Dieu.

La constitution de l’être humain ne peut pas être aussi formalisée que l’impose la tripartition « corps », « âme » et « esprit ». Dans cette optique, l’absence de positionnement de la chair, du cœur, de l’intelligence et des pensées montre le décalage qui existe entre la radicalité de la tripartition des options trichotomistes et les données de l’anthropologie biblique. D’un côté, les frontières entre l’âme passionnée et la chair ne sont pas aussi formalisées que nous pourrions l’envisager dans une optique séparant de façon radicale ces deux composantes de la nature humaine, même si, comme nous l’avons déjà souligné, la chair renvoie à la vie extérieure et l’âme à la vie intérieure et psychique.

La trichotomie rationaliste ne nous semble donc pas un fondement adéquat pour développer des approches de relation d’aide suffisamment en phase avec les données de l’anthropologie biblique. D’un autre côté, la différence « âme » et « esprit » n’est pas également aussi marquée que semble le proposer la trichotomie spiritualiste. Si l’action de guérison divine concerne la totalité de l’être, est-il nécessaire de maintenir une tripartition de celui-ci ? De plus, ces approches trichotomistes semblent marquées par un déterminisme selon lequel l’homme n’est pas responsable de ses changements, même en partie. Ne peut-on pas envisager de considérer des approches qui envisagent une certaine globalité de la personne ? Une conception holistique, qui fasse honneur à la richesse du vocabulaire et à la globalité de l’être humain en tant que personne, pourrait constituer une voie de réflexion utile face à cette problématique.

II. Les options holistiques de la relation d’aide

Face aux approches trichotomistes et à une certaine ontologie séparatiste qui s’y exprime, un mouvement de balancier invite à considérer l’unité de la personne humaine comme fondement essentiel de toute approche de relation d’aide. En effet, le refus de certains excès du déterminisme, qui limite les possibilités de changement, et la considération de la capacité propre que l’être humain a pour agir et affronter sa souffrance ont contribué au développement d’approches holistiques de l’accompagnement pastoral. Même si les données d’anthropologie biblique, en particulier vétérotestamentaire, plaident en faveur de la globalité de la personne, l’accompagnement proposé peut se fonder sur deux orientations anthropologiques différentes.

Nous allons considérer, en premier lieu, les approches influencées par une vue moniste et voir comment elles gèrent la nécessité anthropologique de séparation de la vie intérieure et de la vie extérieure de l’être humain. Puis, nous considérerons les vues marquées par un certain dualisme dont l’objet est de proposer une action sur l’être intérieur, qui aura aussi une incidence sur la vie extérieure. La question du contraste entre l’être humain « image de Dieu » et la nature pervertie de l’homme sera également examinée.

1. Approches fondées sur la globalité de la personne

A l’opposé des démarches de relation d’aide fondées sur une trichotomie strictement séparatiste et négligeant, par voie de conséquence, la globalité de la personne humaine, se trouvent des approches valorisant l’unité de la personne au point de nier toute distinction ou séparation entre ses éléments constitutifs. L’individu est considéré comme une unité psychosomatique. Les données anthropologiques en faveur de telles approches reposent, à la fois, sur une volonté de réfutation du dualisme platonicien présent dans la culture grecque et sur l’hypothèse vétérotestamentaire de l’importance de l’unité de l’être humain, et cela malgré un vocabulaire diversifié en matière d’anthropologie. En parlant de l’opposition biblique au dualisme, John Cooper précise :

Les recherches bibliques de ces cent dernières années ont produit une énorme quantité de matériel qui porte atteinte à la lecture dualiste platonicienne de l’anthropologie de l’Ancien Testament. Notez les deux emphases principales du platonisme chrétien traditionnel : les êtres humains sont constitués d’un corps matériel avec des besoins physiques et matériel et une substance immatérielle, l’âme avec sa conscience mentale et ses fonctions spirituelles. (…) Par rapport à la seconde – la spiritualité raffinée et la supériorité de la vie après la mort – il n’y a pas de bases réelles[45] [54].

Au-delà de l’antagonisme premier entre trichotomie et dichotomie, s’est développée, ces dernières années, une différenciation entre dualisme holistique et une vue moniste stricte qui défend l’unité psychosomatique, sans distinction de l’être intérieur et de l’être extérieur. Le souci de valoriser la singularité du sujet est, sans doute, pour quelque chose dans cette vue qui accentue l’unité et l’unicité de la personne humaine. C’est ainsi que Jacques Poujol et Cosette Fébrissy soulignent :

L’être humain se définit comme un « animal spirituel », c’est-à-dire comme une créature dont la dimension spirituelle est primordiale dans la construction de l’identité. Cette dimension spirituelle interagit avec les autres instances : somatique, affective, psychologique et sociale. Il n’est pas facile de comprendre ou d’étudier l’être humain en isolant un seul de ses aspects. C’est un être unifié et ces différentes instances qui se rassemblent pour composer une véritable unité. Cette identité se structure à la fois de l’intérieur et sous l’effet d’influences extérieures, de l’environnement[46] [55].

Si la question de la spiritualité n’est pas mise de côté dans ce parcours de vie, la volonté de se démarquer par rapport à un certain déterminisme est une réalité présente dans de telles approches. Le souci de ne pas être entravé par des culpabilités ou par la honte est également manifeste dans cette volonté de cheminer dans les étapes d’un parcours spirituel de croissance individuelle. Ainsi l’être humain semble pleinement capable de se prendre en main, de mettre en œuvre des stratégies de reconstruction.

Cette vision très positive de la nature de l’homme montre la capacité de ce dernier à se réaliser et à s’accomplir en surmontant ses traumatismes ; cela marque une rupture manifeste avec les influences déterministes de Freud. Face à un certain pessimisme induit par l’influence des théories psychanalytiques sur la relation d’aide, nous voyons s’opérer un mouvement de balancier avec une vision optimiste : la capacité de l’être humain à surmonter des traumatismes infantiles, qui ne sont plus compris comme des facteurs invalidants, mais comme des expériences utiles à la croissance sur le chemin de la vie. A titre d’exemple, notons, en particulier, les recherches récentes faites sur la capacité de reconstruire sa vie après un traumatisme – définie sous le terme de résilience – qui ont également remis en cause l’excès de déterminisme psychologique, qui ôtait à l’individu la capacité d’être acteur de sa vie. Boris Cyrulnik souligne :

La résilience, c’est plus que résister, c’est aussi apprendre à vivre. Malheureusement, cela coûte cher… Avant le fracas, on estime que la vie nous est due et le bonheur aussi. Alors, quand l’extase n’arrive pas, on se met en colère. Le fait d’avoir souffert d’une situation extrême, de côtoyer la mort et de l’avoir tuée, fait naître dans l’âme de l’enfant blessé un étrange sentiment de sursis. (…) Il n’y a pas de fracas sans métamorphose. Les grands blessés de l’âme, les gueules cassées de la carence affective, les enfants battus et les adultes écorchés témoignent avec étonnement du développement intime d’une nouvelle philosophie de l’existence. Car l’obligation de comprendre et de demander « pourquoi » entraîne à apprendre et à mieux analyser l’agresseur. Puis le fait de se dire « et maintenant, que vais-je faire avec ma blessure ? » invite à découvrir la partie saine de soi et à partir en quête de la moindre main tendue. Alors se tricote la résilience. Elle n’est pas à rechercher à l’intérieur de la personne, ni dans son entourage, mais entre les deux, parce qu’elle noue sans cesse un devenir intime avec le devenir social[47] [56].

Même si le pessimisme de la psychanalyse freudienne, qui donnait peu d’espoir à la possibilité de changement, est quelque peu altéré par l’espérance suscitée dans les études sur la résilience, il convient de souligner également que, dans l’idée d’un être humain capable de devenir acteur de son changement, se trouve également l’influence du psychologue Carl Rogers. Dans les thérapies séculières, les idées de celui-ci ont opéré un mouvement de balancier par rapport à l’optique de Freud. Dans la mesure où Rogers est considéré comme l’un des concepteurs de la relation d’aide moderne, son influence sur l’accompagnement pastoral est indéniable. Ses idées ont eu un impact certain sur la théologie pratique et la relation d’aide chrétienne[48] [57]. L’opposition qui se trouvait dans les thérapies séculières entre psychanalyse et thérapie existentielle et humaniste[49] [58]. Rogers rappelle :

J’ai vu plus d’une fois parmi mes clients des gens simples acquérir de l’importance et une puissance créatrice dans leur propre sphère au fur et à mesure qu’ils prenaient plus confiance en eux et osaient avoir leurs sentiments propres, vivre selon les valeurs qu’ils découvraient intérieurement et s’exprimer de façon unique et personnelle. En bref, le schéma de mouvement observé chez mes clients semble vouloir dire que l’individu se dispose à être, en toute connaissance de cause, le processus qu’il est véritablement en profondeur. Il renonce à être ce qu’il n’est pas, à être une façade. Il n’essaie pas non plus d’être plus qu’il n’est avec toute l’insécurité et les mécanismes de défense que cela entraîne. Il n’essaie pas d’être moins qu’il n’est, avec les sentiments de culpabilité ou de dépréciation de soi que cela implique. Il est de plus en plus attentif à ce qui se passe dans les profondeurs de son être physiologique et émotif et se trouve de plus en plus enclin à être, avec toujours plus de précision et de profondeur, ce qu’il est véritablement[50] [59].

Avec Rogers, un optimisme thérapeutique commence à se développer. L’être humain est capable de devenir réellement acteur de son changement. L’influence de Rogers sur la relation d’aide chrétienne, aussi appelée cure d’âme, est incontestable, même si Rogers ne souligne pas, dans son approche, l’importance de la relation avec Dieu. Bernard Kaempf précise :

Le souci de Rogers est la santé et le bien-être du patient et non sa relation à Dieu. De ce fait, il met l’accent sur la dimension horizontale de la relation à autrui dans son travail. (…) L’attitude idéale est de renvoyer le client à lui-même, comme un miroir renvoie et réfléchit l’image de quiconque s’y regarde. Ce qui est réfléchi permet au vis-à-vis de réfléchir à son tour, même inconsciemment, sur lui-même, et donc de progresser puisqu’il possède en lui, peut-être à son insu, toutes les ressources nécessaires pour être capable de résoudre lui-même ses problèmes. Ces ressources se cristallisent au cours d’une forme de dialogue, au cours duquel le client se voit refléter, à travers la reformulation de son vis-à-vis, sa propre parole, et où il finira à mieux se connaître, se comprendre et aussi s’accepter soi-même[51] [60].

La dynamique de changement de la personnalité, dans laquelle l’être humain n’est vu qu’en tant qu’unité psychosomatique, le rejet d’une partition de l’humain s’impose de lui-même. Le débat ne consiste plus à savoir quelle partie de l’être est concernée par l’accompagnement, mais plutôt comment permettre à la personne de retrouver certaines potentialités perdues. Dans l’accompagnement spirituel, la tentation devient grande de rechercher en soi une part de l’être divin, qui aurait été altérée par le péché. Dans une certaine mesure, des liens peuvent exister, dans une telle conception, avec la trichotomie spiritualiste[52] [61]. Cependant, le danger avec la volonté de développer la « part divine » de l’humain est de basculer dans une conception panthéiste, voire mystique, de la relation entre l’homme et Dieu. Nous retrouvons ici aussi une dérive similaire à celle qui a été observée dans la trichotomie spiritualiste : le danger lié à l’abolition de toute différence entre le Créateur et la créature. Nous n’y reviendrons pas ici[53] [62].

Une autre difficulté, celle de mettre un accent trop fort sur l’unité de la personne, consiste à considérer l’homme comme naturellement bon. Cette notion se retrouve également dans la pensée de Carl Rogers, quand il écrit :

La nature fondamentale de l’être humain, quand il fonctionne librement, est constructive et digne de confiance. C’est pour moi la conclusion inéluctable d’un quart de siècle d’expérience en psychothérapie. Quand nous réussissons à libérer l’individu de ses attitudes de défense, de façon à ce qu’il s’ouvre au vaste éventail des exigences du milieu et de la société, on peut faire confiance à ses réactions : elles seront positives, dynamiques, constructives[54] [63].

Un tel postulat, la bonté de la nature humaine, soulève des difficultés théologiques manifestes dans la mesure où il se situe en décalage avec la question de la corruption de l’humanité à la suite du péché originel. Selon les affirmations de Genèse 1.26, 31, l’homme, qui a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu de même que tout ce que Dieu a créé, est bon. Malheureusement, la chute et l’entrée du péché dans le monde ont modifié cette réalité. Henri Blocher note que :

La doctrine classique de la dépravité totale énonce que la corruption dégrade tout l’humain et l’incline au mal. Parce que l’homme est une unité, parce que la relation à Dieu est pour lui constituante, parce qu’il n’y a aucune neutralité possible entre le bien et le mal, il est impossible que la rupture d’avec Dieu n’affecte pas la totalité de l’être humain et de ses actes[55] [64].

Or, la question de l’image de Dieu pour l’homme est un aspect important en matière d’anthropologie biblique. Que reste-t-il de l’image de Dieu après la chute qui affecte l’être humain en son entier ? De même, le renouvellement de la nature humaine par la rédemption accomplie en Jésus-Christ a-t-il des effets immédiats sur la totalité de l’être humain ? La régénération est incontestablement une œuvre de transformation intérieure de l’être humain – elle a des effets indéniables sur la vie physique et matérielle, la destinée humaine du chrétien avec un corps qui se dégrade pour aller jusqu’à la mort et une personnalité intérieure destinée à la vie éternelle, avec la promesse d’un nouveau corps incorruptible – qui remet également en question la vue moniste de l’être humain et plaide en faveur d’une certaine dualité entre personnalité extérieure et personnalité intérieure. Si l’unité de la personne humaine n’est pas à mettre en doute, il semble toutefois utile, face à la vue moniste défendant une « unité stricte », de considérer la nécessité d’une différenciation entre les éléments constitutifs de la nature humaine sous la forme d’un dualisme holistique. Les questions relatives à la mort et à la vie après la mort ont enrichi le débat en posant la question du devenir du corps terrestre[56] [65]. Michel Johner souligne :

Jusque dans l’espérance de l’au-delà et de la résurrection qui est le point focal de la foi chrétienne (cf. 1 Corinthiens 15.13-14), il s’agit d’une résurrection corporelle, une corporalité transfigurée, certes, et glorifiée (cf. 1 Corinthiens 15.39-49), mais une corporalité tout de même. A aucun moment de son parcours, l’homme, tel que Dieu le perçoit, n’est un esprit désincarné ; ou n’a d’existence indépendamment du corps qui en est l’incarnation[57] [66].

