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MÉDITATION : Jésus face à la mort de Lazare et à sa propre mort

MÉDITATION

Jésus face à la mort de Lazare et à sa propre mort

(Lectures bibliques: Jean 11.32-44, 12.20-33)

Frédéric HAMMANN*

Vivre et mourir

Apprendre à vivre, apprendre à mourir

Qui et que suis-je face à ma propre mort?…

En ces jours de mars, nous sommes en chemin vers le Vendredi-Saint et Pâques, et je vous propose ce matin, pour notre méditation, de nous arrêter quelques instants sur le trouble et la souffrance de Jésus de Nazareth dans les textes que nous venons d’entendre.

Jésus est en marche vers Jérusalem. Il se dirige vers sa mort en sacrifice sur la croix. Il sait ce qui l’attend. Dans l’évangile de Jean – et c’est également le cas dans les synoptiques – la tension se fait de plus en plus perceptible et Jésus, le Christ, le Messie promis et attendu, est de plus en plus seul. Les foules sauront-elles dépasser le stade de l’étonnement et reconnaître en lui ce qu’il est vraiment? Quant aux disciples, leur foi est-elle suffisamment enracinée et mûre pour pouvoir affronter ce qu’ils vivront dans les jours à venir?

Jésus et les siens marchent vers Jérusalem. Pourtant ce n’est pas dans la grande ville – ou à peine hors de ses murs, sur la colline de Golgotha – que le Christ va être confronté à la mort de façon toute particulière. C’est à Béthanie, à quelques kilomètres de là.

Vous connaissez probablement le récit. Lazare est malade et Jésus, averti, reste encore deux jours à l’écart, disant à ses disciples que cette maladie est non pas pour la mort mais pour la gloire de Dieu…

Quand enfin il arrive, il est trop tard, du moins aux yeux de tous. Lazare est mort. Et face à la souffrance et la peine, Jésus est troublé et pleure.

Les termes utilisés pour décrire l’attitude et les sentiments de Jésus sont divers, étonnants, et certains semblent exprimer une sorte d’irritation, presque de colère. C’est un trouble intérieur très grand, mêlé à une peine bien réelle. [Verset 33: enebrimèsato tooi pneumati (il frémit / fut courroucé / fut violemment ému en son esprit); etaraxen heautooi (fut troublé en lui-même). Verset 35: pleura, emploi de dakruein, alors que les pleurs de Marie et des Juifs sont rendus par le verbe klaiein.]

Comment interpréter cela? Que veulent dire ce trouble, ces pleurs?

Les réponses divergent, mais s’excluent-elles vraiment?

Pour les uns, Jésus est peiné par le manque de foi de ceux qui sont là, autour de lui: « Ah, si tu avais été là! » « Il a guéri l’aveugle, ne pouvait-il rien faire pour son ami? » Jésus de Nazareth est-il donc irrité par ces hommes et ces femmes qui n’ont toujours pas compris qui il est réellement?

Pour d’autres, c’est bien Lazare, son ami, qu’il pleure. Mais le Fils de l’homme peut-il vraiment pleurer la mort de Lazare alors qu’il sait ce qu’il est sur le point d’accomplir? N’a-t-il pas déclaré que cette maladie, et donc son dénouement, était pour la gloire de Dieu?

Pour d’autres encore, le trouble du Christ – voire sa colère – est dirigé contre la mort elle-même; cette ennemie qu’il est venu combattre. Face au tombeau de Béthanie, c’est à sa propre mort, imminente, que le Fils de l’homme est renvoyé…

Quelque temps après, à Jérusalem, alors que, cette fois, l’heure est venue, le trouble réapparaît. [12.27: nun hè psuchè mou tetaraktai (verbe identique à celui de 11.33).] « Maintenant mon âme est troublée. Que dirais-je?… Père, sauve-moi de cette heure? Mais c’est pour cela que je suis venu… » Ainsi l’angoisse, voire l’hésitation, ne furent pas uniquement présentes dans la nuit de Gethsémané. Illustration non pas d’une communion rompue entre le Père et le Fils, mais preuve s’il en est que, dans son humanité, Christ est vraiment l’un des nôtres, jusque dans la confrontation avec la mort; même si, alors qu’il prend sur lui la condamnation du genre humain, sa situation est – et que Dieu en soit loué! – unique.

Jésus pleura. Ne voyons pas là seulement une irritation provoquée par le manque de foi de certains. Bien sûr, l’heure approche et l’ultimatum du Maître, le « Crois seulement! », devient plus pressant que jamais; mais, devant le tombeau de Béthanie, le Fils de l’homme est face, non pas uniquement à la non-foi des uns, mais à son obéissance active et totale à la volonté du Père.

« Vivre et mourir… fin de vie et accompagnement. »

Toutes nos paroles face à la souffrance et à la mort seront toujours partielles et souvent maladroites. Mais à la lumière de ce que le Christ a lui-même vécu et accompli, une parole est possible. Parole de foi, d’espérance et de reconnaissance. En Christ et en lui seul, la mort n’est pas l’absurde absolu ni la Fin. La question est alors de savoir ce vers quoi nous portons notre regard. Est-ce vers la fin de cette vie présente, avec parfois l’angoisse d’une éventuelle déchéance, ou est-ce vers la vie que nous avons en lui, par lui et pour lui?

Dans les deux récits que nous avons lus, Jésus est certes confronté à sa propre mort, mais il ne cesse d’être le Bon Berger, le Maître, le pédagogue par excellence, qui se soucie de nous.

Les textes le disent clairement: tout ce qui arrive est destiné avant tout à la foule. En effet, à peine après avoir dit: « Otez la pierre! », Jésus lève les yeux au ciel, rend grâce à Dieu en disant qu’il savait que son Père l’exauce toujours et il précise que c’est pour la foule que cela a lieu. Ensuite seulement, il ordonne à Lazare de sortir. Extraordinaire! Au moment où tous – désemparés peut-être, curieux assurément – doivent avoir les yeux rivés sur le tombeau, ceux du Rédempteur ont déjà quitté cette horizontalité pour s’élever vers le Créateur. Image cinglante de la petitesse de notre foi en regard de la communion entre le Père et le Fils…

Il en va de même au chapitre 12. Quand la voix résonne du ciel, Jésus dit: « Ce n’est pas à cause de moi que cette voix s’est fait entendre; c’est à cause de vous. »

Pour conclure, une chose est sûre: nous sommes-là en présence du Médiateur, vrai homme et vrai Dieu. Il sait de quoi nous sommes faits et connaît notre peu de foi, mais ses larmes expriment une sympathie – au sens le plus fort – bien réelle, de même que l’est aussi son trouble alors qu’il marche vers sa mort, sa mort sur la croix. Mais, heureusement, et sinon nous ne serions pas là, au Vendredi-Saint a succédé le matin de Pâques. Alors, n’oublions jamais qu’il est, lui, l’accompagnant par excellence et que, par grâce, dans la foi, nos vies sont en lui, dès aujourd’hui et pour toujours.

Amen!

* F. Hammann est professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence. Le langage et le style oraux ont été volontairement maintenus.