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Chapitre 09. Du libre arbitre et des forces de l’homme

Chapitre 9. Du libre arbitre et des forces de l’homme

1. Sur ce sujet, qui a toujours provoqué de nombreuses disputes dans l’Eglise, nous enseignons que l’homme doit être envisagé sous une condition ou en un état triple. D’abord l’homme, tel qu’il était avant le péché, c’est-à-dire droit et libre. Il pouvait demeurer dans le bien, mais aussi acquiescer au mal. Il a penché effectivement vers le mal et s’est plongé lui-même, ainsi que tout le genre humain, dans le péché et la mort, comme cela a déjà été affirmé.

2. Deuxièmement, nous devons considérer l’homme tel qu’il est devenu par suite du péché. Son intelligence ne lui a pas été ôtée; il n’a pas été dépouillé de sa volonté pour être réduit à l’état de pierre ou de tronc. Pourtant, ces choses ont été tellement défigurées et altérées en lui qu’il n’a plus la capacité de faire, maintenant, ce qu’il pouvait faire avant la faute. En effet, son intelligence a été obscurcie et sa volonté qui, auparavant, était réellement libre est devenue esclave; elle s’est assujettie au péché — et ce, non par contrainte, mais par désir.

3. Cette volonté demeure toujours volonté et n’a nullement été anéantie. De la sorte, l’homme commet toujours le mal, ou le péché, sans y être contraint par Dieu ou par le diable. Au contraire, il fait le mal de son propre gré et, à cet égard, sa volonté est bien libre. Quoique nous constations que Dieu empêche souvent les actes pervers et les machinations des hommes, en sorte que ceux-ci ne peuvent parvenir à leurs fins, néanmoins la liberté de l’homme dans le mal n’est pas abolie. Mais Dieu, dans sa puissance, prévient ce que l’homme a librement résolu de faire. Il en a été ainsi des frères de Joseph qui, dans leur liberté, ont eu pour dessein de tuer Joseph; cependant, il n’y sont pas parvenus car Dieu, dans son conseil caché, l’avait voulu autrement.

4. En ce qui concerne le bien et les qualités spirituelles, l’intelligence de l’homme n’est plus apte à juger droitement des choses célestes. En effet, les écrits des Evangiles et des apôtres mettent la régénération comme condition pour quiconque d’entre nous veut être sauvé. Ainsi, notre première naissance, que nous tenons d’Adam, ne nous profite en rien pour le salut. Selon Paul, l’homme naturel ne reçoit pas les choses de l’Esprit de Dieu1 [1]. De même: Nous ne sommes pas capables par nous-mêmes d’avoir une seule bonne pensée2 [2].

5. Il est évident que l’entendement, ou l’intelligence, conduit la volonté. Or, vu que le guide est aveugle, il est facile de voir jusqu’où peut aller la volonté. Partant, en l’homme irrégénéré la liberté de faire le bien, tout autant que la force de l’accomplir, est inexistante. Le Seigneur dit dans l’Evangile: Quiconque commet le péché est esclave du péché3 [3]; et l’apôtre Paul déclare: Les tendances de la chair sont ennemies de Dieu, parce que la chair ne se soumet pas à la Loi de Dieu, elle en est même incapable4 [4].

6. Pour ce qui est des choses terrestres, le péché n’a pas aboli l’intelligence de l’homme. En effet, dans sa miséricorde, Dieu a laissé à celui-ci un certain génie, quoique bien différent de ce qu’il avait avant la faute. Dieu nous commande donc de cultiver notre esprit, et il nous accorde et augmente en nous ses dons. De plus, il est manifeste que, dans les arts, nous ne pouvons nullement avancer sans la bénédiction de Dieu. Assurément, l’Ecriture fait remonter tous les arts à Dieu, et même les païens attribuent aux dieux le commencement des arts et leur en imputent l’invention.