La prise en considération de la globalité de ces données anthropologiques nous invite à plaider en faveur d’une différenciation entre la personne extérieure et la personne intérieure.

2. Distinguer les personnes extérieure et intérieure

Si l’être humain doit être considéré comme une personne à part entière, la distinction entre la vie physique et matérielle – représentée par le corps – et la vie intérieure mentale et spirituelle – représentée par l’âme, l’esprit, le cœur et l’entendement – semble difficile à remettre en cause. Mais l’opposition entre la dualité et l’unité de l’être humain reste une difficulté importante en anthropologie biblique. Pierre Berthoud note à ce propos :

Les études relatives à l’anthropologie biblique ont fortement souligné ces dernières années l’unité de l’homme, son unité « psycho-physique ». Elles ont réagi contre toute idée de dualité… Ainsi l’homme n’a pas un corps, il est un corps. Il est nécessaire de réaffirmer cet aspect de l’enseignement biblique. On évite ainsi la notion de l’immortalité de l’âme, telle que nous la présente par exemple l’animisme ou la pensée platonicienne. Mais il existe un autre piège dans lequel il ne faut pas se laisser prendre. Celui de la mentalité moderne qui réduit l’homme à une dimension purement horizontale. Il est essentiel de maintenir un équilibre entre l’unité et la dualité dans la nature de l’homme. Car la dualité est elle aussi présente dans les récits de la Genèse. (…) la mentalité biblique affirme la dimension verticale de l’homme. C’est un être spirituel capable de vivre une relation consciente avec Dieu, qui transcende son corps, sans dévaloriser ce dernier pour autant[58] [67].

La justification de la dualité de l’être humain s’appuie également sur la distinction faite entre l’âme et le corps. L’âme humaine a été l’objet de nombreux intérêts tant dans le domaine philosophique que dans les questions d’anthropologie biblique. Souvent présentée pour désigner la vie intérieure et immatérielle de l’homme, l’âme, bien que différente du corps, est en interaction avec ce dernier, comme le note Jean-Claude Larchet : « … l’âme est d’une nature différente du corps, étant incorporelle, (…) c’est l’âme qui donne la vie au corps, c’est à elle que celui-ci doit son organisation ; c’est elle qui régit son activité et maintient son unité[59] [68]. »

Dans l’Ancien Testament, le terme hébreu nepes, traduit habituellement par « âme », prend plusieurs sens et désigne, à la fois, la vie intérieure de l’homme. Mais le sens du mot en hébreu est plus développé que celui qui correspond à la vie intérieure de l’homme. Les différentes traductions de nepes peuvent désigner la gorge, la nuque, le désir, l’âme, la vie et la personne. Le terme représente la vie intérieure de l’homme en relation avec la vie extérieure. Le mot utilisé dans le grec du Nouveau Testament est psychê. Or, comme nous avons pu le souligner, les principaux éléments constitutifs de l’être humain sont le corps, la chair, l’âme, l’esprit, le cœur, les pensées et l’intelligence. Les frontières entre l’âme, le cœur et l’esprit, à savoir les trois mots qui reviennent le plus souvent dans l’Ancien Testament pour parler de la vie intérieure, sont très réduites[60] [69]. Si l’option trichotomiste que nous avons évoquée précédemment soulève des difficultés, peut-on pour autant retenir l’option d’une dualité entre vie intérieure et vie extérieure ou faut-il en rester à une vue holistique qui fait de l’être humain une personne unique ? La réponse à cette question semble bien difficile à trouver. Emile Nicole précise dans son analyse des données vétérotestamentaires :

(…) il paraît excessif de conclure que l’Ancien Testament enseigne la dualité du corps et de l’âme. Il y renvoie cependant de manière indéniable en portant une attention soutenue et privilégiée à l’intériorité de la personne humaine, siège de l’élan spirituel, qui porte l’être humain vers Dieu (Psaumes), mais aussi du désir mauvais qui l’éloigne de Dieu. On comprend que le sage exhorte à garder cette intériorité, ce cœur plus que toute autre chose (Pr 4.23)…[61] [70]

Nous devons également souligner que la compréhension d’une dualité entre « corps » et « âme » ou « corps » et « esprit » peut être appréhendée à partir des textes néotestamentaires qui font référence à la vie après la mort et à la résurrection finale. Jacques Buchhold note :

Le renouvellement de notre intelligence, dont parle Romains 12.2, est le renouvellement d’une vraie intériorité, distincte du corps avec lequel elle « fait système ». C’est pourquoi, « même chez nous l’homme extérieur dépérit, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour (2Co 4.16) et cet homme intérieur renouvelé ne se dissoudra pas avec l’homme extérieur lors de la mort. Il y a quelque chose de nous-mêmes – auquel l’Esprit de Dieu témoigne (Rm 8.16), dans lequel l’Esprit gémit et par lequel nous gémissons nous-mêmes dans l’attente de la libération de la mort (Rm 8.23-26) et que l’Esprit fortifie en y suscitant le discernement (Col 1.9, 11) qui ne se réduit pas à notre corps[62] [71].

Si la vision holistique de la personne humaine reste une donnée essentielle, la dualité[63] [72] entre vie extérieure et vie intérieure de l’être humain est pleinement envisageable. La richesse du vocabulaire d’anthropologie biblique, dont nous venons d’esquisser quelques traits, nous invite à considérer les différents mots : corps, chair, âme, esprit, cœur, pensée et intelligence en fonction de leurs sens respectifs, du contexte dans lequel ils apparaissent et de leur polysémie. Et si nous retenons l’idée d’une séparation entre vie extérieure et vie intérieure, l’action de Dieu qui touche l’ensemble de la personne humaine se traduit par un renouvellement de l’être intérieur. C’est à ce niveau que le Saint-Esprit agit pour inviter chacun à revenir à Dieu et à comprendre toutes les implications du plan du salut annoncé et réalisé par Jésus-Christ, Seigneur et Sauveur, à la gloire de Dieu le Père. Un tel renouvellement de l’être intérieur n’est-il pas justement la clé nécessaire pour comprendre l’accompagnement de la souffrance ? C’est ce que postulent d’autres approches fondées sur la transformation du cœur.

3. Approches fondées sur la transformation du cœur

Le mot « cœur » est un terme récurent en anthropologie biblique. Pour Bruce Waltke, « il revient 853 fois dans l’Ancien Testament[64] [73] ». Cet auteur souligne également que le cœur dans l’Ancien Testament recoupe non seulement des fonctions corporelles (vie physique), des fonctions psychologiques (interactions entre l’intellect, la sensibilité et la volonté) et des fonctions spirituelles avant de conclure que : « Le cœur est le centre de toute les activités émotionnelles, intellectuelles, religieuses et morales. (…) Seul, Dieu peut libérer le cœur de l’esclavage du péché[65] [74]. » Le cœur correspond donc au siège des pensées et de l’intelligence de l’homme ; n’est-ce pas justement à son niveau que la guérison intérieure de l’homme peut s’envisager ? Si des textes comme Romains 12.2, 2 Corinthiens 10.3-5 ou Philippiens 4.8 insistent sur l’importance du renouvellement des pensées, c’est probablement parce que celui-ci constitue un indice clair du changement de cœur ou de mentalité de la personne, qui progresse sur le chemin de la foi. Selon David Powlison, c’est à ce niveau que se situe l’action de transformation des hommes entreprise par Jésus, dans son œuvre tant de prédicateur que d’accompagnant spirituel. Il affirme au sujet de l’action de Jésus-Christ : « Il présente les choses d’une façon qui touche le cœur des personnes. Il fait émerger les questions, les réactions, les pensées, les expériences, les difficultés, les motivations, les zones d’ombre, les circonstances et les espoirs[66] [75]. » Les défenseurs d’une approche de relation d’aide fondée sur la transformation du cœur mettent un accent particulier sur l’œuvre du salut et sur ses effets de transformation dans la vie du croyant. John MacArthur et Wayne Mack soulignent au sujet du rôle du conseiller chrétien impliqué dans une telle approche de l’accompagnement pastoral et spirituel :

Le vrai conseiller chrétien doit effectuer un travail sur l’âme, dans le royaume des choses profondes de la Parole et de l’Esprit, sans se perdre dans les travers d’une simple modification de comportement. Pourquoi les chrétiens choisissent-ils de vivre une modification de comportement quand ils peuvent disposer des outils pour une transformation spirituelle (tel un chirurgien faisant des ravages avec un couteau à beurre au lieu d’utiliser un scalpel) ?[67] [76]

Il importe donc, dans une telle perspective de changement intérieur, de promouvoir une démarche d’accompagnement articulée à la fois sur des fondements bibliques solides et, dans le même temps, compréhensibles pour l’accompagnant et l’accompagné, démarche réaliste et réalisable de façon pratique pour faire face à la souffrance. Une telle approche de relation d’aide se différencie de celle qui est fondée sur la trichotomie comme de celle qui est fondée sur l’unité psychosomatique stricte dans la mesure où celle-ci prône un dualisme holistique. Deux approches de relation d’aide chrétienne visant la transformation du cœur nous semblent particulièrement intéressantes à considérer à ce stade de cette étude. Chacune d’entre elles s’est développée dans la lignée des travaux de Jay Adams, un des précurseurs du Biblical Counseling Movement[68] [77].

La première approche d’accompagnement vise la transformation du cœur et se traduit par des changements concrets à la fois dans l’être intérieur et dans la vie extérieure. Paul David Tripp, par exemple, note que :

Quatre mots représentent quatre aspects d’un ministère d’ambassadeur dans la vie de quelqu’un. Ces quatre mots sont : aimer, connaître, parler et faire. Ces mots ne représentent pas un processus en quatre étapes, comme si vous démarriez à la première (aimer) et vous poussiez la personne jusqu’à la dernière (faire). Ils sont simplement quatre éléments d’un ministère biblique. Bien qu’il existe une certaine logique dans cet ordre, vous allez accomplir chacune de ces choses simultanément, comme si vous cherchiez à être ambassadeur du Seigneur[69] [78].

Pour Paul David Tripp, le fondement de l’approche d’accompagnement pastoral et spirituel, c’est l’amour de Christ manifesté aux hommes. Nos relations doivent être marquées par l’activité rédemptrice de Christ. Ainsi, dans son optique, il s’agit, pour « aimer la personne »[70] [79], de construire de nouvelles relations en entrant dans le monde des personnes. Reconnaître les portes d’entrée relationnelles que nous donne la personne en souffrance suppose d’écouter l’expression de ses émotions, d’écouter la manière dont elle interprète les choses, d’écouter ce qu’elle dit d’elle-même et au sujet de Dieu. Pour aimer la personne, il faut veiller à lui montrer que vous avez compris ses luttes et que Dieu n’est pas sourd face à ses combats. Vous pouvez lui montrer que vous restez à ses côtés et que vous l’accompagnez dans ses difficultés. Aimer la personne suppose une certaine identification à ses souffrances. Je ne peux pas « souffrir à la place de… », mais je « peux souffrir avec… » et reconnaître les raisons légitimes qui sous-tendent la souffrance. Nous retrouvons ici toute la réalité de la compassion et du respect qui doivent être témoignés à l’égard de la personne souffrante.

En deuxième lieu, selon Paul David Tripp[71] [80], pour apprendre à connaître les personnes, il faut aller au-delà des apparences qui sont trompeuses. Nous avons trop souvent le sentiment que nous nous battons seuls face à notre problème. Jésus-Christ est appelé le merveilleux conseiller. Il accueille les personnes avec leurs souffrances. Chaque conseiller doit veiller à ne pas se tromper dans ses présupposés ou ses images de départ et s’assurer que les conclusions sont correctes. Pour cela, il est possible de demander aux personnes de définir, dans leurs propres mots, ce qu’elles vivent (Quoi ?), de leur permettre de clarifier ce qu’elles pensent avec des exemples de la vie quotidienne (Comment ?) et de leur demander d’expliquer pourquoi elles répondent comme elles le font dans leurs exemples (Pourquoi ?). L’accompagnement développe un questionnement adapté aux situations des personnes.

Le troisième axe pour Paul David Tripp suppose de parler en vérité et dans l’amour[72] [81]. La Bible montre l’importance qu’il y a à parler en vérité, mais aussi dans l’amour. Il est manifeste que le vrai changement commence dans le cœur du conseiller avant tout ! Il faut considérer les choses à leur juste place et, pour l’accompagnement, discerner ce que Dieu veut que la personne puisse voir ou découvrir. Nous devons être prêts à confesser nos manques et, pour l’accompagnement, savoir ce que Dieu veut que la personne admette et confesse. Puis, nous sommes invités à nous engager dans de nouvelles perspectives en posant la question de savoir dans quelles nouvelles directions de vie Dieu appelle la personne à entrer et comment ces nouveaux engagements peuvent s’impliquer dans sa vie quotidienne.

Le dernier axe de l’accompagnement, « Faire », consiste à établir un programme[73] [82], ce qui suppose savoir où aller avec la personne, clarifier les responsabilités, aider à comprendre la réalité de l’identité en Christ. Trois questions essentielles doivent guider le conseiller : « Que dit la Bible au sujet de la situation et de toutes les informations recueillies ? Dans quel but Dieu conseille-t-il un changement ? Quelle est la responsabilité de la personne dans le processus qui aboutira à la décision de changer ou non ? » Le conseiller chrétien est également invité à ne jamais perdre confiance en Dieu ! Il lui appartient, à ce stade, d’accompagner le changement et d’aider la personne à en assumer la réalité au quotidien.

Parallèlement, dans cette approche de relation d’aide biblique, Wayne Mack propose une méthodologie pratique en sept étapes[74] [83] pour structurer une telle relation d’aide biblique s’inscrivant dans une démarche de transformation du cœur. Tout comme dans l’approche de Paul David Tripp, nous nous situons dans un dualisme holistique, en termes anthropologiques.

Ces deux illustrations méthodologiques se fondent sur l’existence d’une anthropologie biblique, à la fois holistique dans la mesure où elle concerne bien la personne dans son entier et dualiste dans la mesure où elle vise le changement de mentalité intérieure se traduisant par des effets sur la vie extérieure visibles : dans des relations renouvelées entre Dieu et l’homme et entre l’homme et ses semblables. Or, les données bibliques, si elles présentent la nécessité d’un renouvellement de l’être intérieur en raison de la dépravation de la nature humaine, soulignent également le fait que l’homme a été créé image de Dieu. Quel a été l’impact de la chute sur l’image de Dieu, le péché a-t-il entraîné une disparition de l’image de Dieu ? De telles hypothèses sont-elles sans conséquences sur la nécessité de choisir entre une vue psychosomatique stricte influencée par le monisme et le dualisme holistique ?

