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L’influence de notre culture sur la louange

L’influence de notre culture sur la louange

Daniel SAGLIETTO*

Dans beaucoup de nos Eglises évangéliques, les temps de louanges ont acquis une place importante à l’intérieur du culte. Ceci est une grâce que Dieu nous accorde de pouvoir le louer avec tout notre être : notre intelligence, notre cœur, nos émotions et notre corps. Cela constitue un moyen de grâce par lequel le Saint-Esprit agit pour que Dieu soit glorifié et que l’Eglise soit édifiée (Ep 5.19). Mais dans la variété des cantiques récents à notre disposition, il nous arrive, souvent, de chanter certains textes très flous qui ne reflètent pas ce qu’enseigne la Parole de Dieu. A propos de l’adoration, E. Clowney a souligné à juste titre que : 

 L’adoration n’est pas une faculté de l’imagination qui nous permettrait de nous projeter hors de nous pour entretenir une émotion religieuse. Le culte comme la religion ne peuvent être définis indépendamment de Dieu, car la louange est la réponse de la créature à la gloire révélée du Créateur. Lorsque l’adoration et la piété sont vouées à un dieu inférieur, la nature même de ce culte est faussée. Cette perversion est le commencement de la spirale descendante de l’idolâtrie que l’apôtre Paul décrit (Rom 1.18-32). Le culte ne dégénère pas aussitôt dans la prostitution sacrée ou la débauche, mais il se corrompt dès lors que la créature humaine refuse de reconnaître Celui qui, seul, est digne d’être adoré, à qui l’on doit une entière dévotion, absolue, irrévocable (Rom 1.21-23)[1] [1].

Il apparaît ainsi, de façon claire, que notre louange collective est un témoignage de notre dévotion personnelle au sein du corps de Christ. Aussi, comme membres du « corps de Christ »[2] [2] fondé sur le « fondement des apôtres et des prophètes »[3] [3], les chants dans les  moments de culte doivent-ils normalement refléter ce que croit la communauté, ce sur quoi elle fonde sa vie, ce qu’elle considère comme son véritable trésor. Il convient donc de se demander quelle est l’origine des cantiques qui sont en dissonance avec la Parole de Dieu. Une grande partie d’entre eux ont pour auteur des « artistes » dont les convictions ne sont pas nettes. Mais est-ce la seule explication ? Il est raisonnable d’imputer aussi l’origine de la situation à l’influence malheureuse de présupposés culturels ambiants. Tel est l’objet des développements suivants.

1. La louange 

La louange est, d’abord, une offrande qui peut avoir différentes formes, une reconnaissance envers le Créateur. En effet, « la gloire transcendante de Dieu suscite la louange[4] [4] » et la « gloire merveilleuse de Dieu, révélée dans l’Evangile, [qui] est la gloire de sa grâce[5] [5] ». C’est cette « gloire du Seigneur qui produit notre adoration [qui] devient une bénédiction [et] qui transforme sans cesse notre existence, et cela nous rendra enfin semblables à Jésus-Christ[6] [6] ». La louange est ainsi une offrande suscitée par la reconnaissance envers Dieu, destinée à adorer Dieu de tout notre être, en communion avec nos frères et sœurs :

Que la parole de Christ habite parmi vous abondamment ; instruisez-vous et exhortez-vous les uns les autres en toute sagesse, par des psaumes, par des hymnes, par des cantiques spirituels, chantant à Dieu dans vos cœurs sous l’inspiration de la grâce. (Col 3.16)

Ce verset met en évidence quatre éléments qui me paraissent fondamentaux, quatre secteurs dans lesquels la culture ambiante de ce monde essaie de s’immiscer pour les corrompre :

2. La gangrène de la culture ambiante 

Nous allons maintenant voir que la culture ambiante attaque ces quatre secteurs de façon évidente et va jusqu’à infecter certains de nos cantiques.

a) Le postmodernisme et le relativisme 

La société est profondément marquée aujourd’hui par le postmodernisme et le relativisme. La notion de « vérité » est devenue une valeur à décliner au pluriel pour un même sujet, alors que son étymologie ne le permet pas. En effet, notre société est devenue tellement tolérante qu’elle en est venue à être intolérante vis-à-vis de l’« absolu », de tout ce qui peut paraître « ultime » pour lui-même. C’est ainsi que la foi réformée est rejetée parce qu’elle défend l’orthodoxie fondée sur l’enseignement apostolique. Les notions de chute, de dépravation totale, de providence, de souveraineté, de rédemption, de propitiation, de jugement sont insupportables pour nos contemporains. C’est malheureusement ce que l’on peut trouver parfois dans certains cantiques qui manquent tellement de « spécificité » qu’un mormon ou un témoin de Jéhovah pourrait les chanter aussi. Cela ne signifie pas que tous les chants devraient être une déclinaison du Symbole des apôtres, mais devrait nous inviter à scruter les doxologies présentes dans le Nouveau Testament. Nous y verrions des caractéristiques théocentriques et christocentriques fondamentales pour la foi apostolique. Notre louange devrait exprimer notre foi qui est fondée sur ce que nous « a dit le Fils en ces temps qui sont les derniers[9] [9] », et non « une foi » parmi tant d’autres. Par exemple, Dieu est souvent chanté :

