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Légalisation/dépénalisation de l’euthanasie : un regard européen

Légalisation/dépénalisation de l’euthanasie :
un regard européen

Bilan de la situation aux Pays-Bas

Gerard den HERTOG*

Il y a quelques années en Allemagne, et maintenant en France, on m’a interrogé sur la pratique de l’euthanasie aux Pays-Bas. Depuis vingt ans, en Hollande, les débats sur ce sujet ont été peu nombreux. Auparavant, de très vives discussions ont créé de profondes divisions dans la société. Mais, récemment, le débat s’est ranimé.

La situation aux Pays-Bas est très différente de celle des autres pays européens. Je vais la résumer en soulevant quelques points particuliers. Un esprit de libéralisme a prévalu aux Pays-Bas, et l’abandon des normes et des valeurs s’accélère. Ce tableau peut cependant être nuancé. Les pays européens peuvent certainement tirer des leçons de l’évolution de la situation aux Pays-Bas dans ce domaine. Cela s’impose d’autant plus que les sondages d’opinion et les discussions sur la législation montrent que l’évolution dans le sens d’un assouplissement n’est pas constante.

I. L’historique du débat sur l’euthanasie et ses motivations

Un historien américain, dont la mère et l’épouse sont d’origine hollandaise, J.C. Kennedy, a publié plusieurs livres sur les Pays-Bas de l’après-guerre, en particulier dans les années 1960, au cours desquelles l’Eglise catholique et l’Eglise réformée ont connu de profonds changements.

Pour ces deux Eglises, il existait un front bien établi de convictions solides qui ne se discutaient pas. A partir des années 1970, l’image est totalement différente, en tout cas pour les Eglises réformées. Dans son premier livre, Kennedy montre comment ces changements se sont opérés; et dans une étude publiée il y a trois ans, il décrit le développement du débat hollandais sur l’eutha­nasie à partir des années 1960, débat qui a été grandement influencé par les changements intervenus dans les Eglises.

Kennedy donne une explication de la sécularisation explosive qui est intervenue dans les années 1960 aux Pays-Bas. Il souligne que les responsables des Eglises catholique et réformée, je cite, « se sont à peine opposés aux bouleversements des valeurs et des normes de la population (et) en fait (…), ils en étaient même les partisans et les promoteurs sous le slogan à la mode: ‹Nous voulons du nouveau! »1 [1] Il montre que la « révolution » des années 1960 n’a pas été suscitée par des groupes de pression. Elle a été rendue possible parce que les dirigeants du monde ecclésial, social et politique mettaient en doute un certain nombre de certitudes traditionnelles… En fait, dans les années 1960, ils se sont identifiés aux jeunes, parce qu’ils se posaient les mêmes questions que cette nouvelle génération. L’une des conséquences de cette attitude fut le manque d’esprit critique à l’égard de cette nouvelle culture ainsi que le désintérêt et l’abandon des richesses de la tradition chrétienne2 [2]. Suite à ce processus, la sécularisation et la déchristianisation se sont fortement développées. Selon Kennedy, telle est l’origine de la situation actuelle.

Un théologien réformé a incarné et stimulé plus qu’aucun autre cette évolution: H.M. Kuitert. Sa définition de l’euthanasie, en 1981, a été déterminante dans les débats des années suivantes: « L’euthanasie est une action volontaire (qui inclut aussi une passivité délibérée) d’une personne pour abréger la vie d’une autre personne qui le demande. »3 [3]

Il y a trois ans, Kennedy a publié une nouvelle étude annotée, dans laquelle il aborde le débat sur l’euthanasie aux Pays-Bas. L’intérêt de ce livre réside surtout dans la vue d’ensemble qu’il donne du débat. Pour moi, alors tout jeune étudiant, ce livre m’a permis de mieux comprendre les événements, de trouver des informations complémentaires et, enfin, de mieux saisir les grands thèmes du débat.

Son point de départ remonte, sans doute, à 1969, avec la parution du livre de J.H. van den Berg Pouvoir médical et éthique médicale4 [4]. Ce pamphlet d’une cinquantaine de pages était illustré par des photos saisissantes, comme, par exemple, celle d’un jeune homme amputé sous le diaphragme. Cette image choquante reflète le pouvoir de la médecine. La question qui vient immédiatement à l’esprit est la suivante: la médecine doit-elle mettre en œuvre tout ce qu’elle est en mesure d’accom­plir? Une autre photo, sans commentaire, montrait une mère auprès du lit de son fils en état de mort cérébrale. Question: doit-on maintenir ce garçon en vie alors qu’il est réduit à une vie végétative?

Le livre de van den Berg a joué un rôle important et efficace dans le débat sur l’autori­sation de l’euthanasie. L’auteur y rejette même la possibilité de distinguer clairement l’euthanasie « passive » de l’euthanasie « active ». Les exemples, illustrés par les photos, montrent que la médecine peut faire reculer considérablement la frontière de la mort. L’idée se répand alors que l’homme a pris la responsabilité de prolonger la vie et qu’il lui incombe donc de favoriser une mort digne. L’euthanasie est considérée comme, je cite, une « réponse nécessaire (…) à la crise provoquée par l’avancée de la technologie médicale »5 [5].

Les théologiens des années 1960 ont renforcé cet argument en présentant une autre conception de Dieu. H.M. Kuitert considère l’homme comme un collaborateur de Dieu dans son œuvre créatrice et rédemptrice. Dans son livre Stellvertretung (substitution, remplacement) dont le sous-titre est: « Un chapitre de théologie après la mort de Dieu », la jeune théologienne allemande Dorothée Sölle affirme que Dieu a agi assez longtemps pour nous et que, désormais, c’est à nous d’agir pour lui!6 [6] Par ces paroles énigmatiques, elle veut nous conduire à abandonner la « vieille » théologie « métaphysique » d’un Dieu grand et d’un homme petit, et à considérer Dieu et l’homme comme des partenaires. Dans la réconciliation, Jésus ne nous exclut pas, mais il garde notre place jusqu’à ce que nous soyons nous-mêmes capables d’accéder au rang de partenaires.