4. L’homme, image de Dieu, et la vie nouvelle

La conception d’une différenciation entre la perspective d’unité psychosomatique stricte et le dualisme holistique peut provenir d’une compréhension différente de l’image de Dieu selon les étapes du salut. Une vue d’unité psychosomatique, en effet, pourrait induire que l’image de Dieu a disparu avec la chute ou, au contraire, que la chute n’est qu’un problème relationnel sans incidence sur l’image de Dieu. Il nous faut donc détailler brièvement l’évolution de l’image selon les différentes étapes du salut annoncé et accompli par Christ. Le premier récit de la création souligne que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (selon Genèse 1.26-27). Il y a donc, dès le départ, une relation réelle entre Dieu, le créateur, et l’homme, sa créature. Herman Bavinck précise :

Le cœur est le siège des émotions, des passions, des désirs, des envies, des liens et des décisions de la volonté, qui sont l’apanage de l’esprit (nous) et qui s’expriment dans les actions. Dans toutes ces capacités psychiques et ces activités, nous pouvons voir des traits de l’image de Dieu. La grande diversité et l’abondance de ces forces reflètent Dieu[85] [94].

L’essence de la nature humaine est d’être créée en image de Dieu. Le monde entier est révélation de Dieu qui, dans une certaine mesure, témoigne de ses attributs et de ses perfections. Ainsi, les qualités et la spécificité de la nature humaine sont une expression de la création divine, qui atteste que l’homme est bel et bien image de Dieu. Dans l’image se trouvent les compétences rationnelles et intellectuelles, la sensibilité morale, la conscience, la capacité d’adoration de Dieu, de prise de décision, la volonté, le sens de l’esthétique… En résumé, l’image de Dieu se retrouve dans les dons et les capacités de l’homme. Par voie de conséquence, cela peut se voir dans sa manière d’être dans ses relations. En effet, s’il y a restauration de l’image de Dieu par la rédemption, il en résulte une modification dans les relations entre l’homme et Dieu, entre l’homme et ses semblables et entre l’homme et la nature[86] [95]. Ceci devrait donc avoir pour effet que les relations entre l’homme et Dieu, comme les relations entre les hommes eux-mêmes, sont bonnes ; mais la réalité observable due à la présence du mal et à la souffrance est quelque peu différente. Si les projets initiaux de l’homme étaient orientés vers le bien, l’irruption du péché dans le monde est venue fausser et perturber cette relation initiale de l’homme avec Dieu, de l’homme avec ses semblables et de l’homme avec la nature. Henri Blocher souligne :

Le péché n’est que corruption d’une bonté créée, toujours « parasitaire ». A cause de la structure unifiée de la création, le péché ne peut être situé. Il perturbe le rapport central de l’homme « image de Dieu » à son Créateur, ce qui implique le rapport de soi à soi, à autrui et au monde. (…) Le péché dans sa généralité ne se définit que d’une façon négative et formelle ; le positif est toujours de l’autre côté, du côté de Dieu et de sa création[87] [96].

Le péché a détérioré l’ordre de la création, dénaturé les relations et, dans une certaine mesure, altéré l’image de Dieu au point que cette dernière en est devenue une « caricature »[88] [97]. Nombre de théologiens ont échafaudé diverses hypothèses pour comprendre les effets du péché dans la nature humaine. L’image de Dieu a-t-elle complètement disparu ou est-elle simplement pervertie ou altérée. Anthony Hoekema conclut sur cette question :

Après la chute de l’homme dans le péché, l’image de Dieu n’est pas anéantie, mais pervertie. L’image dans son sens structurel est toujours présente – les dons, les talents et les capacités de l’homme ne sont pas détruits par la chute – mais l’homme commence maintenant à utiliser ces dons dans une voie contraire à la volonté de Dieu. Ce qui a changé en d’autres mots, ce n’est pas la structure de l’homme, mais la manière dont il fonctionne, la direction dans laquelle il va[89] [98].

Si l’image de Dieu n’a pas disparu avec la chute, les données bibliques démontrent que les effets dévastateurs du péché se manifestent dans l’ensemble des relations de l’homme. Romains 1.25 affirme que la relation avec Dieu, qui était initialement caractérisée par l’adoration, s’est transformée en une fausse adoration. Ce n’est plus le Créateur avec qui la relation d’adoration se développe, c’est avec la créature ou avec la création. Les relations avec les autres hommes sont altérées par la manipulation, l’égoïsme, le mensonge, la perversion et l’aliénation. L’homme ne se préoccupe plus de pratiquer le bien dans ses relations ; il met en avant son profit personnel. A cause de cette rupture entre l’homme et Dieu, la souffrance et la maladie sont entrées dans le monde, comme le note Jean-Claude Larchet, dans une synthèse d’écrits de patristique :

C’est donc selon les Pères dans la seule volonté personnelle de l’homme, dans le mauvais usage qu’il fait de son libre arbitre, dans le péché qu’il a commis au paradis, qu’il faut chercher la source des maladies, des infirmités, des souffrances, de la corruption, de la mort, comme de tous les autres maux qui affectent actuellement la nature humaine[90] [99].

Le danger pour l’accompagnement des personnes en souffrance serait de partir du péché ou du comportement observable et d’en faire la cause de toute maladie. Cependant, il est assez juste de considérer que les maladies sont liées non aux péchés spécifiques, mais à la nature pécheresse de l’homme. La question posée est de savoir également à quel niveau la nature de l’homme est pervertie : est-ce le corps, la chair, l’âme, l’esprit, le cœur, les pensées et l’intelligence ? L’usage, fréquent dans le Nouveau Testament, du mot « chair » pour désigner la nature pervertie – qui s’oppose à la nature renouvelée par l’Esprit Saint – offre une esquisse de réponse. De même, le cœur, considéré comme le siège des mauvaises pensées, semble particulièrement affecté par le péché et a besoin d’être pleinement renouvelé. De plus, les modifications opérées dans l’âme ressemblent à celles qui peuvent être identifiées au niveau du cœur. Les émotions dites négatives constituent, en particulier, un mode d’expression de l’altération de l’image de Dieu liée à la chute. Mais les données bibliques nous poussent à aller plus loin en considérant l’œuvre de réconciliation accomplie par Jésus- Christ.

En effet, le salut accompli par Jésus-Christ contribue à restaurer l’image de Dieu en l’homme. Cette œuvre de transformation dans le cœur de celui-ci implique la réalité d’une nouvelle vie, d’une nouvelle perspective et d’un nouveau regard sur les circonstances ; tels sont quelques-uns des fruits de la rédemption accomplie par l’œuvre du Dieu trinitaire qui s’est révélé aux hommes. La vie nouvelle découle de la réconciliation entre Dieu et les hommes. Elle se traduit, en langage anthropologique, par une marche selon l’Esprit, opposée à la marche selon la chair. L’homme est en mesure de suivre l’une ou l’autre des deux voies proposées, dans la mesure où son cœur est renouvelé. La dynamique de la rédemption se traduit par des effets concrets dans le style de vie des êtres humains. Les priorités et les choix ne sont plus les mêmes. Ils sont conduits par de nouvelles motivations[91] [100]. Anthony Hoekema indique à ce propos :

La vie nouvelle suppose d’être transformé par le renouvellement de l’intelligence (Rm 12.2). Cela suppose vivre par l’Esprit et produire le fruit de l’Esprit (Ga 5.16, 22). Cela implique de vivre une vie d’amour (Ep 5.2), de marcher dans la vérité (2Jn 4), vivre non pour soi, mais pour Christ (2Co 5.15). Etre renouvelé dans l’image de Dieu implique davantage d’être de plus en plus comme Dieu, que Dieu soit de plus en plus visible dans nos paroles et nos actes, puisque Dieu est amour, notre vie marquée par l’amour est une imitation de Dieu. Comme Christ est la parfaite image de Dieu, devenir de plus en plus comme Dieu suppose de devenir de plus en plus comme Christ. Ceci implique suivre l’exemple de Christ, essayer de vivre comme il a vécu[92] [101].

Ainsi, par la transformation opérée dans le cœur de l’homme au travers de la rédemption décidée par Dieu le Père, accomplie par Jésus-Christ et attestée par le Saint-Esprit, l’image de Dieu est restaurée. Si la chute a perverti les relations humaines, la réalité du salut a conduit à une œuvre de transformation pour renouveler ces relations. Il est donc possible de comprendre l’œuvre de Jésus-Christ comme une restauration de l’image de Dieu, comme une transformation de l’être humain, dont les effets débutent au plus profond de son être pour se manifester dans les relations avec Dieu, les autres et soi-même et pour attester ainsi la réalité d’un processus de guérison intérieure. L’image de Dieu est restaurée, mais pour autant tous les effets de cette restauration ne sont pas encore visibles au quotidien.

En considérant l’importance de l’acte créateur de Dieu, la question de la chute et de la rédemption, on obtient un tableau quasi complet de l’évolution de l’homme, aux différentes étapes de l’histoire du salut et, bien évidemment, la question essentielle de l’espérance finale. Pour autant, une réalité paradoxale ne doit pas être négligée concernant la nature humaine, à savoir toute la question du « déjà » et du « pas encore ». Un accent trop fort mis d’un côté ou de l’autre est dangereux, car il souligne soit une vision trop optimiste de la nature humaine et de son fonctionnement, soit une vision trop pessimiste. Si l’être humain est une personne créée à l’image de Dieu, mais pervertie par la chute et renouvelée par la rédemption, il est aussi une personne qui doit être prête à changer pour vivre des relations renouvelées avec Dieu, les autres et elle-même. La dynamique du changement qui en résulte ne doit pas se limiter à un changement de regard sur les circonstances, de comportement, à une modification de nos pensées ou à une nouvelle perception de l’image de nous-mêmes. Ces quatre possibilités de changement, si elles offrent un bénéfice, sont incomplètes ou partielles. Même si elles sont proches du changement biblique, quelque chose manque encore. Timothy S. Lane et Paul David Tripp précisent à ce sujet :

Cette conception du changement est plus proche d’une véritable vision biblique à ce sujet, mais elle n’est pas suffisante. Nos attentes et nos désirs jouent un rôle énorme pour déterminer nos actions et nos réactions dans la vie, et la Bible nous encourage à changer la façon dont nous pensons aux choses. Mais là aussi, celle méthode omet la personne et l’œuvre de Christ, en tant que sauveur, elle réduit celle-ci à « penser et agir comme lui »[93] [102].

A ce niveau, il convient donc, non seulement, de reconnaître la nécessité d’une transformation personnelle, mais également de considérer les effets d’une telle transformation sur les relations avec les autres. Cette perspective relève autant de l’accompagnement pastoral, qui se fonde sur une vue holistique et dualiste de l’être humain, que du rôle attribué à l’Eglise de Jésus-Christ, mandatée pour le ministère de la réconciliation. Cette réconciliation est nécessaire, avant tout, entre les hommes et Dieu, ensuite entre les hommes entre eux et, dans une certaine mesure, l’homme avec lui-même. Au-delà de la transformation de l’être intérieur, qui se manifeste par des relations renouvelées, n’est-il pas nécessaire d’entrevoir une dimension communautaire à l’accompagnement ? Les données anthropologiques se limitent-elles simplement à la personne humaine d’un point de vue ontologique ? Ne faut-il pas aussi inclure dans notre réflexion la dynamique relationnelle entre les hommes ? Celle-ci peut-elle apporter des compléments utiles en matière d’accompagnement ? C’est ce que proposent d’autres approches de relation d’aide chrétienne, qui ne se focalisent plus sur les individus isolés, mais qui s’intéressent à une vision plus globale, celle de l’individu dans son contexte, en considérant les relations familiales ou les groupes de personnes, comme support d’entraide. Nous allons considérer ces deux types d’approches dans la troisième partie de cette étude.

III. Les options relationnelles et communautaires

Aux relations d’aide chrétiennes centrées sur l’individu s’ajoutent différentes approches qui se concentrent davantage sur les relations familiales ou les relations de groupe que sur l’accompagnement individuel. Ce n’est plus la personne humaine avec ses forces et ses faiblesses qui constitue le centre d’intérêt dans l’accompagnement, mais la dynamique relationnelle entre la personne et son environnement. Dans ce contexte, les difficultés humaines ne sont plus interprétées en termes de clivages entre normal et pathologique, mais en termes de troubles de communication ou de difficultés relationnelles. Paul Watzlawick et ses collaborateurs soulignent à ce propos :

Mais si l’on admet que, du point de vue de la communication, on ne peut comprendre un segment de communication que dans le contexte où il se produit, les termes « sain d’esprit » et « aliéné » perdent pratiquement leur sens comme attributs d’un individu. De même, la notion de « pathologique » dans son ensemble devient contestable. En effet, on s’accorde maintenant à reconnaître que l’état d’un patient n’est pas immuable, mais qu’il varie en fonction de sa situation interpersonnelle, et en fonction des présupposés de l’observateur[94] [103].

La question essentielle est de savoir en quoi cette dynamique relationnelle peut constituer un facteur limitant ou aggravant de la souffrance individuelle. Dans les années 1950, de nouveaux courants thérapeutiques se sont développés à la suite des travaux d’un chercheur, nommé Gregory Bateson, qui s’est intéressé à l’application des propriétés générales des systèmes[95] [104] à la démarche thérapeutique. A partir de ce nouveau paradigme thérapeutique sont nées les approches systémiques fondées sur l’application des propriétés générales des systèmes aux relations humaines, comme Claude Seron et Jean-Jacques Wittezaele le soulignent :

La thérapie familiale s’intéresse plus particulièrement à ce système que constitue la famille. Notons au passage que le nombre d’éléments pris en considération varie selon les écoles (famille nucléaire, famille élargie au minimum à trois générations, personnes vivant sous le même toit…). Le symptôme porté par un des membres de la famille est considéré comme une qualité émergente du système familial. Il est également vu comme une conduite adaptative du patient désigné au service de l’équilibre du système… Le traitement de ce symptôme impliquera donc une modification des règles d’interaction au sein de la famille. Notons également qu’un individu appartient toujours à plusieurs systèmes : il est un élément d’une famille, mais également d’une école, d’une entreprise, d’un club, d’une culture, d’une espèce… Ces différents systèmes sont eux-mêmes en interaction les uns avec les autres[96] [105].

