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4. Les attributs de Dieu en général

IV. Les attributs de Dieu en général1 [1]

A) Evaluation des termes utilisés

Le mot « attribut » n’est pas idéal, puisqu’il implique l’idée d’ajouter ou d’assigner quelque chose à quelqu’un et peut donc créer l’impression que quelque chose est ajouté à l’Etre divin. Sans aucun doute, le terme « propriété » est meilleur, car il indique quelque chose qui est propre à Dieu et à Dieu seulement. Naturellement, le fait que certains de ses attributs sont communicables semble affaiblir le caractère absolu de Dieu lui-même, puisque, dans une certaine mesure, ils ne sont pas propres à Dieu seul. Donc, même ce terme (propriété) suggère une distinction entre l’essence, ou la nature, de Dieu et ce qui lui est propre. Somme toute, il est préférable de parler des « perfections » ou des « vertus » de Dieu, en précisant bien, cependant, que, dans ce cas, le mot « vertus » n’est pas utilisé en un sens purement éthique. Ainsi:

a) nous suivons l’usage de la Bible qui utilise le terme arete, traduit par « vertus » ou « excellences » en 1 Pierre 2:9;

b) nous évitons de laisser entendre que quelque chose est ajouté à l’Etre de Dieu.

Ses vertus ne sont pas ajoutées à son Etre, mais celui-ci est le pleroma (plénitude) de celles-là et se révèle en elles. Nous pouvons les définir comme les « perfections attribuées à l’Etre divin par l’Ecriture, ou visiblement exercées par Dieu dans ses œuvres de création, de providence et de rédemption ». Si nous continuons encore à utiliser le mot « attribut », c’est parce que son emploi est courant, mais nous en excluons radicalement l’idée que quelque chose peut être ajouté à l’Etre de Dieu.

B) Méthode de détermination des attributs de Dieu

Les scolastiques, dans leur tentative de construire une théologie naturelle, ont établi trois manières de déterminer les attributs de Dieu, qu’ils ont désignées ainsi:

– la via causalitatis;

– la via negationis;

– et la via eminentiae.

« Par le principe de causalité », nous passons des phénomènes que nous observons autour de nous dans le monde à l’idée d’une cause première, de la contemplation de la création à l’idée d’un Créateur tout-puissant, et de l’observation du gouvernement moral du monde à l’idée d’un Souverain sage et puissant.

« Par le principe de négation », nous purgeons notre conception de Dieu de toutes les imperfections vues dans ses créatures, parce qu’elles sont incompatibles avec l’idée d’un Etre parfait, et nous lui attribuons la perfection opposée. En nous appuyant sur ce principe, nous parlons de Dieu comme indépendant, infini, incorporel, immense, immortel et incompréhensible.

Et enfin, « par le principe de l’éminence » qui postule que ce qui existe dans un effet préexiste dans sa cause, et même au sens le plus absolu en Dieu en tant qu’Etre le plus parfait, nous attribuons à Dieu de façon éminente les perfections relatives que nous découvrons en l’homme. Cette méthode peut attirer certains, parce qu’elle va du connu vers l’inconnu, mais elle ne convient pas à la théologie systématique. Elle part de ce qu’elle trouve en l’homme et en déduit ce qui peut être trouvé en Dieu. Ainsi, elle fait de l’homme la mesure de Dieu. Ce n’est assurément pas une bonne méthode théologique. Bien plus, elle fonde sa connaissance de Dieu sur des conclusions humaines, plus que sur l’auto-révélation de Dieu dans sa divine Parole. Et cependant, c’est la seule source adéquate de la connaissance de Dieu. Si cette méthode peut être suivie dans une théologie prétendument naturelle, elle ne trouve pas sa place dans une théologie de la révélation.