C’est ainsi que commence le débat sur l’euthanasie aux Pays-Bas dans les années 1970. L’éthi­cienne Heleen Dupuis affirme, en 1976, que « la distinction établie entre euthanasie active et passive repose sur une méconnaissance des possibilités médico-technologiques actuelles ». Elle n’est pas suivie immédiatement par tous. La Société royale néerlandaise pour la médecine (KNMG) maintient alors une distinction significative7 [7].

Au début des années 1980, une majorité parlementaire se déclare pour la libéralisation de l’eutha­nasie, qui est, alors, rendue légale sous certaines conditions. Les protestants orthodoxes et les catholiques conservateurs réagissent négativement. Mais, à la différence du débat sur l’avortement – qui avait eu lieu auparavant et qui avait aussi abouti à une libéralisation de la législation -, la protestation reste faible et peu organisée. Comment cela peut-il s’expliquer? Trouve-t-on que l’acte de mettre activement fin à la vie est moins condamnable que l’avor­tement? Non, répond Kennedy, la société croit que l’évolution en cours est irréversible et, par conséquent, que la résistance n’a guère de sens8 [8]. Les partisans d’une libéralisation de l’eutha­nasie présentent leur cause comme « inévitable »: le pouvoir accru de la médecine et l’auto­nomie de l’hom­me ne permettent plus une autre attitude.

Kennedy fait remarquer que sur ce point les chrétiens ont des opinions divergentes, certains d’entre eux se rangeant parmi les opposants les plus déterminés à la législation sur l’euthanasie. Mais, par ailleurs, il suggère que « l’acceptation relativement facile de l’euthanasie aux Pays-Bas est rendue possible par la morale chrétienne ou religieuse, particulièrement forte dans les débats dans les années 1970 »9 [9]. Comment expliquer cela?

On l’a vu, c’est précisément à cette époque qu’un changement s’est opéré, notamment dans les Eglises réformées. Dans les années 1960, « la morale réformée »10 [10] traditionnelle était perçue par beaucoup comme contraignante et arriérée; elle a donc été abandonnée. Dans la nouvelle théologie, la dimension « verticale » de la foi chrétienne, la relation à Dieu, coïncide avec la relation « horizontale », avec le prochain. Pendant ces années, on a découvert le tiers monde, la justice au niveau mondial et la solidarité avec l’homme souffrant. Avec le même zèle manifesté pour suivre le style de vie réformé, on s’est livré à une nouvelle approche éthique. Servir Dieu est revenu à servir l’homme, et les normes définies par la loi de Dieu ont été discrètement ou résolument mises de côté. Lorsque le service de Dieu se confond avec le service de l’homme, celui-ci pense pouvoir déterminer ses propres normes et décider de ce qui est bon pour lui ou non. Ces nouveaux réformés sont devenus de fervents avocats d’une autre législation sur l’euthanasie, en faisant appel à la notion biblique de compassion11 [11].

Lors de cette première phase du débat, le vieillissement de la population a joué un certain rôle. On argumente en affirmant que la société ne pourra pas supporter longtemps les dépenses engendrées par le nombre croissant de personnes très âgées atteintes de sénilité. Les raisons socio-économiques jouent un rôle important et rappellent ce qui s’est passé en Allemagne nazie. Un reproche souvent adressé aux partisans de l’euthanasie aux Pays-Bas est « le manque de compassion et de solidarité qui est à la base de (…) leur acceptation de l’euthanasie »12 [12], ce qui se comprend en fonction du débat sur le problème du vieillissement de la population. Les Hollandais gardent le sentiment que le danger de se débarrasser des personnes âgées est grand et, malgré toutes les tentatives, rien n’a réellement abouti à ce jour13 [13]. Les avocats de l’euthanasie ont compris, dès les années 1970, que cet argument entravait l’élargis­sement de la législation. A partir du début des années 1980, cet argument n’apparaît plus dans les débats. Cela permet de mieux comprendre que les motivations des partisans de l’euthanasie étaient d’ordre moral. Ils croyaient simplement qu’on ne pouvait pas commettre une erreur en agissant par « humanité », par compassion14 [14].

Un autre argument important a été que l’homme doit être protégé des excès de la technologie. On affirme que la technologie ne peut pas contribuer au bien-être psychique ou social. L’enjeu pour l’homme est une existence digne d’être vécue. Si cette dignité est remise en cause, il ne faut pas maintenir en vie, à tout prix, à l’aide de la technologie15 [15]. La notion de « souffrance insoutenable » est alors l’un des critères déterminants. La difficulté vient de la définition même de ce critère. Quelqu’un peut jouir d’une bonne santé physique, mais souffrir sur le plan psychique. Peut-on, dans ce cas, parler de « souffrance insoutenable »? Vers la fin des années 1970, des voix s’élèvent pour défendre l’aide au suicide16 [16]. De nouveau, la compassion est un argument important: ne doit-on pas avoir pitié des conducteurs de train lorsque des gens se jettent sous les roues de la locomotive? Et ne doit-on pas préserver ceux qui ne veulent plus continuer à vivre de sauter dans le vide du haut d’un immeuble? Ces personnes n’ont-elles pas droit à une mort dans une atmosphère de chaleur et de sécurité?

Ces arguments ont pesé très lourd aux Pays-Bas jusque dans les années 1990, au point que l’on a hésité à créer des hospices. Cela était considéré comme une atteinte à la dignité humaine.