L’élargissement de l’étude de l’homme dans les relations humaines trouve aussi un certain écho biblique, avec la question des bénédictions et malédictions sur plusieurs générations, telles qu’elles sont évoquées dans le Décalogue en Exode 20.4, ou encore dans les accents particuliers mis sur les difficultés au sein d’une famille, comme c’est le cas, par exemple, avec l’étude de la vie des patriarches et de leurs enfants. Cependant, la notion de liens intergénérationnels et de malédiction sur trois générations a donné naissance à des orientations théologiques discutables pouvant aller, dans certaines situations, jusqu’à la prière pour les ancêtres, ou à une volonté de dénouer les liens spirituels. Si les liens de la chair sont une réalité dans les familles, la notion de malédiction sur plusieurs générations ou de liens familiaux demande à être accueillie avec prudence dans l’accompagnement pastoral. Henri Blocher dénonce ce travers de façon allusive quand il affirme :

Le sentimentalisme renforce, en outre, l’effet d’un « tabou » culturel : la famille, il faut être « pour », honni soit qui mal y pense ! Il en résulte une surestimation du lien de parenté charnelle, de l’unité familiale, érigés en absolus. A côté de l’affirmation de ces valeurs, l’Ecriture fait entendre une note critique assez forte. Jésus n’a pas craint de choquer en relativisant l’importance du lien du sang pour lui-même. (…) L’enfant est déjà une personne dans le fond mystérieux de son humanité : Dieu le connaît par son nom. Mais l’enfant ne connaît pas, lui, « le bien et le mal » : il n’est pas responsable de ses actes, il dépend de ses parents. Au plan du comportement, de l’expression, de l’être manifeste, il vit comme un prolongement de ses parents, sous leur responsabilité. Il leur est attaché comme un satellite encore inclus dans le champ gravitationnel, tandis que son identité personnelle n’est qu’en germe[97] [106].

Dans un accompagnement familial, ce qui est considérablement modifié, c’est l’angle d’approche de la relation d’aide par la manière de considérer la souffrance. Cette dernière peut aussi être présentée comme liée à des conflits interpersonnels ou intergénérationnels et pas seulement comme le fruit de l’héritage du péché. Ainsi, l’intérêt ne porte plus sur la question de l’essence de l’être humain, mais sur les relations que celui-ci entretient avec ses semblables. Or, la notion de famille et de génération est également présente dans la pensée du Dieu créateur, comme l’indique Anne-Marie Sirakorzian :

Toutes les générations ont leur source en Dieu, créateur et fondateur de la famille, car, dès le commencement, il a établi son alliance avec l’humanité, nos premiers ancêtres, Adam et Eve : une alliance de bénédiction. (…) En bénissant le couple et la famille, Dieu veut que cette bénédiction se propage de génération en génération. Dès l’origine des temps, le projet de Dieu est donc de bénir la famille et les générations[98] [107].

Le cheminement spirituel de l’homme se vit également dans un cadre communautaire qu’il faut intégrer dans notre réflexion. Notons bien que, dans une perspective chrétienne, les relations avec Dieu comme avec l’Eglise doivent être considérées en plus des relations familiales. L’accompagnement pastoral et spirituel peut concerner, d’abord, la famille, qu’elle soit nucléaire ou intergénérationnelle, mais également la famille dite « spirituelle », constituée par l’Eglise. Nous allons donc considérer la dynamique des relations familiales et voir dans quelle mesure elle présente un intérêt en anthropologie biblique, puis nous nous intéresserons à la question de la communauté ou du groupe et verrons, également, dans quelle mesure les données en matière d’anthropologie sont utiles à notre réflexion.

1. Approches fondées sur les relations familiales

La famille est une réalité créationnelle de Dieu, dont l’importance tient peut-être au fait que notre Dieu entre en relation avec les hommes dans le cadre de la révélation progressive. La famille est un maillon essentiel dans la construction de l’identité et dans le développement de la personne. Elle est le lieu où se construisent des liens entre les êtres humains. Michel Johner note au sujet de l’importance de la famille :

Il nous semble évident que l’Ecriture fournit un nombre de repères relativement important pour penser et construire le lien familial. De toute évidence, l’idée de la famille occupe dans la Bible une place extrêmement importante : la paternité, la généalogie, la descendance, la nomination, l’alliance sont des thèmes qui resurgissent pratiquement à tous les stades de l’histoire de la révélation horizontale qui lie les hommes entre eux, mais aussi, par analogie – et c’est cela sans doute le plus décisif pour la réflexion théologique – la structure de la relation verticale qui unit les hommes à Dieu. C’est la perspective selon laquelle les liens qui unissent les générations humaines dans le cadre de la famille seraient quelque part reflet/miroir des liens verticaux qui nous unissent à Dieu[99] [108].

Il n’est donc pas surprenant que la famille ait aussi constitué un objet d’étude pour certaines approches de la relation d’aide chrétienne. Nous avons déjà évoqué la question des dynamiques relationnelles impliquées dans la souffrance et les éléments de compréhension issus des thérapies systémiques ; les orientations chrétiennes de la relation d’aide de type « familial » vont s’intéresser, à la fois, aux questions de bénédiction et de malédiction, comme aussi aux notions de familles toxiques ou dysfonctionnelles. Larry Crabb souligne : « Si nous comprenons que nous sommes des êtres relationnels, la prise de conscience d’un combat dans notre vie nous conduira à évaluer la qualité de nos relations avec Dieu, avec les autres et avec nous-mêmes. (…) Nous sommes des êtres relationnels et non mécaniques[100] [109]. » L’importance de la lutte pour mener sa vie au mieux dans un réseau relationnel qui nous influence n’est pas négligeable. La dynamique de la chute et du péché a considérablement modifié les relations interpersonnelles. Au lieu de vivre des relations caractérisées par l’amour, le respect et la compassion, les désirs égoïstes de notre nature humaine (ou pour reprendre le terme anthropologique paulinien de « notre chair ») produisent des difficultés plus ou moins fortes. Les habitudes héritées de notre ancienne nature et nos désirs égoïstes ne nous permettent pas de développer des relations harmonieuses, que ce soit dans la famille naturelle ou dans la famille spirituelle. L’apôtre Paul souligne en Philippiens 2.1-5 toute l’importance qu’il y a à développer des relations harmonieuses avec les autres en les considérant comme supérieurs à nous-mêmes[101] [110]. Dans le cadre familial, ces problématiques peuvent conduire à créer des relations dysfonctionnelles, comme le souligne Anne-Marie Sirakorzian :

La famille fonctionne en déséquilibre constant ou équilibre dysfonctionnel. Sa problématique consiste à utiliser toute son énergie pour masquer les problèmes au lieu de chercher à les résoudre et ce, dans le but de garder l’honneur de la famille sauf. Il faut être « normal » et faire comme si tout allait bien. C’est ainsi que des règles rigides ou laisser-aller, un climat de stress, de peur et d’angoisse, une imprévisibilité (ou bien une trop grande prévisibilité) produiront chez les membres des comportements de survie et/ou de destruction[102] [111].

Dans cette dynamique, vraisemblablement inconsciente, nos ancêtres nous transmettent de bonnes et de mauvaises choses, sans pour autant que tout soit expliqué et explicable. Nous touchons ici au registre des transmissions inconscientes et des secrets familiaux. Comment envisager de faire face à un tel héritage, plus ou moins constructif ? Est-il possible de ne pas se laisser enfermer dans de telles situations qui peuvent nous bloquer ou nous malmener ? N’est-il pas possible de considérer la famille comme un lieu de richesse et une source de reconstruction ? Une telle réalité peut sembler utopique ; mais dans la mesure où les relations sont modifiées par la foi chrétienne, il est envisageable que la famille devienne un lieu de paix et d’harmonie. C’est, en tout cas, ce qui est proposé pour la famille chrétienne au sens large par les codes familiaux d’Ephésiens 5.22-33 ou de Colossiens 3.18-25. De tels textes complètent la perspective de Philippiens 2.1-5 sur les relations ecclésiales, que nous avons évoquées. Cependant, force est de constater que la maltraitance est parfois présente dans les familles et que, dans ce contexte, l’espérance pour le devenir des enfants paraît bien sombre. C’est à ce niveau que le concept de résilience que nous avons mentionné donne une perspective intéressante, parce qu’il contient en germe la possibilité d’un nouveau départ après un choc. Boris Cyrulnik affirme :

La métaphore du tricot de la résilience permet de donner une image du processus de reconstruction de soi. Mais il faut être clair : il n’y a pas de réversibilité possible après un trauma, il y a une contrainte à la métamorphose… Le tricot sera porteur d’une lacune ou d’un maillage particulier qui dévie la suite du maillot. Il peut redevenir beau et chaud, mais il sera différent. Le trouble est repérable, parfois même avantageusement, mais il n’est pas réversible[104] [112].

Dans une approche biblique, considérer la reconstruction des difficultés personnelles ou familiales en termes de réparation introduit dans le débat toute la question de la réconciliation. Un conseiller spirituel envisagera, par exemple, de rencontrer la totalité de la famille ou se limitera à certains de ses membres, vus à tour de rôle, pour mettre en lumière les difficultés. Il partira du principe que les familles ont les moyens de vivre la réalité d’un changement dans la dynamique de leur relation ; ceci s’observe également dans les thérapies séculières, comme le souligne Guy Ausloos : « Les familles ont les compétences nécessaires pour effectuer les changements dont elles ont besoin à condition qu’on leur laisse expérimenter leurs autosolutions et qu’on active le processus qui les y autorise[105] [113]. »

L’accompagnement jouera un rôle de médiation et cherchera alors à apaiser les situations conflictuelles observées, à tenir compte des alliances en présence. Il valorisera la compétence des familles dans leurs capacités à résoudre les problématiques. Dans le cadre d’une relation d’aide chrétienne, ceci se complétera par un souci, au niveau des membres de la famille, de vivre une relation renouvelée avec Dieu, ce qui suppose une volonté de vivre la réalité du pardon et de la réconciliation. Nous avons noté que la trichotomie rationaliste (en raison de liens importants avec la psychanalyse freudienne) mettait un accent sur l’importance d’une réconciliation avec le passé, pour aller au-delà des traumatismes de l’enfance[106] [114]. De même, la trichotomie spiritualiste, comme les approches influencées par le monisme, mettent l’accent sur la réconciliation avec soi-même en tant qu’être illuminé par Dieu.

Parallèlement, les approches visant la transformation du cœur, selon l’optique dualiste holistique, soulignent l’importance d’une réconciliation avec Dieu par l’œuvre accomplie par Christ et attestée par le Saint-Esprit. Dans un élargissement du débat à la dynamique de l’individu, membre et acteur dans une famille, la question de la réconciliation avec son héritage familial, culturel et spirituel souligne l’importance et la nécessité de la réconciliation non seulement avec soi-même ou avec Dieu, mais également avec sa famille et ses racines. C’est, en tout cas, la dynamique visée par les approches de relation d’aide chrétienne centrées sur l’accompagnement des familles.

Ces approches semblent justement ouvrir la voie à un élargissement de la dynamique de réconciliation nécessaire avec les autres. Est-ce là tout l’enjeu de la vie au sein d’une famille ? Quel regard les données bibliques relatives à la famille et à son fonctionnement peuvent-elles nous offrir? Sans forcément adopter les prémisses épistémologiques de l’approche systémique et ses implications intergénérationnelles, il nous semble pertinent, à ce stade de notre réflexion, de considérer les données bibliques relatives aux relations familiales.

2. Repères bibliques sur les relations familiales

Nous avons déjà souligné que la famille était voulue par Dieu et que, dans l’acte créationnel, la dynamique relationnelle était incluse dans la famille. Une des questions que nous devons nous poser, maintenant, est de savoir dans quelle mesure la famille est essentielle au développement de l’être humain. Edith Schaeffer note :

La famille est un centre de formation aux relations humaines… La famille est le lieu où les enfants peuvent apprendre que les êtres humains ont été créés à l’image de Dieu et qu’ils ont un rôle spécial à jouer dans l’univers. (…) Les enfants doivent apprendre très jeunes que nous sommes tous des pécheurs et que nous avons tous des temps de mauvaise conduite[107] [115].

Ainsi, dès le départ, la famille est importante dans la vie d’un individu. Elle est le lieu de transmission de la foi, dans une perspective biblique. Elle est le lieu de construction de repères et de cheminements spirituels. Ronald Bergey, en insistant sur le fait que la famille est essentielle dans le cadre de l’alliance vétérotestamentaire, note :

(…) quel rôle joue la famille, à cet égard, au sein de la nation d’Israël ? Pour cerner ce rôle, il faut comprendre quelle est la place de la famille dans la structure sociale de parenté. Cette structure s’organise à trois niveaux : tribu, clan et famille. (…) Ces trois composantes de la communauté de parenté, tribu, clan et famille, sont inextricablement liées, non seulement par le sang et l’habitation, mais aussi par la nature du fonctionnement de l’alliance[108] [116].

Le rôle de la famille est prépondérant en raison des relations qu’elle permet de construire entre les individus comme dans ce qu’elle offre en termes de capacité de se projeter dans l’avenir et de construire de nouvelles relations sociales. La famille est un lieu de développement de son identité, ce qui se décline différemment dans une perspective où le Dieu de l’alliance est reconnu pour ce qu’il est, ce qu’il fait pour le bien des familles. Ronald Bergey ajoute :

La famille qui exerce ses responsabilités construit solidement sa maison sur les fondations de l’Alliance. Elle se protège et est protégée des bouleversements pouvant venir aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur. Les enfants apprennent de leurs parents l’autorité et les limites de la liberté. De leurs frères et sœurs, ils apprennent la justice et l’injustice. C’est ainsi que la famille pose, en même temps, les fondements pour l’édifice social entier. Cet édifice s’avère aussi solide que ses fondements[109] [117].

Dans la structure et le fonctionnement des familles attachées au Seigneur, la nécessité de transmettre les principes de l’alliance est une évidence ; le respect des principes allianciels conduit à une réelle bénédiction au sein des familles. Le régime de la nouvelle alliance se différencie de celui de l’ancienne dans la mesure où il propose, à la fois, une continuité et une discontinuité par rapport à cette dernière.

Cette réalité se retrouve également au niveau des relations familiales comme le note Gordon Campbell :

A la lecture des évangiles, des épîtres et même de l’Apocalypse johannique, on constate sans difficulté une continuité certaine avec les Ecritures juives : dans le Nouveau Testament, la famille comme endroit par excellence où articuler la relation de Dieu à l’être humain reste d’une grande importance. (…) Confesser que Jésus était Seigneur et vivre en conséquence ne pouvait qu’avoir des retombées sur les liens et sur la vie de famille[110] [118].