La seule manière de remédier à cela est de faire prévaloir la gloire unique de notre Dieu créateur et trois fois saint (transcendance), gloire qui s’est manifestée à la croix dans le sacerdoce parfait et unique de Jésus-Christ (immanence).

b) Le danger de l’individualisme 

La société française est devenue foncièrement individualiste et particulièrement rebelle à toute forme d’autorité (c’est là sûrement un héritage de 1968). Aujourd’hui, il suffit de regarder les publicités pour voir que la cible première est l’individu et son épanouissement. Or, en Ephésiens 5.19 comme en Colossiens 3.16, le contexte immédiat des exhortations pauliniennes est celui de l’édification  réciproque au sein du corps de Christ pour glorifier Dieu. Paul nous encourage à nous exhorter les uns les autres, à nous instruire les uns les autres. Si l’individualisme s’introduit dans notre louange, il peut se manifester de deux façons très dangereuses :

 

La gloire de Dieu et non celle de l’homme doit être au centre des cantiques. Cela apparaît difficile dans société qui chérit sa « liberté » par-dessus toute autre chose, plus même que celle des autres, car un Français n’a « ni dieu, ni maître ».

c) Le danger d’une louange « thérapeutique » 

Michael Horton, dans Christless Christianity[11] [11], utilise l’expression de « thérapie moraliste déiste », tirée de l’analyse sociologique faite par Christian Smith et Marsha Witten pour décrire la jeunesse américaine. Cette expression décrirait la « foi évangélique » de la jeunesse « évangélique » (toutes traditions confondues) aux Etats-Unis. Cette « foi  thérapeutique» implique les convictions suivantes :

Cette étude porte sur la population américaine ; cependant, on peut y retrouver plus ou moins les présupposés de nombre de nos contemporains sur ce qu’est la religion chrétienne. C’est, en effet, malheureusement, ce qui constitue la foi de certains dans nos propres Eglises. C’est particulièrement le cas pour la troisième caractéristique, qui est bien présente dans la société française. Celle-ci est, en effet, celle qui consomme le plus d’anxiolytiques et d’antidépresseurs[12] [12] (5 millions de Français) ; elle est également très dépendante de ses psychologues et des séances de coaching.

Notre société est engagée dans une véritable poursuite d’un « bonheur » égocentrique et beaucoup de nouveaux cantiques se focalisent sur un « bonheur » fondé sur la paix (uniquement émotionnelle et non celle qui découle explicitement de la réconciliation en Christ), la douceur, la bienveillance de Dieu. Malheureusement, au lieu de magnifier et de glorifier Dieu, nous élevons nos besoins au-dessus de Dieu et nous voulons que des cantiques riches en métaphores et en images poétiques nous procurent une sorte de paix, alors que celle-ci est déconnectée de l’œuvre de Christ à la croix. C’est ainsi que le risque est grand de succomber au danger de l’émotion à outrance (par les paroles ou par la musique) en se déconnectant des réalités bibliques de la rédemption et de l’intercession du Fils auprès du Père. Nous pouvons trop souvent ainsi nous adonner à une louange « thérapeutique »  et non « confessante ».

d) Un évangile « romantique » 

Il est impossible de  ne pas remarquer que les vérités fondamentales qui décrivent la grâce et l’œuvre propitiatoire de Christ sont de moins en moins présentes dans nos chants. En effet, notre société pluraliste ne supporte pas la notion d’exclusivisme qui caractérise la doctrine biblique de la rédemption. Si nous abordons les thèmes de l’exclusivité du salut en Jésus-Christ seul, nos contemporains, bien qu’ils rejettent l’existence de Dieu, nous reprocheront d’être intolérants vis-à-vis des autres religions et de manquer d’amour et de générosité. En plus de vouloir défendre un relativisme qui fait de Dieu une valeur obsolète et optionnelle, notre société est si imprégnée de romantisme à « fleur de peau » qu’elle estime que la notion d’un jugement universel divin envers l’humanité à cause de son rejet de Dieu est inacceptable. Si un Dieu existe, il doit nécessairement être amour : un amour tel qu’il  est exclu qu’il soit juge en même temps. Comme nous voulons non pas « choquer » mais rendre l’Evangile « accessible », nos cantiques sont de plus en plus « dépouillés » de ces vérités fondamentales liées à notre dépravation naturelle et à l’exclusivité du salut en Jésus-Christ seul, par le moyen de la foi. Si la louange est adressée à Dieu (et il faut qu’elle le soit !), nous ne devons pas louer un dieu que nous aurions façonné selon notre idée de ce qu’il devrait être. Il importe plutôt de chanter des chants qui soient de profondes louanges de qui est Dieu. Si nous affaiblissons, dans nos chants, le témoignage biblique sur la sainteté et la justice de Dieu, nous transformons l’amour de Dieu manifesté à la croix en œuvre « incohérente ». En effet, si la « justice de Dieu » et sa « sainteté » sont mises de côté, pour quelles raisons  fallait-il que Dieu le Fils s’incarne et meure sur la croix ? Un tel abandon des dimensions expiatoires et propitiatoires fait courir le risque de se limiter à une définition « exemplaire » de la croix. On aurait ainsi tendance à aborder, dans les chants, la thématique de la « croix » comme étant un exemple de l’« amour » que nous avons à nous manifester les uns aux autres. Une telle attitude est inacceptable au vu des Saintes Ecritures, car Jésus-Christ s’est offert comme victime « propitiatoire » au Père pour notre rédemption, et il a donné sa vie en « rançon pour beaucoup[13] [13] ».

