Faut-il permettre la recherche sur l’embryon humain ?

Faut-il permettre la recherche sur l’embryon humain ?

Avis de la commission d’éthique, commune à la Fédération des Eglises Evangéliques Baptistes et à l’Union des Eglises Evangéliques Libres de France1

Les avancées de la médecine ont permis de découvrir que des cellules embryonnaires spécialisées, appelées cellules souches, pouvaient être greffées pour remplacer des cellules spécialisées détruites (neurones par ex.). Il s’agit donc d’une greffe cellulaire régénératrice. Pour prendre un exemple précis, le Comité Consultatif National d’Ethique a autorisé en août 1998 une expérience consistant à greffer des neurones fœtaux dans le cerveaux de six malades atteints de la chorée de Huntington, une maladie qui provoque la dégénérescence des neurones et dont l’issue est toujours fatale. Sur les cinq patients qui ont été finalement opérés, trois ont connu une amélioration spectaculaire de leur état de santé.

Ces avancées thérapeutiques coïncidant avec les travaux de révisions des lois de bioéthique ont conduit le gouvernement à proposer dans un avant-projet de loi de lever au moins partiellement l’interdiction de recherche sur l’embryon humain.

Les termes du dilemme éthique

L’espoir suscité par l’utilisation thérapeutique de cellules souches pose question. On ne peut se retrancher derrière de grands principes pour refuser un secours à des malades; en même temps, on doit tracer des limites et récuser une attitude purement pragmatique du type « nous avons des embryons congelés à notre disposition, servons-nous en ». Il serait dangereux d’abolir ainsi toute réflexion morale et de dire qu’il n’y a tout simplement pas de problème. Certains plaidant pour l’utilisation des embryons humains pour la recherche ont parlé de « solidarité » avec les malades. Mais le terme ne peut s’appliquer à l’embryon, car la solidarité repose sur des actes libres et volontaires. Il faut, nous le pensons, appeler les choses par leur nom: il s’agit de sacrifier des personnes humaines potentielles pour sauver des personnes humaines actuelles. Poser le problème en ces termes a l’avantage de ne pas traiter l’embryon humain en chose, ce qui est malheureusement déjà le cas avec les embryons surnuméraires destinés à la destruction, mais de révéler un conflit d’intérêt entre personne potentielle et personne actuelle. On comprendra qu’il peut être moralement licite de privilégier la personne actuelle. Mais l’on doit aussitôt se demander si l’on est réduit à cette solution extrême ou s’il n’en existe pas d’autres moins coûteuses.

Les solutions techniques existantes

Quelle sont donc les sources de cellules souches?

1) Les fœtus issus d’avortement

2) Les annexes embryonnaires (cordon ombilical, placenta)

3) Les embryons issus de la fécondation in vitro qui ne font plus l’objet d’un projet parental

4) Les cellules ou embryons issus du transfert d’un noyau somatique dans un ovule préalablement énucléé (clonage)

5) Chez l’adulte, les cellules hématopoïétiques prélevées dans la moelle osseuse.

Le recours aux cellules hématopoïétiques, qui ne pose pas de problème éthique, est évidemment le meilleur. Il est malheureusement au stade expérimental et son efficacité n’est pas encore totalement prouvée. L’utilisation des fœtus issus d’avortement est possible même s’il ne faudrait pas qu’elle en vienne à justifier moralement l’IVG. Le recours au clonage dit thérapeutique pose un problème particulièrement ardu: le clone doit-il être considéré comme un embryon ou une cellule? L’un des pères des lois de bioéthique de 1994, le généticien J.-F. Mattéi, fait remarquer:

« La plupart des opposants au clonage thérapeutique considèrent que cette cellule obtenue par transfert d’un noyau dans un ovule est un embryon puisqu’elle peut générer un être – en l‘occurrence, un clone – une fois transférée in utero. je ne suis pas d’accord. Une cellule souche n’est pas un embryon. Elle ne devient embryon qu’après une fécondation, suivie d’une implantation dans l’utérus… »2

Nous ne pensons pas que l’argument qui veut que la fécondation soit nécessaire pour qu’il s’agisse d’un embryon soit pertinent. En effet, si cette cellule était implantée in utero, il pourrait être possible d’obtenir un embryon, puis un être humain. Dans cette hypothèse, la fécondation aurait bien eu lieu, même s’il s’agit de celle, ancienne, qui a donné le noyau placé ensuite dans l’ovule.