Nous pourrions donc aisément imaginer que le changement de mentalité intérieure, induit par la relation renouvelée avec Dieu, se traduit dans le cadre de relations renouvelées et restaurées au sein des familles. La conséquence logique serait alors d’envisager que les familles chrétiennes présentent une différence notable en termes de vécu par rapport à d’autres familles dans lesquelles l’œuvre de régénération n’est pas présente. Les familles chrétiennes seraient-elles donc en mesure d’agir autrement en matière d’encouragement et de soutien pour le développement des enfants ? Seraient-elles davantage capables d’affronter la réalité des souffrances individuelles et de donner des ressources utiles pour faire face ensemble aux difficultés de la vie ? Si la place de la prière, du pardon et de la mise en pratique de la parole biblique sont des spécificités propices à une réconciliation dans la famille, la règle est plus souvent que nos blessures, nos frustrations et notre égocentrisme y constituent un frein à l’épanouissement. Alors qu’elles devraient être un lieu de paix et de construction, les familles sont parfois bien malmenées par des tensions vives entre les membres qui la composent. Les approches de la relation d’aide, qui s’intéressent aux dynamiques familiales, ont le mérite de chercher à offrir une réponse adaptée aux souffrances qui résonnent au-delà des individus et de s’intéresser aux retentissements envers la famille. Elles offrent un renouvellement du dialogue entre les membres des familles. Cette dynamique de reconstruction ne serait-elle pas également présente dans les familles chrétiennes, si une approche parénétique des conséquences de la foi en Jésus-Christ se manifestait ? Les codes familiaux, proposés par Paul en Ephésiens 5.22-33 ou Colossiens 3.18-4.1, offrent des principes éthiques utiles pour vivre différemment les relations familiales. Ils démontrent la réalité d’une transformation de l’être intérieur qui permet de vivre ce renouvellement dans les relations.

Malheureusement force est de constater que des tensions parfois très vives peuvent exister dans la famille, en raison aussi du clivage existant entre chrétiens et non-chrétiens, comme le rappelle Gordon Campbell :

(…) si, pour la jeune diaspora chrétienne, la maisonnée fournit le contexte dans lequel il faut apprendre à vivre sa foi, voire se transforme elle-même en Eglise de maison, i), d’une part, une maisonnée hostile à l’Evangile oblige son membre à choisir entre deux obéissances conflictuelles, tandis que ii), d’autre part, l’Eglise dans laquelle le croyant s’intègre tend à devenir sa famille de substitution compensant la perte d’identité ou de sécurité entraînée par sa conversion et son incorporation à la fraternité du Christ[111] [119].

Dès lors, avec la spécificité de la nouvelle alliance, qui peut générer des tensions entre chrétiens et non chrétiens au sein d’une même famille, la famille n’est plus forcément comme dans l’ancienne alliance où tous les membres de la famille étaient invités à se tourner vers Dieu pour vivre avec confiance leur cheminement spirituel. La loi donnait une réponse à la pratique des péchés et le principe de la grâce et du pardon, qui était présents dans l’ancienne alliance, donnait des réponses au besoin de renouvellement de l’homme, dans son être intérieur, pour vivre différemment les relations familiales et sociales. Ainsi, si la loi divine a eu le mérite de dénoncer le mal du péché, l’éthique chrétienne fondée sur l’œuvre de Christ et ses effets dans la vie du croyant a donné un nouveau cadre en ce qu’elle s’intéresse à la racine des maux.

A titre d’exemple, le Décalogue et, en particulier, la deuxième table qui concerne les relations horizontales, doit être compris dans ses applications à la vie du disciple de Christ selon les éclairages fournis par le Sermon sur la montagne (en particulier, dans la section des antithèses de Matthieu 5.17-48). Ces principes sont supposés être vécus dans un cadre communautaire. C’est ainsi que l’Eglise, présentée en tant que famille, peut constituer une certaine forme de fraternité et d’entraide constituant un soutien et un encouragement à vivre sa foi de façon pratique et conséquente. L’Eglise peut-elle offrir un lieu de sécurité et de croissance aux chrétiens ? C’est, sans doute, ce que pensent les personnes qui justifient une pratique communautaire de relation d’aide chrétienne. La communauté est alors vue comme un groupe de croissance spirituelle.

3. La communauté comme groupe de croissance spirituelle

Avec le postulat que l’Eglise peut être considérée comme une famille et que ses membres s’y reconnaissent avec le statut de frères et sœurs dans la foi, l’enjeu de former des disciples en réponse à l’appel missionnaire du Seigneur – exprimé par exemple en Matthieu 28.18-20 et Actes 1.8 – a suscité différentes approches créatives destinées à promouvoir la croissance spirituelle des personnes. L’idée de groupes de croissance ou de groupes de quartier, avec une dynamique de partage et de formation, s’est développée ces dernières années et connaît un succès de plus en plus grand dans plusieurs de nos communautés. Considérés comme des lieux de formation et de communion en petit groupes, constitués selon des paramètres géographiques ou même parfois affectifs, ces petits groupes se présentent comme un relais, dans la semaine, pour prolonger les temps de communion et de formation de l’Eglise. Selon certains auteurs, ils constituent un facteur essentiel dans la croissance des Eglises, observée ces dernières décennies. Christian Schwartz précise, en commentant les résultats d’une enquête sur la croissance des Eglises réalisée sur mille communautés dans le monde entier, que l’un des critères de qualité est constitué par les groupes de maison :

L’enquête sur la vie des Eglises croissantes et décroissantes du monde entier (…) a également montré à quoi devaient ressembler ces petits groupes pour qu’ils stimulent à la fois la qualité et la croissance de l’Eglise. Il leur faut un programme complet qui ne se contente pas d’étudier les passages de la Bible, mais qui donne des applications spirituelles pour la vie quotidienne. Les participants peuvent y exposer leurs problèmes, leurs questions personnelles et chercher ensemble des solutions[112] [120].

Il est intéressant de souligner, à ce niveau, que de tels groupes de maison ou de quartier deviennent des lieux d’encouragement et d’entraide, dont l’objet premier est la croissance spirituelle de leurs membres. Il n’est pas rare que la relation d’aide selon une orientation groupale y trouve également sa place. Elle peut également se développer dans des groupes plus restreints comme les groupes de croissance. Le principe de tels groupes, selon Neil Cole, est le suivant :

Un [groupe de croissance] est un groupe de deux ou trois personnes de même sexe qui se réunissent chaque semaine pour rendre compte personnellement de leur croissance et de leur cheminement. (…) La dimension de la responsabilité chrétienne tourne autour de trois disciplines essentielles à une croissance spirituelle personnelle : une nourriture régulière des Ecritures, la confession des péchés et la prière pour ceux qui ont besoin de Christ[113] [121].

Il est également intéressant de voir, dans cette approche de groupe de croissance spirituelle, des éléments identiques à ceux qui peuvent se reconnaître dans une approche de relation d’aide, comme celle qui est proposée par Jay Adams dans son approche visant la transformation du cœur de l’homme[114] [122]. On peut, toutefois, mentionner une différence par rapport à l’accompagnement individuel, qui se fait plutôt dans un cadre de relation duelle entre un accompagnant et un conseiller dans l’approche classique, alors que le travail en groupe devient aussi source d’aide spécifique. Désormais, ce n’est plus seulement le rôle du conseiller chrétien d’accompagner la personne en souffrance ; la constitution du groupe est également vecteur d’accompagnement. Dans les thérapies de groupe, quelle que soit l’orientation psychologique[115] [123], les personnes du groupe sont réunies sur la base d’une souffrance commune pour vivre, en plus de l’accompagnement offert par le ou les conseillers, une entraide mutuelle basée sur la capacité d’affronter une souffrance éprouvée par la plupart des membres du groupe. Pascal Coulon, en commentant le fondement des groupes d’entraide, précise :

L’expérience profonde et intime que constitue la découverte de cet univers nouveau aux aspects les plus riches et les plus signifiants correspond parfois à une véritable démarche initiatrice – dans ce cadre précis, le déclenchement d’un processus authentique de soin et de recouvrance. Précisons à un premier niveau la nature, les effets et les finalités thérapeutiques de l’interaction qui s’instaure au sein de ces groupes : leur efficacité provient d’un jeu de miroirs et d’identification[116] [124].

Les expériences de groupes d’entraide, comme celle des alcooliques anonymes que décrit Pascal Coulon, peuvent être considérées comme des fraternités à caractère spirituel souhaitant promouvoir une réelle entraide pour encourager les personnes dépendantes à sortir de la spirale infernale dans laquelle elles sont tombées[117] [125]. Si la logique des petits groupes constitue une dynamique de croissance spirituelle et répond à des besoins thérapeutiques, il n’est pas surprenant de les voir se développer dans nos Eglises. Pour autant, il nous semble utile de rappeler que la mission de l’Eglise ne consiste pas, en premier lieu, à développer des groupes d’entraide spécifique. Si certaines réunions visent à développer la communion, l’adoration, la formation ou l’évangélisation, elles ne se présentent pas, en tout premier lieu, sous la forme de groupes d’entraide à visée thérapeutique. Les groupes bibliques de quartier sont souvent conçus comme des occasions de vivre une dynamique de partage et de soutien, un temps de formation et d’étude de la Bible en vue de la croissance spirituelle.

La question que nous pouvons alors nous poser est de savoir dans quelle mesure la communauté chrétienne peut répondre aux besoins de relation d’aide, qui s’expriment en son sein, soit par une réponse uniquement individuelle, soit par une réponse plus globale appuyée sur la dynamique des petits groupes d’entraide. Il y a sans doute un équilibre à envisager entre ces deux perspectives complémentaires, dans le cadre ecclésial, pour accompagner la souffrance.

4. La communauté chrétienne partagée entre groupe et individu

La vocation de la communauté chrétienne concerne autant les personnes qui la constituent que les personnes extérieures. L’Eglise, en tant que communauté, est invitée à encourager ses membres à avoir une compréhension et une application meilleures de l’Evangile dans leurs vies personnelle et communautaire. Telle est la mission essentielle que l’Eglise a à remplir en tant qu’ambassadrice du message de la réconciliation avec Dieu. Edmund Clowney note : « Le Seigneur appelle son Eglise à lui rendre un culte et à dispenser l’instruction spirituelle, mais il l’envoie également à travers les siècles et dans le monde entier pour rendre témoignage[118] [126]. » Dans le cadre de son témoignage envers le monde, l’Eglise chrétienne est appelée à se préoccuper de la souffrance des personnes. Pour atteindre cet objectif, elle peut s’engager, en particulier, dans l’action sociale, conçue parfois comme une forme de témoignage au travers des actes ; mais est-ce suffisant ? Daniel Hillion précise :

Les Eglises locales développent souvent divers projets pour venir en aide à leurs membres et aux habitants de leur quartier ou pour soutenir des actions dans les pays en développement. Ces initiatives sont à encourager. On soulignera cependant que le premier moyen par lequel l’Eglise pourra s’engager dans l’action sociale sera tout simplement d’être pleinement l’Eglise là où elle est[119] [127].

Différentes possibilités de soutien diaconal peuvent constituer une forme de service vers l’extérieur. Si la dimension d’entraide et le souci de répondre à des besoins spécifiques sont présents, des petits groupes peuvent se développer et incarner, dans une certaine mesure, une aide relayée par la communauté et ses membres. Tel est le cas, par exemple, de cours d’alphabétisation dispensés dans certains quartiers mais, dans ce type d’action, il n’y a pas une dynamique de relation d’aide, au sens où nous l’entendons. Le relais est souvent pris par des œuvres chrétiennes, dont la vocation consiste à offrir des lieux d’écoute et d’accompagnement pastoral et spirituel ; elles agissent en partenariat avec les Eglises.

N’existe-t-il pas également une forme d’accompagnement interne qui entre dans la mission de l’Eglise ? Il va de soi que, là, ce sont, en premier lieu, les membres de la communauté qui seront concernés. L’individu bénéficiera, en premier lieu, de l’accompagnement pastoral ; Bernard Kaempf précise que la relation d’aide peut être proposée dans le cadre de visites pastorales, de rencontres à la demande des personnes ou au cours d’entretiens spécifiques, mais il n’hésite pas à rappeler que la cure d’âme ou l’accompagnement se fait dans le cadre de la communauté, qui y est impliquée dans la mesure où la cure d’âme fait partie du ministère d’édification de l’Eglise[120] [128]. Faut-il alors concevoir, comme le proposent certaines Eglises, des comités de visites pour accompagner les membres en difficulté, des permanences avec entretiens pastoraux assurées par des personnes qualifiées en relation d’aide chrétienne[121] [129], des petits groupes de croissance ? De telles actions, si elles répondent à un véritable besoin, n’embrassent pas pour autant toute la réalité de l’action dévolue à l’Eglise.

Il est essentiel de rappeler, ici, que la vie chrétienne ne se limite pas seulement à la croissance de l’individu dans sa relation avec Dieu, mais inclut également la croissance de l’individu dans une vie communautaire, en tant que membre du corps dont Christ est la tête. Donald Cobb, en commentant les textes de 1 Corinthiens 12 et d’Ephésiens 2 sur l’unité et la complémentarité dans l’Eglise, en tant que corps de Christ, précise :

Lorsque Paul parle du corps du Christ, il ne fait pas référence à un aspect de la vie chrétienne qui s’ajouterait à ce que l’on fait en tant que croyant. Plus profondément, il parle de la manière dont l’existence chrétienne se construit, se fortifie et prend forme concrètement. Il serait erroné d’affirmer, à partir de ces textes, que la vie en Christ est uniquement une réalité communautaire et il serait tout aussi faux de reléguer la vie de la communauté à un domaine secondaire, voire optionnel de la vie du croyant[122] [130].

Cette dimension de la communauté chrétienne en tant que corps, dépendant de la tête de l’Eglise qu’est Jésus, ouvre des perspectives pour l’accompagnement de la souffrance. Elle donne un cadre clair et encourageant au soutien communautaire. Chaque croyant uni à Christ est en mesure de progresser dans la foi et d’accompagner les autres sur un chemin de progrès spirituel. Paul Wells souligne :

L’union avec le Christ est donc la seule voie par laquelle les croyants peuvent recevoir la bonté qui découle de Christ. Il est évident, dans ce contexte, que le Christ en question est le Christ vivant, et que par la foi nous obtenons ses bénédictions, par le travail secret de l’Esprit. L’union avec le Christ est donc une vivante relation de foi et de confiance qui prend sa source en Christ et se fortifie par le travail de l’Esprit[123] [131].