7. Enfin, il nous faut voir si, et jusqu’à quel point, la volonté des régénérés est affranchie. Dans la régénération, le Saint-Esprit éclaire l’intelligence afin qu’elle saisisse les mystères et la volonté de Dieu. Et la volonté n’est pas seulement transformée par l’Esprit; elle se voit dotée des facultés qui lui permettent, de son propre gré, de vouloir et d’accomplir le bien5 [5]. Si nous n’accordions pas ce point, nous nierions la liberté chrétienne et nous introduirions un asservissement à la Loi. Mais le prophète annonce cet oracle de Dieu: Je mettrai ma Loi au-dedans d’eux, et je l’écrirai sur leur cœur6 [6]. De même, le Seigneur dit dans l’Evangile: Si donc le Fils vous rend libres, vous serez réellement libres7 [7]. Paul déclare également aux Philippiens: Car il vous a été fait la grâce, non seulement de croire en Christ, mais encore de souffrir pour lui8 [8]; et encore: Je suis persuadé que celui qui a commencé en vous une œuvre bonne en poursuivra l’achèvement jusqu’au jour du Christ-Jésus9 [9]; et de même: C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire, selon son dessein bienveillant10 [10].

8. Cependant, nous enseignons qu’il faut faire ici deux remarques. Premièrement: les régénérés, en choisissant et en effectuant le bien, n’agissent pas passivement seulement, mais aussi activement. Car ils sont mus par Dieu afin qu’en agissant, ce soit bien eux qui agissent. Augustin affirme avec justesse que « Dieu est appelé notre aide; or nul ne peut se faire aider sans que, d’une certaine façon, il agisse lui-même ». Les Manichéens, en dépouillant l’homme de toute action, en faisaient une pierre ou un tronc.

9. Deuxièmement: il demeure dans les régénérés une certaine faiblesse. En effet, vu que le péché habite en nous et que la chair s’élève encore, dans les régénérés que nous sommes, contre l’Esprit — et ce jusqu’à la fin de notre vie —, nous n’effectuons pas entièrement tout ce que nous nous proposons de faire. Cela nous est confirmé par l’apôtre, en Romains 7 et Galates 5.

10. Par conséquent, notre libre arbitre demeure faible, à cause des restes du vieil homme demeurant en nous jusqu’à la fin de notre vie, et de la corruption mortelle qui s’attache encore à nous. Cependant, puisque les forces de la chair et les restes du vieil homme n’ont plus assez d’efficace pour éteindre l’opération de l’Esprit, les croyants sont considérés comme libres, mais de façon à ce qu’ils reconnaissent leur faiblesse, et ne se vantent pas de leur volonté affranchie. Car les fidèles ont toujours à se rappeler ce qu’Augustin, suivant l’apôtre, répète si souvent: Qu’as-tu que tu n’aies reçu? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas reçu?11 [11] A noter encore que ce que nous décidons n’aboutit pas toujours; la réalisation des projets est dans la main de Dieu. D’où le fait que Paul priait le Seigneur afin qu’il bénisse son voyage12 [12]. Le libre arbitre, ici encore, est donc bien faible.

11. Du reste, personne ne niera que, dans les choses extérieures, les régénérés comme les irrégénérés n’aient une volonté libre. Car l’homme a en commun avec les autres animaux (auxquels il n’est nullement inférieur) d’être constitué de telle sorte qu’il veut certaines choses et en repousse d’autres. Il peut donc parler ou se taire; sortir de la maison ou y rester, et ainsi de suite. Mais il faut prendre en compte, ici encore, la puissance de Dieu, qui a fait que Balaam n’a pu aller où il voulait13 [13], et que Zacharie, en sortant du temple, ne pouvait parler malgré son désir14 [14].

12. Nous condamnons en cet endroit les Manichéens, qui nient que la source du mal en l’homme, créé bon, ait été son libre arbitre. Nous condamnons encore les Pélagiens, qui affirment que l’homme, tout en étant mauvais, possède une volonté suffisamment libre pour accomplir des œuvres bonnes. Les deux positions sont réfutées par l’Ecriture sainte, qui dit aux uns: Dieu a fait les hommes droits15 [15], et aux autres: Si donc le Fils vous rend libres, vous serez réellement libres16 [16].


1 [17] 1 Co 2:14.

2 [18] 2 Co 3:5; cf. Rm 7:18.

3 [19] Jn 8:34.

4 [20] Rm 8:7.

5 [21] Rm 8:4.

6 [22] Jr 31:33.

7 [23] Jn 8:36; cf. Ez 36:26.

8 [24] Ph 1:29.

9 [25] Ph 1:6.

10 [26] Ph 2:13.

11 [27] 1 Co 4:7.

12 [28] Rm 1:10.

13 [29] Nb 24.

14 [30] Lc 1:22.

15 [31] Ec 7:29.

16 [32] Jn 8:36.