Le mot clé de la législation néerlandaise sur l’euthanasie est: libre disposition de soi-même. Cela n’est pas compris par rapport au seul patient, comme dans le monde anglo-saxon où, par exemple, un malade a le droit de refuser un traitement. Dans le débat néerlandais, l’homme est abordé avant tout comme partie intégrante d’un tissu social. Par conséquent, le décès d’une personne n’est pas considéré isolément, comme s’il ne concernait que cette seule personne, mais comme un événement plus large qui touche également son entourage. Cette approche propre aux Néerlandais a suscité un débat sur la relativisation du droit de disposer de soi-même17 [17]. L’accent est alors mis sur la concertation entre toutes les personnes concernées avant de pratiquer l’euthanasie. En tant qu’individu, j’ai le droit de disposer de moi-même, mais ce droit est restreint par la justification que je dois donner de mon choix à mon entourage18 [18]. Dans cette approche, il est clair que le médecin a aussi son mot à dire et qu’il a le droit de refuser l’application de l’eutha­nasie, s’il estime qu’il ne peut pas la justifier.

Tout cela a conduit à une législation qui repose sur le compromis. En résumé, l’euthanasie reste en principe condamnable, le médecin échappe aux poursuites pénales s’il se soumet à un certain nombre d’exigences, telles que la consultation d’un autre médecin et des membres de la famille, et l’accord d’une commission régionale.

Jusqu’au début des années 1980, la situation du patient jouait une rôle décisif: est-elle terminale? Le malade a-t-il atteint la phase de la mort ou non? En 1985, le Haut Conseil décidait que l’aide au suicide d’un homme à la fin sur le plan mental, pas seulement physique, était permis. Ce qui est décisif, ce n’est pas la proximité de la mort, mais le désir de mourir.

La législation n’est pas restée figée depuis le début des années 1980. En 1994, le droit à l’assis­tance au suicide a été aussi reconnu, sans qu’il soit question de souffrance physique incurable. La diffé­rence entre la souffrance somatique et la souffrance psychique disparaît complètement19 [19]. « Aucune des définitions actuelles de l’euthanasie ne mentionne la situation de l’intéressé ou la gravité de sa souffrance. »20 [20] En outre, un changement s’opère dans la réflexion sur l’euthanasie et l’assistance au suicide au sein du milieu médical, comme cela est ressorti il y a quelques années21 [21]. Depuis 1999, même le médecin qui assiste au suicide ne sera pas puni.

La situation actuelle est régie par la législation en vigueur depuis le 1er avril 2002, qui admet « la non-condamnation du médecin qui applique l’euthanasie sur requête ou qui prête assistance au suicide en satisfaisant à certaines mesures de précaution »22 [22].L’euthanasie sur requête et l’assistance au suicide restent condamnables, mais une clause d’excep­tion protège le médecin de poursuites judiciaires. L’euthanasie reste un acte médical anormal et, dans les débats, les partisans de l’euthanasie continuent à se plaindre que le médecin ait le droit de refuser de pratiquer cet acte23 [23]. Les chiffres récents montrent que 2,3% des décès sont directement liés à une euthanasie suite à une requête, tandis que dans 0,7% des décès, l’euthanasie a été appliquée sans que le patient ait exprimé ce souhait. Si nous considérons les demandes, pour autant que nous disposions des chiffres, il apparaît que le médecin répond favorablement à 30% des requêtes d’euthanasie. Mais dans 28% des cas, il refuse parce que la volonté du patient n’est pas suffisamment nette. Enfin, dans 28% des cas, le malade décède avant l’intervention du médecin24 [24].

Parfois, des malades vont très loin. Il y a quelques années, une jeune adulte gravement handicapée a fait un procès au centre hospitalier universitaire de Leyde en affirmant: « Je n’aurais pas dû être là. » Elle reprochait aux médecins de ne pas avoir pratiqué l’euthanasie lorsqu’ils ont découvert son handicap. Mais le contraire arrive aussi. A la fin janvier 2005, la revue néerlandaise de médecine Tijdschift voor Geneeskunde a publié un article qui a fait grand bruit25 [25]. Cet article montrait, chiffres à l’appui, que l’on pratiquait l’euthanasie sur des bébés – par définition incapables de manifester une volonté – sans que cela donne lieu à des poursuites pénales. Les médecins semblent s’octroyer le droit de pratiquer l’euthanasie sur des bébés nés avec la maladie spina bifida, argumentant que ces enfants devaient endurer une vie de souffrance sans issue. Les vingt-deux cas mentionnés ont été déboutés par la justice. Olga de Wit (27 ans) a été très choquée et a réagi26 [26]. Elle est née avec cette maladie, elle a terminé ses études en neuropsychologie et est actuellement étudiante en médecine. On a l’impression que les médecins présentent aux parents un scénario catastrophique, sans mentionner que cet enfant, comme en témoigne Olga de Wit, peut vivre dans de bonnes conditions. Ils ne les mettent pas non plus en contact avec d’au­tres parents qui ont vécu la même expérien­ce et qui ont choisi de garder leur enfant.

Si l’on tient compte de tous ces aspects, la législation néerlandaise s’est développée comme l’avaient craint les adversaires de l’euthanasie. Pendant toutes ces années, les protestations et les divers arguments, comme le vieillissement de la population, ont cessé d’alimenter le débat. Le plus grand problème réside dans le glissement observé entre euthanasie passive et active, qui a pris la forme concrète d’aide au suicide, sans recours au critère de « souffrance sans issue ».

II. La théologie protestante

1. H.M. Kuitert

Le théologien H.M. Kuitert, né en 1924, a largement contribué à faire accepter l’euthanasie dans les grandes Eglises protestantes. Dans les années 1960, il a introduit une interprétation de la révélation selon laquelle Dieu et l’homme sont considérés comme des partenaires; il applique également ce principe au domaine de l’éthique: l’homme peut prendre part à l’action créatrice et re-créatrice de Dieu.