Etant au bénéfice d’une relation renouvelée avec Dieu par le rédempteur et le médiateur qu’est Jésus-Christ, les effets seront également visibles dans le cadre ecclésial. Dans la mesure où le croyant est uni au Christ et où cette réalité concerne tous les croyants, la communauté chrétienne ne devra pas choisir entre individu et groupe. Elle est concernée par la dimension de la relation personnelle avec Christ, mais aussi de la dimension communautaire dans la mesure où chaque croyant est membre du corps de Christ. Il va de soi que les deux aspects individuel et communautaire ont leur place pour instaurer une relation d’aide chrétienne dans l’Eglise locale. Pourtant, dans des situations extrêmes, appelées parfois des pathologies lourdes, relevant plus de la psychiatrie, l’Eglise doit faire preuve de prudence et, même, avoir la sagesse de passer le relais aux équipes médicales ou de travailler dans le cadre d’un partenariat[124] [132]. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle doit démissionner de sa logique d’accompagnement des personnes, mais qu’elle reconnaît la réalité de ses propres limites et les enjeux de sa vocation première. Lawrence Crabb et Dan Allender précisent :

Nos contemporains sont troublés, agités, furieux, désemparés et inquiets. Ils ont besoin de connaître Dieu et d’apprendre ce que signifie vivre en communion avec lui et avec son peuple. Nos Eglises possèdent des ressources inexploitées pour répondre à ce besoin. Nous ne devons pas persister dans notre routine. Les Eglises locales ont la responsabilité de ramener ceux qui sont troublés à une vie paisible et utile qui peut alors, devant le monde qui observe, porter témoignage à la puissance rédemptrice de Dieu[125] [133].

L’Eglise est donc appelée à vivre et à manifester l’importance de la réconciliation. Le chrétien, qui en est membre, est invité à exercer son rôle d’ambassadeur de la réconciliation, comme l’indique Neal Blough :

La théologie, la prédication et l’évangélisation « évangéliques » soulignent très souvent la notion de réconciliation nécessaire à l’individu et Dieu. Si cet accent est justifié, il néglige cependant l’importance des relations renouvelées et de la réconciliation au sein de l’Eglise, fruit qui découle de l’œuvre même du Christ (Ep 2), sans parler de la réconciliation finale envisagée par l’épître aux Colossiens. (…) Les relations renouvelées et réconciliées entre chrétiens font partie de leur mission dans le monde[126] [134].

Un tel ministère de réconciliation ne peut se limiter à la seule relation entre Dieu et un individu ; il présente des perspectives communautaires. Notre regard sur la famille comme lieu de relations et de transmission de la foi, notre approche des groupes comme lieu de restauration par rapport à la souffrance nous donnent l’occasion de comprendre que la relation d’aide chrétienne a une place dans la communauté. Ermano Genre note :

La théorie de la relation d’aide fondée sur l’Evangile et située historiquement dans le contexte d’une Eglise réformée doit, selon nous, réaffirmer que la dimension communautaire est un élément auquel on ne peut renoncer. S’il est vrai que cette dimension « communauté » est en grande partie perdue, il est vrai aussi que si on ne la reconquiert pas, non seulement la relation d’aide ne se trouvera pas dans un contexte favorable à la croissance, mais il ne sera même plus possible de la pratiquer puisqu’il n’y aura plus d’Eglise[127] [135].

Si nous reconnaissons que la relation d’aide chrétienne répond à la réalité des souffrances de l’individu, si nous considérons qu’elle est essentielle dans le cadre communautaire et qu’elle doit se fonder sur des principes d’anthropologie biblique, elle n’a pas forcément à choisir entre l’individu et le groupe, mais à offrir des réponses adaptées aux situations des personnes, sans pour autant mépriser les fondements doctrinaux essentiels. C’est, en tout cas, l’enseignement qui se dégage de ce premier tour d’horizon des différentes approches de relation d’aide que nous avons tenté de faire.

Conclusion

Devant la question de la souffrance de l’être humain, différentes tentatives de réponses ont été apportées. La foi chrétienne, si elle offre un soutien réel et manifeste, ne donne pas pour autant une assurance préventive à toute forme de souffrance. Donald Carson souligne :

La vérité est que dans les moments où la souffrance est particulièrement vive, les croyances « nues » sont une piètre consolation. Autrement dit, lorsque le chrétien passe par le creuset de la souffrance, l’assurance que son système de croyances est cohérent ne lui suffit pas. Seules la présence du Seigneur lui-même et de son Esprit, une compréhension renouvelée de l’amour de Dieu en Jésus-Christ seront de nature à le soulager (Ep 3.14-21). Cela ne veut pas dire, cependant, que son système de croyances est inapproprié. Cela signifie que, pour pouvoir puiser du réconfort dans ses convictions, le chrétien doit non seulement être persuadé de leur vérité et de leur cohérence, mais également apprendre à les utiliser[128] [136].

C’est donc sur la base d’une relation renouvelée avec le Père, par l’œuvre de Jésus-Christ accomplie à la croix et attestée dans nos cœurs par le Saint-Esprit, que se trouvent les ingrédients essentiels pour que le chrétien soit en mesure de faire face à la réalité de la souffrance humaine. La présente étude avait pour objectif de savoir dans quelle mesure la relation d’aide, qui se développe dans le cadre des Eglises locales, apporte une réponse. A ce niveau, tout dépend de la manière dont la souffrance est comprise et appréhendée. William Kirwan note :

Les troubles mentaux et émotionnels résultent des terribles conséquences de la chute. Dieu, en nous sauvant, amorce en nous un processus de libération de ces conséquences. Car la rédemption n’inclut pas uniquement la guérison avec Dieu, mais aussi la guérison des problèmes émotionnels. Cependant, il est essentiel de se souvenir que les conséquences de la chute sont tellement graves qu’elles ne disparaissent pas dès que l’on se tourne vers Dieu[129] [137].

Les données en matière d’anthropologie biblique que nous avons esquissées montrent que les conceptions de la santé et de la maladie sont différentes selon qu’on se situe dans une perspective chrétienne ou non. Dans une certaine mesure, la conception chrétienne propose une approche plus globale de la personnalité humaine. Ainsi, selon Daniel Bourguet : « Dans la Bible, la maladie est à la fois physique et spirituelle, car l’être humain fait un tout devant Dieu. Aujourd’hui, notre regard est autre, en sorte que pour nous l’intensité de notre vie spirituelle n’est pas reflétée dans notre livret de santé[130] [138]. » Cette approche globale de la personne humaine suppose donc de comprendre l’être humain comme une entité globale.

Un des enjeux du débat, en matière d’anthropologie, consistait à comprendre dans quelle mesure les éléments constitutifs de la nature humaine fonctionnent de manière indépendante ou interactionnelle. Au-delà de la double opposition entre trichotomie et dichotomie, d’une part, et entre monisme et dualisme, d’autre part, il nous a semblé important de reconnaître que le dualisme holistique décrit, sans doute, de la meilleure manière la nature humaine. Cependant, nous avons constaté que les différents courants de relation d’aide chrétienne se positionnent sur des fondements parfois diversifiés en matière d’anthropologie biblique.

Les options de relation d’aide chrétienne existant en France se situent plus souvent dans la lignée d’options de type « trichotomiste » que dans la perspective du dualisme holistique. Or, cette dernière approche nous semble bien plus en harmonie avec les données scripturaires sur la doctrine de l’homme. Dès lors, la question est posée de savoir dans quelle mesure des sources d’influence humaniste ont pu avoir un impact sur le développement des approches de relation d’aide chrétienne. En ce qui concerne les influences directes sur l’anthropologie, nous avons souligné les apports de la philosophie platonicienne comme ceux des stoïciens. Mais la relation d’aide chrétienne a également subi différentes influences comme celles de la psychanalyse de Freud et de ses disciples, de la thérapie existentielle de Rogers, des thérapies cognitives et comportementales[131] [139], de la systémique en matière d’accompagnement des familles et des thérapies de groupe. Et l’une de nos difficultés consiste à déterminer dans quelle mesure l’accompagnement reste fondé bibliquement ou soumis à l’influence parfois trop prépondérante des sciences humaines. Walter Barrett et Jeff de Vriese notent :

La psychothérapie opère à partir de l’homme et par l’homme. Dans ce sens, elle est humaniste, ou plus précisément anthropocentrique (centrée sur l’homme). La relation d’aide chrétienne est centrée sur Dieu. Elle est théocentrique. Bien que la psychothérapie et la relation d’aide chrétienne emploient les mêmes termes (amour, espérance, exemple, etc.), ceux-ci ne recouvrent pas les mêmes concepts : l’espérance mise dans le Dieu vivant est une chose, l’espérance mise dans le thérapeute et ses techniques en est une autre ; le conseiller chrétien ne part pas de n’importe quelle conviction religieuse, il veut que sa thérapie soit en accord avec la vérité de la Parole de Dieu[132] [140].

Le souci d’encourager une approche de relation d’aide chrétienne en accord avec les éléments d’anthropologie biblique vise la réalité de la transformation de l’être intérieur (du cœur, en langage biblique) dont les effets sont également visibles au niveau de la personnalité extérieure. En effet, l’œuvre de transformation du cœur se manifeste aussi dans le style de relations développées avec Dieu, les autres et soi-même. Or, le rôle du conseiller chrétien, qu’il soit pasteur ou non, est de faire faire à la personne en souffrance un cheminement spirituel qui s’apparente au discipulat. Neil Anderson souligne :

Dans la relation d’aide chrétienne, tant pour le conseiller que pour la personne aidée, le cœur de la question est de transformer notre caractère à l’image de Dieu… Si nous ne devenons pas cette sorte de pasteur, de faiseur de disciple ou de conseiller, nous n’entendrons plus jamais d’histoire de la part d’autres personnes, parce que personne ne voudra les partager avec nous. Par conséquent, nous finirons par traiter les symptômes et pas les causes premières. Si nous ne connaissons pas l’histoire complète, nous ne serons pas capables de fournir une réponse complète[133] [141].

C’est ainsi que nous avons noté que cette démarche de type discipulat trouve sa place dans la vie communautaire et qu’il importe, pour chaque communauté, de mener cette réflexion dans le cadre de sa vision ou de son projet d’Eglise. Pour prolonger la réflexion, il nous semble important d’encourager les Eglises à réfléchir aux lieux où pratiquer la relation d’aide chrétienne, aux partenariats possibles avec les œuvres chrétiennes pratiquant la relation d’aide (ou contribuant à la formation dans ce domaine), comme avec les services de soins psychiatriques, quand cela peut s’avérer nécessaire. Un ministère de relation d’aide chrétienne, qui se veut centré sur l’Evangile et sur le renouvellement de l’être intérieur, trouve sa place tant en interne dans nos Eglises que dans les relations de ces dernières avec l’extérieur. Mais, dans ce contexte, il est essentiel de souligner quatre pistes de réflexion pour éviter certains écueils.

Tout d’abord, il semble primordial de donner des bases bibliques claires en matière de formation à la relation d’aide chrétienne, tant sur le plan de la formation initiale que sur celui de la formation continue. Les responsables de nos communautés seront alors en mesure de bien discerner la spécificité d’une relation d’aide chrétienne.

Il paraît également indispensable de promouvoir une réelle apologétique de la relation d’aide chrétienne en reconnaissant les limites inhérentes aux sources d’influence extrabibliques et en rappelant l’importance d’une vue de l’être humain fondée sur une conception dualiste holistique, laquelle souligne la nécessité de la transformation du cœur en raison de l’œuvre du salut accomplie par Jésus-Christ.

Parallèlement, il faudrait encourager un partenariat cohérent entre les Eglises et les œuvres chrétiennes, impliquées dans la pratique et la formation à la relation d’aide, l’objectif étant de promouvoir une approche à la fois respectueuse des fondements bibliques et clairement applicable dans le contexte de l’accompagnement des personnes et prenant en considération la dimension individuelle, comme la dimension communautaire.

Enfin, les communautés chrétiennes pourraient réfléchir à la pertinence de leur engagement afin de développer un réel projet d’Eglise, qui donne l’occasion à leurs membres de comprendre leur vocation et leur rôle dans l’Eglise comme dans le monde. Cette démarche est souhaitable, que l’Eglise soit en phase d’implantation, de développement ou en structuration, voire une Eglise majeure. L’utilisation des dons des uns et des autres de façon cohérente avec les orientations proposées par les responsables permettra de réaliser un tel projet, qui dépasse largement le cadre de notre étude.

Les réflexions proposées jusqu’ici sur l’anthropologie biblique au cœur de la relation d’aide dans l’Eglise appellent, sans aucun doute, un approfondissement. Quatre possibilités existent dans ce domaine.

Avec de telles pistes de réflexion, l’accompagnement de la souffrance pourrait trouver une réponse adaptée à la spécificité de nos Eglises, dont la vocation première n’est pas forcément de devenir des centres d’accompagnement thérapeutique. Paul Kaschel rappelle :

Voici le secret de la paix intérieure en face de personnes ou de circonstances menaçantes. C’est là la vérité qui peut transformer la personnalité de l’intérieur et rendre superflues les habitudes protectrices de soi que la science appellera maladie mentale. Le conseiller, qui est prêt à suivre ce chemin pour lui-même et à accompagner des personnes troublées jusqu’à la croix et au-delà, découvrira que la bonne nouvelle de la vie en Christ, quoique folie pour le monde, est effectivement plus sage que la sagesse des hommes[135] [143].

Revenir à la croix de Christ, comprendre que l’œuvre du salut est essentielle dans le cheminement spirituel des personnes, voir dans quelle mesure elle s’applique à la transformation du cœur et se manifeste dans les relations renouvelées avec Dieu, les autres et soi-même, tel est l’enjeu d’une relation d’aide fondée bibliquement. Elle donne une juste place à la Parole de Dieu, comme le souligne également Edouard Thurneysen :

La forme de l’entretien de cure d’âme est déterminée par sa prétention d’envisager toutes les manifestations humaines, même les plus extrêmes, dans la relation avec Dieu et avec sa parole créée par l’incarnation de Jésus-Christ. Il s’agira donc d’un entretien dans le cadre de la communauté, au cours duquel on sera constamment attentif à la Parole de Dieu, comme aussi à l’homme que l’on a en face de soi, celui-ci ne pouvant accéder à une véritable compréhension de sa vie qu’à la lumière de cette Parole[136] [144].

De tels principes clarifient la place de la relation d’aide, à la fois dans le cadre d’un dialogue ou d’un accompagnement pastoral, d’une mission de la communauté chrétienne qui se préoccupe du développement du ministère de la réconciliation et de l’accompagnement de la souffrance selon des principes fondées bibliquement. C’est à ce prix que la relation d’aide chrétienne pourra se vivre dans le cadre de l’Eglise locale, et ceci à la seule gloire de notre Dieu.