On peut dire la même chose des méthodes proposées par les représentants modernes de la théologie expérimentale. On en trouve un exemple typique dans l’ouvrage de Macintosh, La théologie, science empirique2 [2],qui présente trois manières de procéder. Nous pouvons partir de nos intuitions de la réalité de Dieu, de ces certitudes irraisonnées qui sont fermement enracinées dans l’expérience immédiate. L’une de ces certitudes est que l’objet de notre dépendance religieuse est pleinement suffisant pour nos besoins impératifs. On peut, en particulier, tirer des déductions de la vie de Jésus et de la vie des chrétiens partout où ils sont. Nous pouvons également prendre notre point de départ, non dans les certitudes de l’homme, mais dans ses besoins. Le postulat fondamental peut alors être formulé ainsi: Dieu est absolument suffisant et digne de confiance en ce qui concerne les besoins religieux de l’homme. A partir de là, l’homme peut élaborer sa doctrine des attributs de Dieu. Et, enfin, il est également possible de suivre une méthode plus pragmatique, fondée sur le principe suivant: nous pouvons comprendre les choses et les personnes jusqu’à un certain point, au-delà de la perception immédiate que nous en avons en observant ce qu’elles font. Macintosh trouve nécessaire de faire usage de ces trois méthodes.

Ritschl part de l’idée que Dieu est amour, et nous suggère d’en tirer les conséquences. Puisque l’amour est personnel, cela implique que Dieu est une personne, et ceci nous fournit un principe d’interprétation du monde et de la vie de l’homme. La pensée que Dieu est amour implique également la certitude qu’il peut réaliser son dessein d’amour, parce que sa volonté est souverainement efficace dans le monde. D’où l’idée d’un Créateur tout-puissant. De là, nous déduisons aussi l’éternité de Dieu, puisque, organisant toutes choses en vue de son Royaume, il a, dès le début, la prescience de la fin des choses. D’une manière un peu semblable, W. A. Brown déclare: « Nous obtenons notre connaissance des attributs en analysant notre idée de Dieu déjà acquise en Christ; et nous les disposons de manière à donner aux caractéristiques saillantes de cette idée l’expression la plus claire. »3 [3]

Toutes ces méthodes trouvent leur point de départ dans l’expérience humaine, plus que dans la Parole de Dieu. Elles ignorent délibérément la limpide auto-révélation de Dieu dans l’Ecriture et exaltent l’idée de la découverte humaine de Dieu. Ceux qui s’appuient sur de telles méthodes se font une idée exagérée de leur propre capacité à découvrir Dieu et à déterminer inductivement sa nature par des « méthodes scientifiques » reconnues. En même temps, ils se détournent de l’unique chemin qui pourrait les conduire à une réelle connaissance de Dieu, à savoir sa révélation spéciale, apparemment oublieux du fait que seul l’Esprit Saint peut sonder les profondeurs de Dieu et nous les révéler. Leur méthode les oblige à ramener Dieu au niveau de l’homme, à accentuer son immanence aux dépens de sa transcendance, et à le placer en continuité avec le monde. Le résultat final de leur philosophie est un Dieu fabriqué à l’image de l’homme.

James condamne tout intellectualisme religieux et maintient que la théologie scolastique a complètement échoué dans sa tentative, tant de définir les attributs de Dieu d’une manière scientifique, que d’établir son existence. Faisant référence au livre de Job, il dit: « Ratiociner est une façon relativement superficielle et irréelle d’appréhender la divinité. » Il termine son argumentation par ces mots significatifs: « En toute sincérité, je pense que nous devons conclure qu’il est vain de vouloir démontrer la vérité des expériences religieuses directes par des moyens purement intellectuels. »4 [4]

Il a davantage confiance en une méthode pragmatique à la recherche d’un Dieu qui fait face aux besoins de l’homme. D’après lui, il suffit de croire qu’« au-delà de chaque homme et d’une certaine façon en continuité avec lui, il existe une puissance plus grande qui lui est favorable, à lui et à ses idéaux. Tout ce que les faits exigent, c’est que cette puissance soit autre et plus grande que nos ‹moi› conscients. N’importe quoi de plus grand fera l’affaire du moment qu’il est suffisamment grand pour justifier notre confiance en sa capacité à nous faire franchir le pas suivant. Il n’a pas besoin d’être infini, ni solitaire. On peut même concevoir qu’il soit seulement un ‹moi› plus grand et plus ressemblant à Dieu, dont le ‹moi› présent serait alors l’expression mutilée; dans ce cas, l’univers pourrait être un amas de tels ‹moi›, de degrés et de globalité différents, sans aucune unité absolue réalisée en lui. »5 [5] Ainsi, il ne nous reste que l’idée d’un Dieu fini6 [6].