Depuis le début des années 1970, il a abandonné le lien direct entre le règne de Dieu et l’action humaine, mais il maintient la pensée que l’homme contribue à la connaissance de Dieu. Il a désormais moins de certitude; aussi va-t-il de l’éthique sociale vers l’éthique personnelle. Dans le même temps, il accorde à la raison (ratio) un rôle croissant.

En 1981, il publie Une mort désirée avec, en sous-titre, « Euthanasie et disposition de soi, problème moral et religieux ». Dans cet ouvrage, il pose comme « principe de base de la morale et de l’éthique (…) que nous ne devons pas nuire à notre semblable et encore moins le tuer »27 [27]. Il affirme que l’euthanasie est un acte moralement autorisé « dans la mesure où il s’agit d’un bienfait demandé pour une mort douce, et parce que l’intéressé dépend des autres pour cet ultime bienfait »28 [28]. Pour la fin de vie, il plaide donc prudemment en faveur d’une pratique de l’euthanasie, à condition que certaines précautions soient observées. Il pense pouvoir agir ainsi, car les progrès de la médecine nous donnent une plus grande responsabilité.

Les discussions n’ont pas cessé dans notre pays sur ce sujet. Kuitert lui-même a évolué dans sa pensée; il a retravaillé en profondeur son livre de 1981. Douze ans plus tard, il a publié une nouvelle version de ce livre sous le titre Peut-on mettre fin à une fin amère? et, en sous-titre, « Euthanasie dans le contexte de l’accompagnement des mourants »29 [29]. Kuitert élabore une réflexion très rigoureuse; il s’appuie sur la raison humaine autonome, sur la base de principes moraux, le bien commun des gens qui pensent de façon raisonnable et il cite, enfin, la Bible. Mais, là encore, il raisonne de façon pragmatique. Il exclut les textes contradictoires et traite la Bible comme si elle n’était qu’une pensée humaine sur Dieu. Le plan du livre manifeste clairement que la Bible est prise en compte, certes, mais au même niveau que notre pensée et sans prétendre accorder la moindre autorité à Dieu. Ainsi, Dieu est délibérément tenu à l’écart des débats éthiques.

Si on compare ce livre avec le précédent, Une mort désirée, on ne peut pas vraiment déceler de changement dans la vision éthique de Kuitert. La suite des développements et des débats l’a conduit à réviser sa position sur la question de l’euthanasie sans demande expresse du patient. Il affirme désormais que cela est permis sous certaines conditions. Il introduit une nouvelle partie, « Religion et vision du monde », dans laquelle il traite, entre autres, des questions de foi en relation avec la fin de vie. Le point de départ de la pensée de Kuitert est toujours que Dieu se révèle uniquement dans nos recherches et nos projets humains.

Du point de vue éthique, cela signifie que nous ne pouvons pas faire appel directement à la loi de Dieu. Notre responsabilité éthique s’étend aussi loin que nos possibilités technologiques nous le permettent, car si nous osons prolonger des vies humaines, nous devons aussi accepter, dans certaines situations, d’intervenir activement pour mettre fin à la vie (chapitre 15)30 [30]. C’est pourquoi Kuitert parle du passage de l’arrêt des soins à l’intervention active de l’euthanasie comme d’un « glissement (…) où nous ne pouvons pas dire précisément quand nous avons franchi la frontière »31 [31].

2. W.H. Velema et J. Douma

Du point de vue réformé, une forte opposition est venue des professeurs d’éthique J. Douma, né en 1931, et W.H. Velema, né en 1929. Ce dernier a toujours maintenu la différence entre euthanasie active et passive contre Kuitert. Chez lui, comme chez Douma32 [32], la conviction que la vie est un don de Dieu et qu’elle demeure dans ses mains joue un rôle décisif. Selon lui, le plaidoyer pour l’euthanasie active doit être considéré lié à une science médicale qui prend la place de Dieu: « Je vois l’euthanasie active entre autres comme une espèce de revanche héroïque sur l’expérience de cette impuissance, dans un monde qui prétend avoir un pouvoir médical illimité. »33 [33]

Cela ne conduit pas Velema à passer à côté de la détresse du malade en phase terminale. « La détresse et la souffrance du patient exigent de l’aide. Cette aide peut consister à lui donner des médicaments qui abrègent la vie. Dans ce cas, je ne parlerai jamais d’euthanasie. Le médecin qui donne ces médicaments n’a pas en vue la mort, et moins encore la mort prématurée du patient. Il vise à aider le malade en soulageant sa souffrance. Cela me semble en toute circonstance le rôle du médecin. »34 [34] Par conséquent, il ne veut pas, dans ce cas précis d’euthanasie passive, utiliser le terme euthanasie. « Car si l’on abrège la vie, on ne détermine pas le moment de la mort. »35 [35]

Velema ne veut pas seulement attirer l’attention sur une science médicale qui outrepasse ses limites, mais sur l’orientation de la société en général: « Si nous ne réussissons pas à développer une éthique médicale basée sur des principes, alors le patient se trouvera perdu dans la jungle des luttes d’intérêts, où règne le droit du plus fort. »36 [36]

III. Protestation de la société

  1. Dans les années 1985

Après que, à la fin de 1984, le Haut Conseil ait décidé que l’euthanasie était « un acte justifié » si le médecin se trouvait dans « une situation de détresse », une première phase du débat sur l’euthanasie s’est achevée. On peut dire qu’à partir de ce moment-là, l’euthanasie active était légitimée en droit. Ceci, même si l’avis du Conseil d’Etat, « Euthanasie », de 1985, en vue de prendre des dispositions légales en faveur de l’euthanasie et de l’assistance au suicide n’est pas suivi, et que la proposition de loi de Mme E. Wessel-Tuinstra échoue, surtout grâce au parti CDA (Appel chrétien-démocrate).