Il est cependant important de préciser, comme le fait le professeur Mattéi, qu’en dehors de l’implantation dans l’utérus, la cellule se reproduit pratiquement à l’identique et ne peut donner un embryon viable. Elle devient une sorte d’usine à cellules spécialisées qui peuvent être extrêmement utiles pour les soins à apporter à des malades. Dans cette perspective, on peut en effet considérer qu’il ne s’agit pas d’un embryon. En revanche, si le développement de la recherche permettait le développement d’un embryon in vitro susceptible d’être viable (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui), il faudrait alors considérer tout ce processus comme une sorte de clonage reproductif interrompu à fin thérapeutique, et cela nous semblerait inacceptable, l’embryon étant déjà alors un être humain en puissance. Certes, l’état de la recherche ne permet pas encore un tel développement, mais il semble important qu’il soit clairement considéré comme moralement impossible.

En résumé, si l’on considère que les cellules issues du transfert d’un noyau somatique dans un ovule énucléé sont des cellules et non un embryon, cela lève l’obstacle éthique que constitue la réification de l’embryon humain. Nous ne savons pas ce qu’il en sera demain mais renoncer à un usage thérapeutique du clonage sous prétexte qu’il risquerait d’ouvrir la voie à son usage reproductif (que nous condamnons) ne nous paraît pas pertinent: c’est à la loi d’interdire explicitement les mauvais usages des découvertes ou autres.

Le recours au clonage thérapeutique nous semble en tous cas moralement nettement préférable à l’utilisation des embryons congelés surnuméraires même s’il pose d’autres problèmes. Par exemple, celui de la collecte d’ovules, qui devrait faire l’objet d’un soigneux encadrement légal pour éviter l’exploitation du corps des femmes.

En fin de compte, nous considérons qu’il existe suffisamment de voies alternatives à explorer pour permettre d’éviter de recourir aux embryons surnuméraires congelés et de légaliser la recherche sur l’embryon humain.

Propositions concernant l’avant-projet de révision des lois de bioéthique

Nous considérons que la vie humaine est un don de Dieu, qu’elle a un prix particulier à ses yeux, puisque tout être humain quelle que soit sa petitesse ou sa faiblesse est en image de Dieu et appelé à le refléter dans sa Création. Nous considérons que cette vie est un processus qui commence à la fécondation et se termine à la mort, qu’elle doit être respectée et protégée et que Dieu nous appelle à aimer et à secourir notre prochain dans la détresse.

Nous demandons donc que soit inscrit dans la loi un statut juridique visant à protéger l’embryon humain de toute réification.

Nous approuvons le projet de créer une « Agence de la Procréation » qui aurait pour but de contrôler l’Aide Médicale à la Procréation. En revanche, nous pensons qu’il es préférable que l’élaboration des normes éthiques ne lui soit pas confiée mais qu’elle s’occupe des aspects techniques et s’assure du respect des normes déontologiques. Il faut séparer les pouvoirs: le lieu de contrôle des techniques de procréation doit être distinct du lieu de l’élaboration des principes éthiques et des lieux de leur mise en pratique technico-médicale.

Considérant que l’intérêt de l’enfant est de naître dans un foyer hétérosexuel stable, nous désapprouvons toute tentative d’affaiblir les limites fixées par les lois de 1994 à la demande d’Aide Médicale à la procréation et, en particulier, le projet de permettre le transfert d’embryon post-mortem d’un des membres du couple ayant bénéficié d’une FIV.

Pour les embryons surnuméraires: considérant qu’il y a d’autres sources possibles de ces cellules souches, qui se sont révélées d’un tel secours pour des malades gravement atteints, nous désapprouvons l’utilisation de ces embryons pour la recherche. Nous désapprouvons également la création par FIV d’embryons humains destinés à la recherche.

Nous demandons que l’interdiction du clonage reproductif soit inscrit dans la loi.

Si le législateur décidait d’autoriser le clonage dit thérapeutique, il devrait être distingué de la recherche sur l’embryon humain et strictement encadré.


1 Texte daté du 12 juin 2001 et publié dans le journal Pour la Vérité, juillet-août 2001.

2 Entretien accordé par J. -F. Mattéi à Libération, le mercredi 7 février 2001.

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