La seule manière concevable d’obtenir une connaissance fiable des attributs divins est d’étudier l’auto-révélation de Dieu dans l’Ecriture. Il est vrai que nous pouvons acquérir une connaissance de la grandeur, de la puissance, de la sagesse et de la bonté de Dieu par l’étude de la nature, mais pour avoir une conception adéquate de ces attributs, il sera nécessaire de se tourner vers la Parole de Dieu. Dans la théologie de la révélation, nous cherchons à savoir, à partir de la Parole de Dieu, quels sont les attributs de l’Etre divin. L’homme ne tire pas de Dieu sa connaissance comme il le ferait pour d’autres objets d’étude, mais Dieu la lui transmet de lui-même, et l’homme ne peut que l’accepter et se l’approprier. Pour cela, il est, bien sûr, très important que l’homme soit créé à l’image de Dieu, car il trouve ainsi des analogies utiles dans sa propre vie. Cette méthode peut être appelée a posteriori, puisqu’elle prend son point de départ, non dans un être parfait et abstrait, mais dans la plénitude de l’auto-révélation divine, et qu’à la lumière de celle-ci elle cherche à connaître l’Etre divin. Elle se distingue ainsi de la méthode a priori des scolastiques qui déduisaient les attributs de Dieu du concept d’un être parfait.

C) Les diverses classifications des attributs

La question de la classification des attributs divins a attiré l’attention des théologiens depuis longtemps. Plusieurs classifications ont été suggérées, dont la plupart comportent deux classes générales. Ces classes sont désignées par des noms différents, mais elles demeurent les mêmes en substance. Elles représentent simplement les divers points de vue dont les plus importants sont les suivants:

1. Certains parlent « d’attributs naturels et moraux »

Les premiers, tels que l’aséité, la simplicité, l’infinité, etc., appartiennent à la nature constitutionnelle de Dieu, distincte de sa volonté. Les seconds, tels que la vérité, la bonté, la miséricorde, la justice, la sainteté, etc., le qualifient en tant qu’être moral. L’objection que l’on peut faire à ce classement est que les attributs prétendument moraux sont tout autant naturels (c’est-à-dire originels) en Dieu que les autres. Dabney préfère cette classification mais admet, compte tenu de l’objection ci-dessus, que les termes n’en sont pas heureux. Il parlerait plus volontiers d’attributs moraux et non moraux.

2. D’autres distinguent « attributs absolus et attributs relatifs »

Les premiers appartiennent à l’essence de Dieu considérée en elle-même, tandis que les seconds appartiennent à l’essence divine considérée en relation avec sa création. Dans les attributs absolus, on inclut l’aséité, l’immensité, l’éternité, et dans les attributs relatifs l’omniprésence et l’omniscience. Ce classement semble partir de l’hypothèse que nous pouvons avoir quelque connaissance de Dieu tel qu’il est en lui-même, entièrement en dehors des relations qu’il entretient avec ses créatures. Mais ceci n’est pas exact, et donc, à proprement parler, toutes les perfections de Dieu sont relatives, indiquant ce qu’il est, en relation avec le monde. Strong ne reconnaît manifestement pas l’objection et donne la préférence à cette classification.