3. Conclusion

Il convient donc de veiller à ce que nos nouveaux cantiques soient exempts des quatre présupposées culturels qui constituent une véritable gangrène : le relativisme, l’individualisme, le consumérisme thérapeutique, le sentimentalisme « mielleux ». Pour cela, le mieux est de retourner au fondement biblique de notre foi et de découvrir (ou de redécouvrir) les trésors immenses contenus dans les hymnes des générations de croyants qui nous ont précédés. Comme Wesley le conseillait[14] [14] :

Par-dessus tout : chantez spirituellement. Ayez un regard vers Dieu dans chaque parole que vous chantez. Ayez à cœur de lui plaire plus qu’à vous-mêmes ou à quelque autre créature. C’est pourquoi faites strictement attention à ce que vous chantez et veillez à ne pas laisser vos cœurs être détournés (de Lui) par les sons, mais qu’ils soient constamment offerts à Dieu[15] [15]

Ne nous effrayons pas de ce que notre louange puisse être perçue comme un « territoire inconnu » par nos contemporains. C’est justement ce Dieu qui leur est « inconnu » que nous leur annonçons au travers de la révélation pleine et entière que nous en avons en Jésus-Christ. La louange reflète souvent une réalité étrangère à ce monde et à ses présupposés relativistes. Tout comme en Apocalypse 4 et 5, ce sont le « trône de Dieu » et « l’agneau immolé qui se tient debout» qui doivent être au centre de notre louange, de nos affections, de nos méditations. Ainsi, comme le souligna Cornelius Van Til[16] [16] à propos de l’éducation et de la culture, il est important que, dans l’écriture des cantiques, nous œuvrions en résonance avec les trois facettes du ministère parfait qu’a accompli Christ : prophète, prêtre et roi. Jésus-Christ est le prophète parfait (car il est le Logos éternel de Dieu qui nous a révélé le Père[17] [17]), le prêtre parfait (il a offert son corps en sacrifice pour nous une fois pour toutes[18] [18]) et le roi parfait éternel qui siège à la droite du Père et règne[19] [19].  Ainsi, il faudrait que nos cantiques soient :

Il faut souhaiter que nos chants ne soient plus des « dérivés » de la culture ambiante, « vaporisés » d’un « parfum évangélique », mais plutôt qu’ils soient saturés de l’Evangile et offrent, à un monde qui est en pleine « dérive », une vision du « trône de Dieu » et de « l’agneau immolé qui se tient debout ».


* D. Saglietto est étudiant à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] [21] E.P. Clowney, L’Eglise, Ed. Excelsis, 2000, 122.

[2] [22] Ep 5.23.

[3] [23] Ep 2.20.

[4] [24] E.P. Clowney, op. cit.,122.

[5] [25] Ibid., 123.

[6] [26] Ibid., 124.

[7] [27] 2 Co 4.4-6 ; Ep 2.8 ; Jn 1 et  3.

[8] [28] Rm 3.21-28 ; 2 Co 5.17ss.

[9] [29] Hé 1.1-2.

[10] [30] J’emprunte cette expression à Jim Hamilton (God’s Glory in Salvation through Judgment, Crossway 2010) qui l’utilise pour définir le centre de la théologie biblique.

[11] [31] M. Horton, Christless Christianity, Baker Books, 2008, 40ss.

[12] [32] http://www.scienceshumaines.com/-0aantidepresseurs–un-choix-collectif–0a_fr_14006.html [33].

[13] [34] Mc 10.45.

[14] [35] J’apprécie cette parole de Wesley même si on peut y déceler une certaine tendance augustinienne de méfiance vis-à-vis des arts et des sentiments qui y sont mêlés (« détournés par les sons »).

[15] [36] A. Kuen, Oui à la musique, chap. 4. (http://louange.org/html/index.php?name=News&file=article&sid=25&theme=Printer [37])

[16] [38] http://www.sermonaudio.com/sermoninfo.asp?SID=1220039319 [39]

[17] [40] Jn 1 ; Hé 1.

[18] [41] Hé 10 ; Rm 8.34 ; Hé 1.3.

[19] [42] 1 P 3.22 ; Ep 1.21.

[20] [43] 2 Co 2.21.