* P. Millemann a fait des études de licence et de master à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Psychologue de formation, il est actuellement président de l’Association des conseillers chrétiens de France, chargé de cours de relation d’aide à l’Institut biblique de Genève et pasteur de l’Association évangélique d’Eglises baptistes de langue française (AEEBLF) à Valentigney (Doubs). Ce travail a été présenté, dans une première version, comme mémoire de master 2.

[1] [145] L. Crabb, Connectés les uns aux autres, une vision radicale et nouvelle, La Clairière, Québec, 1999, 52.

[2] [146] H. Blocher, Le mal et la croix, collection Alliance, Sator, Méry-sur-Oise, 1990, 139.

[3] [147] D. Powlison, Vers une relation d’aide renouvelée, voir la nature humaine selon le regard des Ecritures, collection Paraklesis, Sembeq, Québec, 2011, 11.

[4] [148] La notion de « cœur » présentée ici fait référence à la personnalité intérieure et suppose un changement au plus profond de l’être humain et non en superficie. Le cœur, tel qu’il est présenté dans les textes bibliques, sera davantage explicité dans la deuxième partie de cette étude, dans les sous-chapitres relatifs aux données d’approches holistiques de type dualiste et à leur confrontation à l’anthropologie biblique.

[5] [149] P.D. Tripp, Instruments In The Redeemer’s Hands–People In Need Of Change, Helping People In Need Of Change, P&R Publishing, Philipsburg, 2002, 109.

[6] [150] H. Blocher, « Du Dieu trinitaire à la création : il créa l’homme à son image », Psychologie et foi, Dossiers Semailles et Moissons, n° 4, 1994, 28.

[7] [151] W. Barrett & J. de Vriese, La Bible au centre de la relation d’aide, Editeurs de littérature biblique, Braine l’Alleud, 1994, 11.

[8] [152] D. Déjardin, « Les pouvoirs illimités de la psychologie », Fac Réflexion, n° 37, 1996/4, 24.

[9] [153] J.M. Nicole, Précis de doctrine chrétienne, Institut biblique, Nogent-sur-Marne, 1994, 82-83.

[10] [154] J.-C. Larchet, Théologie du corps, Le Cerf, Paris, 2009, 39-40.

[11] [155] H. Blocher, « De l’âme et de l’Esprit », Ichthus, n° 139, novembre-décembre 1986-6, 6-7.

[12] [156] M. Engeli, « Un équilibre harmonieux pour un être complet, Interrelations et frontières entre la foi chrétienne et la psychologie », Psychologie et foi, Dossiers Semailles et Moissons, n° 4, 1994, 51.

[13] [157] Body, Soul And Life Everlasting : Biblical Anthropology And The Monism-Dualism Debate, Eerdmans Publishing Co., Grand Rapids, 1989, 44.

[14] [158] H. Blocher, « De l’âme et de l’esprit », art. cit., 7.

[15] [159] A. Guillaumont, Un philosophe au désert, Evagre le Pontique, collection Textes et traditions, Vrin, Paris, 2009, 208.

[16] [160] Ibid., 209.

[17] [161] Platon, L’Etat ou la République, livre IV, Lefevre et Charpentier, Editeurs, Paris, 1840, 187.

[18] [162] J.-C. Larchet, Thérapeutique des maladies spirituelles, Le Cerf, Paris, 2008, 131.

[19] [163] Evagre le Pontique, Traité pratique ou le moine II, Sources chrétiennes n° 171, Le Cerf, Paris, 1971, 507-509.

Acédie : accès de langueur ou de découragement.

[20] [164] J. Brunschwig, Les stoïciens et leur logique, collection Histoire de la philosophie, Vrin, 2006, 249.

[21] [165] F.Mouhot, Le moi et l’esprit, voyage au cœur de la psychothérapie, Mediaspaul, Paris, 2008, 62-63.

[22] [166] Dans la théorie freudienne, l’appareil psychique a été présenté, dans un premier temps, par une opposition entre deux instances : conscience et inconscient et, dans un deuxième temps, par une lutte entre le Moi (personnalité intérieure), le Ca (réservoir pulsionnel inconscient) et le Surmoi (instance de censure inconsciente).

[23] [167] F. Mouhot, Le moi et l’esprit, op. cit., 66.

[24] [168] S. Freud, Introduction à la psychanalyse, Petite bibliothèque Payot, Paris, 1961, 239. Cette question est largement développée dans ce livre, particulièrement au chapitre 17 sur le sens des symptômes.

[25] [169] R. Longenecker, Galatians, Word Biblical Commentary Thomas Nelson eds, Nashville, 1990, 267.

[26] [170] B.K. Waltke, An Old Testament Theology, Zondervan, Grand Rapids, 2007, 224.

[27] [171] H.W. Wolff, Anthropology of The Old Testament, SCM Press, London, 1974, voir, en particulier, le chapitre 3, 26-31 pour plus de détails.

[28] [172] J.-C. Larchet, Théologie du corps, op. cit., 13.

[29] [173] X. Lacroix, « Le christianisme méprise-t-il le corps ? », Le corps et le christianisme, sous dir. M. Johner, collection Aiguillages théologiques, Excelsis et Kerygma, Cléon d’Andran et Aix-en-Provence, 2003, 19.

[30] [174] F. Mouhot, Le moi et l’esprit, 145.

[31] [175] C’est l’une des thèses qu’il développera largement dans son livre, Le moi et l’esprit.

[32] [176] L. Crabb, Identité et relations, La Clairière, Québec, 1995, 27.

[33] [177] W. Nee, L’homme spirituel, Editions Vida, Deerfield, 1991, 16.

[34] [178] H. Blocher, « De l’âme et de l’esprit », op. cit., 7.

[35] [179] S. Pacot, L’évangélisation des profondeurs, Le Cerf, Paris, 2011, 19.

[36] [180] T. Huser, « Spiritualités et accomplissement », La spiritualité et les chrétiens évangéliques, volume II, sous dir. J. Buchhold, collection Terre nouvelle, Excelsis, Cléon d’Andran, 1998, 176-177.

[37] [181] H. Blocher, « Le corps, les sentiments et l’intelligence dans la spiritualité », La spiritualité et les chrétiens évangéliques, op. cit., volume I, 46.

[38] [182] F. Hammann, « L’Eglise et la spiritualité, état des lieux », La Revue réformée, n° 257, Kerygma, Aix-en-Provence, 2011/1, 4.

[39] [183] P. Jones, « La vérité de l’Evangile et les mensonges païens », La Revue réformée, n° 251, Aix-en-Provence, 2009/4, 36.

[40] [184] W. Nee, L’homme spirituel, op. cit., 34.

[41] [185] P. Jones, « La vérité de l’Evangile et les mensonges païens », art. cit., 14.

[42] [186] Dans une optique moniste, l’être humain est vu comme un « tout », une unité psychosomatique sans distinction entre les éléments constitutifs de sa nature. Parmi les arguments pour défendre ce point de vue, nous pouvons souligner le fait que chaque élément du corps représente le tout et donc que l’unité psychosomatique est fondée bibliquement. L’usage de l’expression « approche holistique » nous semble mieux correspondre aux données bibliques dans la mesure où cette expression laisse la possibilité de distinguer entre personnalité interne et externe. J. Cooper fournit, dans son livre Body, Soul and Life Everlasting, d’importants développements pour distinguer, l’une de l’autre, une vue moniste et une vue holistique de la personne humaine.

[43] [187] H. Blocher, « De l’âme et de l’esprit », art. cit., 6.

[44] [188] Il peut être utile de préciser, à ce niveau, qu’il existe une double opposition, en anthropologie biblique, entre, d’une part, dichotomie/trichotomie et, d’autre part, entre monisme/dualisme. Cette dernière est plus récente que la précédente. Ces présupposés de monisme, dualisme et trichotomie ont un impact réel sur les conceptions théoriques et pratiques de différentes approches de relation d’aide chrétienne.

[45] [189] Body, Soul and Life Everlasting, op. cit., 37.

[46] [190] J. Poujol, C. Fébrissy, Psychologie et foi, parcours de vie en six étapes, collection Essentiels, Empreinte, Temps présent, Paris, 2009, 9.

[47] [191] B. Cyrulnik, Un merveilleux malheur, Odile Jacob Poche, Paris, 2002, 185-186.

[48] [192] Nous pouvons tirer profit, à ce niveau, des remarques utiles faites sur l’influence de Carl Rogers dans l’accompagnement pastoral, telles que les présente Bernard Kaempf, dans son article « Poïménique » (pp. 159-161), cité en note 52.

[49] [193] C’est ainsi que sont appelées les thérapies dérivées de l’approche de relation d’aide définie par Carl Rogers.

[50] [194] C. Rogers, Le développement de la personne, InterEditions Dunod, Paris, 2005, 123.

[51] [195] B. Kaempf, « Poïménique », Introduction à la théologie pratique, sous dir. B. Kaempf, Presses Universitaires de Strasbourg, 1997, 159-160.

[52] [196] Le parallèle est possible dans la mesure où des vues panthéistes se retrouvent dans la trichotomie spiritualiste, comme dans les vues influencées par le monisme. Dans les premières conceptions anthropologiques, c’est seulement l’esprit qui est concerné, alors que dans les vues monistes, c’est la totalité de la personne qui est concernée.

[53] [197] Il convient cependant, par souci de clarification, de mentionner que si la dérive vers le panthéisme est un lien de convergence, des différences entre vues monistes et trichotomie spiritualiste existent, tout d’abord en ce qui concerne la part de l’homme qui est appréhendée, comme souligné dans la note précédente, et aussi le fait que, dans le domaine du monisme, un accent plus fort est mis sur l’importance de se réaliser, de prendre le contrôle de son existence, d’être réellement acteur de sa vie. Devant un certain pessimisme qui se retrouve dans la trichotomie, avec une modification liée à une partie seulement de l’être, sachant que l’influence sur les autres parties semble limitée, se trouve un optimisme pouvant aller jusqu’à une certaine utopie, dans la capacité de la personne à agir pour améliorer réellement son bien-être.

[54] [198] C. Rogers, Le développement de la personne, op. cit., 138.

[55] [199] H. Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption, collection Didaskalia, Edifac, Vaux-sur-Seine, 2000, 40.

[56] [200] Dans le débat sur de telles questions, les opinions sont diversifiées. J. Cooper, dans son livre Body, Soul and Life Everlasting, présente les différentes options pour aboutir à l’hypothèse du dualisme holistique. Il précise que l’âme et le corps sont provisoirement séparés au moment de la mort terrestre et que l’âme se retrouve dans l’état intermédiaire avant de recevoir le corps spirituel ; il présente une alternative avec l’extinction et la recréation des corps, le corps terrestre subissant la malédiction de la chute et retournant à la poussière en tant qu’entité matérielle. Il reconnaît l’« attribution » d’un corps spirituel au moment de la résurrection finale, mais reste prudent sur la continuité et la discontinuité entre le corps terrestre soumis à la mort et le corps « glorifié » destiné à la vie éternelle.

[57] [201] M. Johner, « Incinération et espérance de la résurrection corporelle », Le corps et le christianisme, sous dir. M. Johner, collection Aiguillages théologiques, Editions Excelsis et Kerygma, Cléon d’Andran et Aix-en-Provence, 2003, 68. On peut aussi tirer profit des prolongements de cet article dans les premières pages « La table ronde II » qui suivent directement dans les pages 89-95, où les intervenants commentent ce que M. Johner décrit dans son article.

[58] [202] P. Berthoud, « L’homme, la mort, la vie : perspectives bibliques », La Revue réformée, n° 149, Aix-en-Provence, 1987, 15.

[59] [203] J.-C. Larchet, Thérapeutique des maladies mentales, Le Cerf, Paris, 2008, 33.

[60] [204] Nous pouvons justifier cette assertion en particulier avec les pages 222-230 du livre de B. Waltke, déjà cité. Il faut toutefois rester prudent avec ce point de vue, dans la mesure où la compréhension d’un mot dépend aussi de l’éclairage de son contexte et des options retenues par les traducteurs pour rendre au mieux le sens du mot.

[61] [205] E. Nicole, « L’Ancien Testament enseigne-t-il la dualité du corps et de l’âme ? », L’âme et le cerveau, l’enjeu des neurosciences, sous dir. L. Jaeger, collection La foi en dialogue, Excelsis & Edifac, Charols & Vaux-sur-Seine, 2009, 85.

[62] [206] J. Buchhold, « L’âme et la continuité de la personne dans la mort », L’âme et le cerveau, l’enjeu des neurosciences, sous dir. L. Jaeger, collection La foi en dialogue, Excelsis & Edifac, Charols & Vaux-sur-Seine, 2009, 127-128.

[63] [207] La dualité renvoie davantage à l’existence de deux choses différentes, alors que la notion de dualisme fait plus référence à l’unité entre ces deux choses qui se traduit aussi par les interactions entre elles.

[64] [208] B.K. Waltke, An Old Testament Theology, op. cit., 225.

[65] [209] Ibid., 225-226.

[66] [210] D. Powlison, Speaking Truth In Love, Counsel In Community, op. cit., 106.

[67] [211] J. MacArthur & W. Mack, Counseling, How To Counsel Biblically, The John MacArthur Pastor’s Library, Thomas Nelson, Nashville, 2005, 9.

[68] [212] J. Adams propose une approche de relation d’aide qui s’appuie sur l’usage de la Bible dans le cadre des accompagnements proposés. Il définit ainsi le nouthetic counseling, qui insiste sur l’œuvre de rédemption du Christ et ses effets. Adams souligne l’importance de la mise en pratique de la Bible et celle de l’exhortation. Adams développe son approche dans plusieurs livres, comme par exemple Competent To Counsel, The Christian Counselor Manual, How To Help People Change… Ses idées ont contribué au développement du Biblical Counseling Movement dans lequel se retrouvent, d’un côté, des auteurs comme P.D. Tripp, D. Powlison et E. Welsch ou, de l’autre, J. MacArthur et W. Mack. Dans la mesure où il existe quelques différences dans la méthodologie proposée par chacune de ces deux approches, il nous a semblé utile de les présenter dans cette partie qui considère l’importance de la transformation du cœur ou de la mentalité intérieure. Nous pourrons également tirer profit de la lecture de D. Powlison, The Biblical Counseling Movement, History And Context (2009), et H. Lambert, The Biblical Counseling Movement After Adams (2012).

[69] [213] P.D. Tripp, Instruments In The Redeemer’s Hands, op. cit., 109.

[70] [214] Ibid., 115-160.

[71] [215] Ibid., 161-198.

[72] [216] Ibid., 199-238.

[73] [217] Ibid., 239-258.