3. D’autres encore répartissent les perfections divines en « attributs immanents ou intransitifs » et « attributs révélés ou transitifs »

Strong combine cette division à la précédente, quand il parle d’attributs « absolus ou immanents » et d’attributs « relatifs ou transitifs ». Les premiers sont ceux qui ne sortent pas et qui n’opèrent pas hors de l’essence divine, mais qui demeurent immanents, comme l’immensité, la simplicité, l’éternité, etc.; les seconds sont ceux qui produisent des effets extérieurs à Dieu, comme l’omnipotence, la bienveillance, la justice, etc. Mais si certains attributs divins sont purement immanents, il semblerait que toute connaissance en soit exclue. Smith fait remarquer que chacun d’entre eux doit être à la fois immanent et transitif.

4. La classification la plus commune distingue « attributs incommunicables » et « attributs communicables »

Les premiers sont ceux qui n’offrent aucune analogie avec aucune créature: ainsi l’aséité, la simplicité, l’immensité, etc.; les seconds ceux avec lesquels les propriétés de l’esprit humain présentent une analogie: ainsi la puissance, la bonté, la miséricorde, la justice, etc. Cette distinction n’a pas rencontré la faveur des luthériens, mais elle a toujours été courante dans les milieux réformés; on la trouve dans des œuvres aussi représentatives que celles des professeurs de Leyde, Mastricht et Turretin7 [7]. Dès le début, on a senti cependant que cette distinction était insoutenable sans de plus amples précisions, car, d’un certain point de vue, on peut dire de chaque attribut qu’il est communicable. Aucune des perfections divines n’est communicable dans la perfection infinie telle qu’elle existe en Dieu et, en même temps, il existe de plus faibles traces en l’homme de ces prétendus attributs incommunicables de Dieu.

Chez les théologiens réformés plus récents, on a tendance à abandonner cette distinction en faveur d’autres divisions. Dick, Shedd et Vos retiennent l’ancienne division. Kuyper ne s’en satisfait pas et reproduit en elle sesvirtutes per antithesin, et ses virtutes per synthesin. Bavinck, après avoir suivi un autre ordre dans la première édition de sa Dogmatique, y retourne dans la deuxième édition. Honig préfère suivre la classification proposée par Bavinck dans sa première édition. Et, enfin, H.B. Smith, C. Hodge et Thornwell suivent une division suggérée par le Catéchisme de Westminster.

Cependant, la classification des attributs en deux principaux chapitres, telle que nous venons de la définir, est réellement inhérente à toutes les autres divisions, de sorte que l’on peut leur reprocher à toutes de diviser apparemment l’Etre de Dieu en deux parties: d’abord, Dieu en tant qu’Etre absolu tel qu’il est en lui-même et, ensuite, Dieu en tant qu’Etre personnel tel qu’il est en relation avec ses créatures. On peut dire qu’une telle manière d’envisager Dieu n’aboutit pas à une conception unitaire et harmonieuse des attributs divins.

On peut, cependant, éviter la difficulté en ayant clairement compris que les deux classes d’attributs ne sont pas strictement co-ordonnées, mais que les attributs appartenant à la première classe qualifient tous ceux qui appartiennent à la seconde, de sorte que l’on peut dire que Dieu est un, absolu, immuable et infini dans sa connaissance et sa sagesse, sa bonté et son amour, sa grâce et sa miséricorde, sa justice et sa sainteté. Si nous gardons cela à l’esprit et que nous nous souvenons qu’aucun des attributs de Dieu n’est incommunicable au sens où il n’en existe aucune trace en l’homme, et qu’aucun d’entre eux n’est communicable au sens où on les trouve en l’homme tout comme en Dieu, nous ne voyons aucune raison valable de renoncer à cet ancien classement devenu si familier en théologie réformée. Pour des raisons pratiques, il semble préférable de le conserver.


1 [8] Systematic Theology, chap. V.

2 [9] Macintosh, Theology as an Empirical Science, 159ss.

3 [10] Brown, Christian Theology in Outline, 101.

4 [11] James, Varieties of Religious Experience, 455.

5 [12] Ibid., 525.

6 [13] Cf. Baillie, Our Knowledge of God, 251ss.

7 [14] Synopsis Puriotis Theologicae.