En janvier 1986, la criminologue C.I. Dessaur écrit dans la revue Délit et délinquant un article enflammé intitulé « Euthanasie: le suicide sur malades et personnes âgées »37 [37], dans lequel elle introduit le néologisme « euthanasiasme » pour désigner l’euthanasie active qu’elle perçoit dans la société. Elle-même, Juive rescapée de la Seconde Guerre mondiale, ne craint pas de faire un rapprochement direct avec le national-socialisme. En voici une citation éloquente: « Bien que les Pays-Bas se soient formellement libérés du joug allemand (…), il apparaît que le poison du national-socialisme a pénétré profondément dans notre conscience collective. Quarante ans après Hitler et son eugénisme, il n’est vraiment pas facile pour les opposants à l’avortement et à l’euthanasie active d’expliquer quelles sont leurs objections contre les faiseurs d’anges ou les « bienfaiteurs » qui, avec une seringue, ne désirent que trop délivrer leur prochain des souffrances de ce monde. »38 [38]

C.I. Dessaur attribue le changement intervenu dans la réflexion sur l’euthanasie à l’« hédonisme matérialiste et/ou au socialisme porteur de salut ».39 [39] Sa crainte est que « si on donne libre cours aux actuels anges de la mort, les critères pour l’extermination (…) ne vont pas cesser de s’assouplir. A cause des basses pulsions égoïstes présentes dans chaque individu, une tentative d’euthanasie généralisée pourrait constituer l’aboutissement, nullement imaginaire, de ce qui, aujourd’hui, est encore présenté comme ‹une assistance médico-sociale salutaire pour pionniers courageux›. L’héritage spirituel du national-socialisme, emballé dans le drapeau rouge du salut du groupe ou dans le plastique de l’hédonisme individualiste, ne peut conduire à rien d’autre qu’à la barbarie totale, à lapeur de tous envers tous, à l’anéantissement de ce qui a été notre civilisation. »40 [40] Une très vive discussion s’est ensuivie. Cela n’empêche pas la caravane euthanasie de poursuivre son chemin, laissant derrière elle C.I. Dessaur, une voix criant dans le désert.

Dans le même ouvrage, un autre criminologue, C.J.C. Rutenfrans, exprime également son opinion en mettant de grands points d’interrogation après le terme « volontaire/libre » de la demande d’euthanasie. La condition indispensable de l’euthanasie (« situation de détresse sans issue ») n’exclut-elle pas, en fait, que quelqu’un puisse encore agir librement?41 [41] Ceci est d’autant plus préoccupant quand on voit comment sont traités les personnes âgées, les malades et les handicapés42 [42]. Une telle situation fait aussi que la personne ne peut guère offrir de résistance à la pression de la famille, des soignants et des médecins43 [43].

Le seul fait qu’il y ait une « possibilité d’euthanasie librement consentie va à la longue miner sérieusement la disposition des familles, des soignants et des médecins à prendre soin des malades et des personnes âgées. Les patients qui demandent plus d’attention que la moyenne seront, du moins implicitement, accusés d’égoïsme. »44 [44] Les objections faites à une « disposition de soi » effective trouvent un réel écho, mais ne parviennent pas à renverser le courant.

2. La mort pour la vie

En 1995, une nouvelle tentation surgit, aux Pays-Bas, dans le débat sur l’euthanasie. A ce moment-là, l’assistance au suicide est acceptée en fait, et cela sans que l’on en donne encore des raisons objectives. Les auteurs ne sont ni des orthodoxes protestants, ni des catholiques contestant à partir de leur foi. Le philosophe H.J. Achterhuis établit un lien entre la nouvelle pratique de l’euthanasie et la montée d’une pensée utopiste qu’il a étudiée en profondeur. A noter qu’il appartient à la génération qui s’est laissé inspirer par les révolutions de Mai 1968 et, par là, par une pensée utopique dont il se détourne maintenant parce qu’il réalise à quoi elle conduit. Dans notre culture occidentale, c’est « chez Tomas More et Francis Bacon, les deux grands utopistes des XVIe et XVIIe siècles – qui devancent, dans leur projet de nouvelle société, notre société moderne -, qu’il est, pour la première fois de l’histoire, question d’accepter l’euthanasie »45 [45]. Il renvoie à Philippe Ariès, qui a longuement approfondi et étudié le thème de la mort et du mourir dans notre culture et qui a montré que le médecin se retire lorsque la mort s’annonce46 [46].

Comme C.I. Dessaur, mais de manière beaucoup plus argumentée, Achterhuis établit le lien avec la « compassion » comme fondement de la morale dans la pensée de J.-J. Rousseau. « Aux motivations personnelles les plus pures possibles se mêlent inévitablement des motivations moins pures, comme le désir de pouvoir et la folie de la grandeur. »47 [47]Il se rallie à l’analyse de Hannah Arendt qui signale, sur ce point, une différence fondamentale entre les révolutions en Europe et la révolution américaine. J.-J. Rousseau a exprimé un sentiment général lorsqu’il a parlé d’une « répulsion innée vis-à-vis de la souffrance d’une autre créature ». « Depuis, la passion de la compassion a animé et motivé les meilleurs hommes de toutes les révolutions. »48 [48]Déjà, lors de la Révolution française, la combinaison entre une pensée utopique – c’est-à-dire l’idée que l’homme est à même de créer un monde meilleur avec les forces intellectuelles et morales qui sont les siennes et que c’est là sa vocation – et la compassion a suscité une ligne de démarcation sociale entre le peuple digne de compassion et ceux qui, par leur pouvoir intellectuel et leurs « lumières », étaient à même de discerner et de mettre en œuvre l’« intérêt général ».