[74] [218] Pour plus de détails sur la méthodologie de relation d’aide proposée, voir le livre coécrit avec J. MacArthur Counseling, How To Counsel Biblically, 101-200. C’est W. Mack qui est l’auteur de ces chapitres qui explicitent la démarche pratique proposée.

[75] [219] J. MacArthur & W. Mack, Counseling, How To Counsel Biblically, op. cit., 102.

[76] [220] Ibid., 131-146.

[77] [221] Ibid., 147-161.

[78] [222] Ibid., 152. W. Mack voit là une approche fondée sur 1Th 5.14, qui propose trois formes d’accompagnement pastoral selon la situation de l’accompagné, tout en soulignant l’importance de la patience.

[79] [223] Ibid., 158.

[80] [224] Ibid., 161.

[81] [225] Ibid., 162-165.

[82] [226] Ibid., 168.

[83] [227] Ibid., 177-178.

[84] [228] Ibid., 190-200.

[85] [229] H. Bavinck, Part V : « The Image of God », in Reformed Dogmatics, Volume 2, God and Creation, Baker Publishing Group, Grand Rapids, 2004, 511.

[86] [230] Cette question de la triple relation est largement développée par A.A. Hoekema, Created In God’s Image, dans les pages 75-82, au paragraphe « Man In His Threefold Relationship ». De son côté, H. Bavinck invite également à ne pas chercher à voir, dans l’être humain, quelles sont les parties « image de Dieu » et celles qui ne le sont pas. Il souligne que tout l’être est image de Dieu, ce qui inclut l’ensemble des éléments qui le composent : corps, âme, esprit, cœur… Les éléments de son argumentation sont développés dans les pages 554-562 du chapitre 12, au paragraphe « The Whole Person As The Image Of God », dans le volume II de la dogmatique réformée (citée dans la note précédente). Le corps est donc concerné par l’image de Dieu et il n’est pas légitime, au regard des données bibliques, de justifier une anthropologie platonicienne ou gnostique qui ferait du corps une entité mauvaise et de l’âme ou de l’esprit ce qui serait bon et parfait.

[87] [231] H. Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption, op. cit., 35-36.

[88] [232] Terme repris dans l’article d’H. Blocher, « L’homme », Le Grand Dictionnaire de la Bible, sous dir. C. Paya, collection OR, Excelsis, Cléon d’Andran, 2004, 724.

[89] [233] A.A. Hoekema, Created In God’s Image, Eerdmans Publishing Company, Grand Rapids, 1994, 83.

[90] [234] J.-C. Larchet, Théologie de la maladie, Le Cerf, Paris, 2001, 24-25.

[91] [235] Cf., par exemple, 1 Corinthiens 2.11-3.4 avec les portraits de l’homme naturel, charnel et spirituel.

[92] [236] A.A. Hoekema, Created In God’s Image, op. cit., 83.

[93] [237] T.S. Lane & P.D. Tripp, Changer vraiment, comment ?, Ministères Multilingues, Québec, 2007, 42.

[94] [238] P. Watzlawick, J. Helmick Beavin, Don D. Jackson, Une logique de la communication, collection Points Essais, Le Seuil, Paris, 1972, 42. Les apports théoriques de l’école de Palo Alto, en Californie, dont les travaux ont été inspirés par les recherches de G. Bateson, ont constitué une rupture épistémologique avec les théories psychologiques développées par S. Freud et ses disciples dans la psychanalyse et, dans une certaine mesure, par C. Rogers avec les thérapies dites « humanistes » et « existentielles », qui sont inspirées des travaux de ce dernier. Les études sur la communication dans le cadre de la schizophrénie et, en particulier, la double contrainte dans le processus de communication ont posé les prémisses de cette nouvelle approche appelée « thérapie systémique » en référence aux propriétés spécifiques des systèmes et de la cybernétique, dont les applications et les implications pratiques se retrouvent dans leur modèle thérapeutique.

[95] [239] Les recherches de Bateson, anthropologue de formation, se sont intéressées aux paradigmes fondant l’évolution d’une société. Dans son optique, un groupe d’éléments, en interaction les uns avec les autres, est considéré comme un système. Bateson et ses successeurs ont vu l’application de quatre propriétés des systèmes aux groupes humains, comme les familles, les associations de personnes… Ces propriétés concernent la totalité (les propriétés d’un ensemble sont plus importantes que la somme des propriétés de chaque élément), l’homéostasie suppose que chaque système tend à maintenir un certain équilibre, ce qui suscite, par voie de conséquence, des résistances à tout changement et la dernière propriété des systèmes, l’équifinalité, suppose que, si deux systèmes ont des conditions initiales au départ, ils peuvent évoluer de façon différente. Les études de Bateson, dans le cadre du Mental Research Institue (MRI) de Palo Alto, se sont intéressées à l’application de ces quatre propriétés des systèmes aux relations humaines. Ils ont étudié, en particulier, l’impact des modes de communication (entre le langage implicite et explicite) dans la relation entre les schizophrènes et leurs familles, en posant l’hypothèse de la double contrainte dans le langage dont l’un des exemples est l’injonction « sois autonome ! » ou « sois spontané ! ». Les travaux de Bateson sont repris dans les deux tomes de son livre Vers une écologie de l’esprit ou dans les livres de P. Watzlawick, Une logique de la communication. Changements, paradoxes et psychothérapies.

[96] [240] C. Seron, J.-J. Wittezaele, Aide ou contrôle, l’intervention thérapeutique sous contrainte, De Boeck Université, Bruxelles, 1991, 26-27.

[97] [241] H. Blocher, « L’Eglise et la place des enfants », Fac Réflexion, n° 1, 1986, 19-20.

[98] [242] A.-M. Sirakorzian, Un chemin de libération, se réconcilier avec son héritage familial, culturel et spirituel, Editions Compassion, Marseille, 2009, 17.

[99] [243] M. Johner, « La famille, produit culturel ou ordre créationnel fondateur », La Revue réformée, n° 220, Aix-en-Provence, 2002/5, 39.

[100] [244] L. Crabb, Identité et relations, op. cit., 23-24.

[101] [245] Il importe tout de même de souligner que ce texte paulinien s’applique, en tout premier lieu, au contexte de l’Eglise. Par extension, il est possible de l’étendre aux relations familiales et aux relations sociales.

[102] [246] A.-M. Sirakorzian, Un chemin de libération, op. cit., 61.

[103] [247] Ibid., 145.

[104] [248] B. Cyrulnik, Les vilains petits canards, Odile Jacob Poche, Paris, 2004, 127-128.

[105] [249] G. Ausloos, La compétence des familles, temps, chaos, processus, collection Relations, Eres, Ramonville Saint-Agne, 2007, 35. G. Ausloos ne définit pas, ici, ce qu’il entend par le terme « d’autosolution ». Le contexte de son écrit spécifie, cependant, le souci de redonner la compétence aux parents. Dans son optique, les parents doivent trouver ou retrouver les moyens de faire face aux problèmes qu’ils rencontrent.

[106] [250] Voir, pour plus de détails, la section 1 de cet article « Les options déterministes de la relation d’aide » et, en particulier, le § 1 « Approches fondées sur la trichotomie rationaliste ».

[107] [251] E. Schaeffer, What Is A Family ?, Fleming H. Revel Company Old Tappan, 1975, 69.

[108] [252] R. Bergey, « L’alliance et la famille, au travers de l’Ancien Testament », La Revue réformée, n° 220, Aix-en-Provence, 2002/5, 4.

[109] [253] Ibid., 12.

[110] [254] G. Campbell, « L’alliance et la famille au travers du Nouveau Testament », La Revue réformée, n° 220, Aix-en-Provence, 2002/5, 13.

[111] [255] Ibid., 25-26.

[112] [256] C. Schwartz, Le développement de l’Eglise, une approche originale et réaliste, Empreinte Temps présent, Paris, 1996, 32.

[113] [257] N. Cole, Une Bible, du café… des disciples, vers une multiplication de disciples, Clé, Lyon, 2005, 116.

[114] [258] Nous retrouvons effectivement le rôle de la parole, de la confession des péchés et de la prière, qui caractérisent la relation d’aide « nouthétique » de J. Adams, telle qu’il la présente dans son livre Competent To Counsel.

[115] [259] Dans les thérapies de groupe, les orientations psychologiques restent présentes. Nous pouvons en noter essentiellement quatre : la psychanalyse développée par Freud, les approches humanistes et existentielles de Rogers et de ses disciples, les thérapies d’orientation systémique et les thérapies cognitives et comportementales dont nous n’avons pas parlé dans cette étude. Voir aussi, à ce sujet, la remarque en note 130 dans la conclusion.

[116] [260] P. Coulon, Les groupes d’entraide, une thérapie contemporaine, Editions L’Harmattan, Paris, 2009, 30.

[117] [261] Voir en particulier les chapitres 1 (pages 17-36), 2 (pages 37-56) et 3 (pages 57-79) de son livre cité en note précédente.

[118] [262] E. Clowney, L’Eglise, collection Théologie, Excelsis, Charols, 2009, 184.

[119] [263] D. Hillion, « Action sociale », Dictionnaire de théologie pratique, sous dir. Christophe Paya & Bernard Huck, collection OR, Excelsis, Charols, 2011, 78.

[120] [264] Voir en particulier les pages 163 à 166 de son article « Poïménique » sur la question des lieux et occasions pour la cure d’âme. Nous pouvons aussi tirer profit des réflexions de Christophe Paya dans l’article « Accompagnement pastoral » du Dictionnaire de théologie pratique (pages 39-51).

[121] [265] Si tel est le cas, toute la question de l’orientation retenue pour la formation à la relation n’est pas anodine. Nous avons pu constater, dans les deux premières parties de notre étude, que les différentes formes de relation d’aide pratiquées étaient parfois discutables en raison de leurs prémisses en matière d’anthropologie. Cette réalité se retrouve également dans le cadre des différentes formations proposées en relation d’aide.

[122] [266] D. Cobb, « S’édifier les uns les autres : la dimension communautaire de l’édification chrétienne », La Revue réformée, n° 257, Kerygma, Aix-en-Provence, 2011/1, 23-37. Dans cet article, D. Cobb rappelle que la communauté en tant que corps de Christ contribue particulièrement à l’édification du croyant.

[123] [267] P. Wells « L’union avec Christ. Au cœur de la doctrine chrétienne selon Jean Calvin », La Revue réformée, n° 257, Kerygma, Aix-en-Provence, 2011/1, 43.

[124] [268] Cette question délicate dépasse l’objet de cette étude. Il faut toutefois souligner que le pasteur ne peut pas exercer la médecine, qui ne relève pas de ses compétences, et qu’il doit pouvoir reconnaître ses limites en termes d’accompagnement de la souffrance et passer le relais. Une formation suffisante peut aider à discerner de telles limites dans la pratique. L’excès inverse serait, sans doute, pour le pasteur de démissionner de toute forme d’accompagnement pour passer le relais aux psychologues ou psychothérapeutes extérieurs, ce qui n’est pas non plus une solution idéale. D’autre part, le rôle du médecin psychiatre peut être, par exemple, de proposer un traitement adapté à la situation de la personne, pour aider à stabiliser son humeur. Les médicaments prescrits ne vont pas forcément résoudre les problèmes de fond, mais créer un état d’apaisement des troubles de l’humeur qui la rendront accessible à d’autres traitements comme, par exemple, un accompagnement pastoral. C’est en ce sens qu’il faut développer un partenariat cohérent entre psychiatre et pasteur dans le respect des compétences de chacun avec leurs limites. J. Adams plaide en ce sens, comme le note D. Powlison : « Adams propose une reconfiguration des droits et des responsabilités de ceux qui étudient et accompagnent les difficultés de la vie de personnes en souffrance. Il soutient que la relation d’aide est pour les pasteurs tout en déléguant la recherche scientifique aux psychologues et la pratique médicale aux psychiatres. » (D. Powlison, The Biblical Counseling Movement, History and Context, op. cit., 149).

[125] [269] L. Crabb et D. Allender, L’encouragement, Sator, Mery-sur-Oise, 1988, 11.

[126] [270] N. Blough, « Réconciliation communautaire », Dictionnaire de théologie pratique, op. cit., 595-596.

[127] [271] E. Genre, La relation d’aide, une pratique communautaire, Labor et Fides, Genève, 1997, 197.

[128] [272] D. Carson, Jusques à quand ? Réflexions sur le mal et la souffrance, collection Sel et lumière, Excelsis, Cléon d’Andran, 2005, 21.

[129] [273] W. Kirwan, Les fondements bibliques de la relation d’aide, collection Terre nouvelle, Excelsis, Cléon d’Andran, 1999, 223.

[130] [274] D. Bourguet, Les maladies de la vie spirituelle, collection Veillez et priez, Réveil Publications, Lyon, 2000, 22.

[131] [275] Nous n’avons pas réellement montré ici les liens entre les thérapies cognitives et comportementales (TCC) et la relation d’aide chrétienne, qui auraient pu faire l’objet d’une étude parallèle. Il faut cependant les citer ici dans la mesure où les TCC constituent un des modèles thérapeutiques séculier les plus proches de la relation d’aide biblique. C’est, en tout cas, une thèse que défendent N. Anderson, T. et J. Zuehlke dans leur livre Christ Centered Therapy, The Pratical Integration of Theology and Psychology. Si les TCC travaillent sur le renouvellement de l’être intérieur au niveau des pensées, de l’intelligence, du raisonnement, de l’entendement et des émotions, ou pour le transposer en langage d’anthropologie biblique au niveau du cœur, l’approche proposée par les TCC n’en reste pas moins non normative et ne propose pas une guérison de l’homme intérieur par l’œuvre du salut accomplie par Christ.

[132] [276] W. Barrett & J. De Vriese, La Bible au centre de la relation d’aide, op. cit., 32.

[133] [277] N.T. Anderson, Discipleship Counseling, The Complete Guide To Helping Others Walk In Freedom And Grow In Christ, Regal Books, Ventura, California, 150.

[134] [278] Voir en particulier l’Institution la religion chrétienne de Jean Calvin, IV,iii,1-9, ce qui correspond aux pages 986-995 dans la version français moderne de 2009. Les éléments qu’il propose fixent des bases essentielles pour l’organisation de l’Eglise et les rôles de ses responsables, en fonction des ministères présentés par Paul en Ephésiens 4.

[135] [279] P.E. Kaschel, « Le message de la croix dans la relation d’aide », Aimer et Servir, n° 65, Bulletin de l’Union évangélique médicale et paramédicale, février 1986, 28.

[136] [280] E. Thurneysen, Doctrine de la cure d’âme, collection Bibliothèque théologique, Delachaux et Niestlé, 1958, 83.