C’est ce même développement que H.J. Achterhuis et J.F. Good voient se dessiner dans le développement spécifique du débat sur l’euthanasie aux Pays-Bas. La justification de l’euthanasie active se trouve dans la responsabilité que nous devons prendre vis-à-vis de la personne en détresse. C’est ce qui explique que, dans le débat aux Pays-Bas, on néglige et même on nie la différence réelle entre euthanasie passive et euthanasie active; c’est là une pente glissante. Un journaliste, P. van der Eijk, a pointé du doigt des questions soumises au public, en 1985, par un institut de sondage reconnu (NIPO) et dans lesquelles l’administration de certaines substances létales à des parents ou à d’autres membres de la famille, par des non-médecins sans concertation avec quiconque, est appelée « euthanasie active », alors qu’elle n’est, en fait, rien d’autre qu’un meurtre49 [49]. Ce que Hannah Arendt a dit, en 1963, des révolutions modernes s’applique également au zèle avec lequel, aux Pays-Bas, on a forcé la réglementation légale sur l’euthanasie: « La compassion, comprise comme source de bonne morale, est apparue comme conduisant à une plus grande cruauté que la cruauté elle-même. »50 [50]

Conclusion

1. Aux Pays-Bas, les partisans de la législation de l’euthanasie se sont opposés avec indignation au parallèle fait entre le développement de l’euthanasie de ces dernières décennies et l’euthanasie pratiquée dans l’Allemagne nazie. Ils n’ont pas, cependant, perçu suffisamment le fond du problème et évalué sa relation avec l’évolution de la culture moderne. Récemment, H.W. de Knijff a parlé d’un « prêt à penser », entendant par là une « façon de penser imposée par la science et par la société »51 [51], une « conception radicale de l’autonomie humaine ». Associée à la disponibilité de moyens technologiques croissants, elle (cette conception radicale de l’autonomie humaine) conduit, dans bien des domaines, à un comportement de grande exigence envers la vie, exigence qui ne connaît d’autre limite que celle de ce qui est techniquement impossible. Dans bien des cas, cela revient à ceci: susciter la vie et mettre fin à la vie quand et comme je le souhaite52 [52].

Si le débat a pu se dérouler de cette manière aux Pays-Bas, c’est parce que l’on n’a pas vu et pas voulu voir qu’il existait un lien entre l’idée que l’homme est collaborateur de Dieu et celle qu’il agit à la place du « Dieu mort ». Karl Popper a dit que jusqu’à présent toutes les tentatives pour éta­blir le ciel sur la terre n’ont fait que produire l’enfer. Il serait injuste d’attribuer les nombreux cas de meurtres par euthanasie effectués par des médecins ou des soignants à l’assouplissement de la loi sur l’euthanasie. Néanmoins, il est légitime de se poser la question de savoir si toutes ces situations où l’on représente et défend l’euthanasie comme un acte de compassion ne sont pas liées aux arguments qui sous-tendent le débat. Le sociologue des religions M.B. ter Borg, lui-même agnostique, affirme que ce qui caractérise l’homme d’aujourd’hui, c’est qu’il cherche « de plus en plus le paradis dans le présent »53 [53], un plus grand bonheur et le recul de la frontière de la mort. La quête de la satisfaction immédiate, du plaisir, est devenue une religion; cela est lié à l’obsession de la mort et à la fascination qu’elle exerce, ainsi qu’au fait de considérer la médecine comme un recours en situation de détresse. Pourtant, et cela doit être bien clair pour nous, nous ne pouvons pas répondre à cet appel par l’euthanasie. Les images de la publicité sont perçues comme mensongères. Les feuilletons télévisés avec leur manque de normes ne convainquent pas. La confiance dans les médecins en tant que prêtres modernes s’arrête là où s’arrêtent leurs capacités, c’est-à-dire devant l’euthanasie.

Le débat sur l’euthanasie est lié à la volonté acharnée d’obtenir de la vie tout ce qu’on peut en tirer, et là où la vie se heurte à des limites, le désir de mourir est légitimé. M.B. ter Borg affirme que cela touche également le médecin, qui est conscient que les hommes attendent de lui leur bonheur; aussi lutte-t-il avec vigueur jusqu’à ce qu’il atteigne les limites de ses capacités. Il apporte alors son aide en mettant fin à la vie, pour ne pas être confronté lui-même à ses propres limites. Cette considération rejoint celle de W.H. Velema déjà évoquée ci-dessus54 [54].

Il semble légitime de se demander s’il existe un lien entre ce qui s’est passé dans l’Alle­magne nazie et ce qui caractérise notre culture moderne, telle que nous venons de l’évoquer. Le fait que les partisans de la pratique et de la législation sur l’eutha­nasie repoussent ce rapprochement avec indignation me convainc seulement que la question mérite d’être posée. Cela confirme donc la légitimité de la question, et aussi celle du débat, sans cesse remis sur la table, de l’euthanasie en cas d’incapacité de décision de la part du patient. C’est ce qui s’est produit, ces dernières semaines, suite à un rapport sur la pratique de l’euthanasie d’enfants atteints de spina bifida. Manifestement, on ne réalisait pas que les frontières qui ont été franchies sur ce point, dans l’Allemagne nazie, ne sont pas qu’un incident, mais qu’elles posent une question angoissante à notre culture.

2. Il faut ajouter que ce qui vient d’être dit est lié au fait que les avocats de l’eutha­nasie active – J.H. van den Berg et H.M. Kuitert – refusent catégoriquement toute distinction entre euthanasie passive et euthanasie active. C’est à juste titre que T.H.A. Boer affirme que « l’existence de cas limites et de caractéristiques communes » entre les deux formes d’eutha­nasie ne constitue pas une raison « pour affirmer que les principes moraux les distinguant clairement ne sont plus opérationnels »55 [55]. Il établit aussi un lien avec notre conception de Dieu. S’agit-il d’un Dieu personnel, tout-puissant, ou non?

Les défenseurs de l’euthanasie font aussi ce lien. C’est ainsi qu’en 1981 Kuitert a dit: « Je ne prétends pas que la croyance en l’au-delà soit le seul et le meilleur moyen pour préserver les gens de la panique, de la frustration ou d’une tension devant la mort, mais bien qu’ils peuvent en être délivrés par la croyance en une autre vie. »56 [56]

En d’autres termes, la croyance en une vie après la mort peut aider les gens à accepter l’eutha­nasie. Depuis, Kuitert a abandonné toute idée de vie après la mort, mais cela n’empêche pas que sa manière de formuler sa pensée, en 1981, mérite notre attention. Il ne parle pas de l’action de Dieu, mais de notre foi. Dans son approche, la croyance en un au-delà peut aider quelqu’un à ne pas paniquer devant la mort et à demander l’euthanasie. En considérant uniquement ce que la foi peut apporter à quelqu’un et au nom de l’action de Dieu, Kuitert rejoint la position de Boer. Qu’est-ce que la foi si elle ne consiste pas à tenir compte de l’action de Dieu?

Pour moi, un chrétien qui connaît la grâce imméritée de Dieu, sa providence dans la création et sa fidélité dans la rédemption – je cite le Catéchisme de Heidelberg – ce chrétien « met en Dieu seul sa confiance, n’attend que de lui tous les biens, en toute humilité et patience, et il l’aime de tout son cœur, le craint et l’honore et renonce à toutes les réalités créées plutôt que de faire la moindre chose contre sa volonté »57 [57].

La foi n’est pas une caractéristique anthropologique primaire, mais elle dépend entièrement de la Parole et de la promesse de Dieu.

3. Cependant une question demeure: comment devons-nous agir? Nous ne pouvons pas simplement refuser l’euthanasie. C’est pourquoi il est important de promouvoir les soins palliatifs et de créer des structures d’accueil. La médecine a aussi rendu possibles les soins palliatifs dans des unités de soins, où les patients peuvent s’ache­miner vers la fin de leur vie, entourés de l’affec­tion de leurs proches. Il est significatif que, dans le contexte du débat sur l’euthanasie aux Pays-Bas, on ait longtemps tardé à créer ces centres de soins. Depuis, cela a changé. Il est aussi réjouissant de constater qu’après des années de progression constante, les chiffres actuels donnent l’impression que la pratique de l’euthanasie baisse58 [58]. Je le dis avec prudence, car on signale de nouveau le cas de médecins qui ne pratiquent pas une transparence totale et qui – pour éviter des problèmes – indiquent, sur l’acte de décès, une cause naturelle, même en cas d’une euthanasie active.

Il n’en est pas moins vrai que les possibilités d’action de la médecine engendrent aussi une plus grande responsabilité. Il est essentiel que nous réalisions que nous ne sommes pas les auteurs de notre vie et que nous tenions compte de Dieu. Dans la pratique pastorale, j’ai souvent eu l’expérience que des choix cruciaux concernant des opérations ou des souffrances extrêmes nous étaient épargnés. Si l’on soulage la souffrance sans savoir si le remède administré va peut-être avancer l’heure de la mort, on peut se souvenir de la parole de Luther, Caritatis est falli: l’amour peut ou est en droit de commettre des erreurs. Cette phrase souligne l’importance de la prise de responsabilité – dans responsabilité, il y a le mot « réponse » et même réponse à Dieu! – et cette prise de responsabilité qui consiste à soulager la souffrance doit être distinguée, avec la plus grande fermeté et une fois pour toutes, de l’assistance au suicide59 [59]. C’est là que se dessine la frontière entre, d’une part, accompagner les mourants et, d’autre part, prendre la place de Dieu. Nous ne pouvons ni ne devons prendre la responsabilité de la mort de notre semblable, même gravement atteint. Et cela ne nous est pas demandé non plus. Car nous pouvons nous confier dans les meilleures mains qui soient, celles de Dieu.

Dans notre société, nous avons imposé une tâche impossible aux médecins, et ils l’ont acceptée volontiers. Il est incompatible de s’engager pour la vie et, en même temps, de prendre des décisions d’euthanasie et de les exécuter. Un grand danger, dans notre société, est de franchir les limites de la compassion. Cela arrive, de temps en temps, lorsque des nouvelles choquantes nous parviennent sur l’euthanasie pratiquée par des médecins ou par le personnel soignant sur des personnes qui n’ont pas la « capacité de décision ». C’est pourquoi il est d’un grand intérêt que l’incompatibilité persiste sur le plan juridique, afin de maintenir une marge de sécurité et d’éviter le meurtre de patients sur initiative personnelle, que ce soit par compassion ou non. La lucidité nous oblige à reconnaître que nous vivons dans une société de plus en plus sécularisée, qui se focalise sur la « qualité de la vie » et aussi, de manière éhontée, sur l’intensité du plaisir.

Dans une telle société, le témoignage en actes de chrétiens, qui tiennent bon dans la souffrance parce qu’ils regardent à Jésus-Christ, est une invitation à se tourner vers Dieu et un signe d’espé­rance à l’approche de la mort. Alors, notre appréciation de la vie n’a pas le dernier mot, mais ce que Dieu nous donne dans la souffrance et ce pour quoi il l’utilise.

* G. den Hertog est professeur d’éthique à la Faculté de théologie des Eglises chrétiennes réformées à Apeldoorn (Pays-Bas).

1 [60] J.C. Kennedy, Nieuw Babylon in aanbouw (Amsterdam: Meppel, 1995), 14.

2 [61] Cf. ibid., 110-116.

3 [62] H.M. Kuitert, Een gewenste dood. Euthanasie en zelfbeschikking als moreel en godsdienstig probleem (Baarn, 1981), 29.

4 [63] J.H. van den Berg, Medische macht en medische ethiek (Nijkerk, 1969).

5 [64] J.C. Kennedy, op. cit., 75.

6 [65] D. Sölle, Stellvertretung. Ein Kapitel Theologie nach dem Tode Gottes (Stuttgart/Berlin, 1965).

7 [66] Cf. J.C. Kennedy, op. cit., 74.

8 [67] Ibid., 95.

9 [68] Ibid., 106.

10 [69] R. Schippers, De gereformeerde zede (Kampen, 19552).

11 [70] Cf. J.C. Kennedy, op. cit., 106s.

12 [71] Ibid., 113.

13 [72] Cf. ibid., 124.

14 [73] Cf. ibid., 114.

15 [74] Cf. ibid., 116ss.

16 [75] Cf. ibid., 120.

17 [76] Cf. ibid., 140.

18 [77] Cf. ibid., 150.

19 [78] Cf. T.M. Schalken, « Waar het recht capituleerde. De Hoge Raad en de ontmaatschappelijking van het euthanasie-debat », in Hans Achterhuis e.a., Als de dood voor het leven. Over professionele hulp bij zelfmoord (Amsterdam, 1995), 70-80.

20 [79] Cf. Th.A. Boer, « Euthanasie: de regel achter de uitzondering », Theologia Reformata, 45 (2002), 131.

21 [80]‘SPIJT: « Voorvechters van euthanasie bezinnen zich », NRC Handelsblad, 10 novembre 2001.

22 [81] In Frits de Lange en Jan Jans (red.), De dood in het geding. Euthanasiewetgeving en de kerken (Kampen, 2000), 115.

23 [82] R.L.P. Bergh­mans, « Euthanasie is geen recht. Is het dan een gift? », Trouw, 17 février 2005.

24 [83] J. Jans, « Sterbehilfe› in den Niederlanden und Belgien. Rechtslage, Kirchen und ethische Diskussion », Zeitschrift für Evangelische Ethik, 46 (2002), 292.

25 [84] A.A.E. Verhagen, J.J. Sol, O.F. Brouwer, P.J. Sauer, « Actieve levensbeëindiging bij pasgeborenen in Nederland », Nederlands Tijdschrift voor Geneeskunde, 194 (2005:4), 22 janvier 2005, 183-187.

26 [85] Cf. Nederlands Dagblad, 10 février 2005.

27 [86] H.M. Kuitert, Een gewenste dood, 12.

28 [87] Ibid., 60.

29 [88] H.M. Kuitert, Mag er een eind komen aan het bittere einde? Levensbeëindiging in de context van stervensbegeleiding (Baarn 1993).

30 [89] Cf. ibid., 119-127.

31 [90] Ibid., 89.

32 [91] J. Douma, Euthanasie (Groningen, 19792).

33 [92] W.H. Velema, « Grondprincipes van medische ethiek », in S. Strijbos, Nieuwe medische ethiek (Amsterdam, 1985), 68. Cf. W.H. Velema, Mag ik sterven, moet ik leven? Een praktische en pastorale benadering rond de levensbeëindiging (Zoetermeer 1993), 75.

34 [93] W.H. Velema, « Grondprincipes van medische ethiek », 73. Cf. W.H. Velema, Mag ik sterven, moet ik leven? 14v.

35 [94] W.H. Velema, Rondom het levenseinde (Kampen 1971), 36.

36 [95]W.H. Velema, « Grondprincipes van medische ethiek », in S. Strijbos, Nieuwe medische ethiek, 70.

37 [96] C.I. Dessaur et C.J.C. Rutenfrans, Mag de dokter doden? Argumenten en documenten tegen het euthanasiasme (Amsterdam, 1986), 13-18.

38 [97] C.I. Dessaur, « Euthanasie: de zelfmoord op zieken en bejaarden », 14.

39 [98] Ibid., 15.

40 [99] Ibid., 17s.

41 [100] C.J.C. Rutenfrans, « Hoe vrijwillig is ‹vrijwillige› euthanasie », in Prof. Dr. C.I. Dessaur & Drs C.J.C. Rutenfrans, Mag de doktor doden?, 48.

42 [101] Ibid., 71.

43 [102] Ibid., 73.

44 [103] Ibid., 79.

45 [104] H.J. Achterhuis, « De maakbare dood », in Hans Achterhuis e.a., Als de dood voor het leven. Over professionele hulp bij zelfmoord (Amsterdam, 1995), 14.

46 [105] P. Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident: du Moyen Age à nos jours (Poche).

47 [106] H.J. Achterhuis, « De maakbare dood », 23.

48 [107] H. Arendt, De revolutie. Macht en onmacht van een modern politiek verschijnsel (Utrecht/Antwerpen, 1965), 73.

49 [108] P. van der Eijk, « Euthanasie en ‹de mensen » in C.I. Dessaur et C.J.C. Rutenfrans, Mag de dokter doden?, 31.

50 [109] H. Arendt, op. cit., 93.

51 [110] H.W. de Knijff, « Theologisch spreken over menselijk leven », in Theo Boer, Schepper naast God ? Theologie, bio-ethieken pluralisme (Assen, 2004), 138.

52 [111] H.W. de Knijff, « Theologisch spreken over menselijk leven », 141.

53 [112]M.B. ter Borg, De dood als het einde. Een cultuur-sociologisch essay (Baarn 1993), 114. Cf. 57, 69.

54 [113] « Ik zie actieve euthanasie onder meer als een soort heroïsche weaak op de ervaring van deze onmacht, in een werelddie meent onbegrensde medische macht te hebben. » W.H. Velema, Grondprincipes van medische ethiek, 68.

55 [114] Cf. Th.A. Boer, « Euthanasie: de regel achter de uitzondering », 129.

56 [115] H.M. Kuitert, Een gewenste dood, 111.

57 [116] Catéchisme de Heidelberg, question 94 (Aix-en-Provence: Kerygma, 1986).

58 [117] Cf. Th.A. Boer, « Euthanasie: de regel achter de uitzondering », 135.

59 [118] Cf. ibid., 132.