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Israël dans le plan de Dieu

Israël dans le plan de Dieu

Sylvain ROMEROVSKI*

La question de la place d’Israël dans le plan de Dieu fait partie des sujets controversés parmi les évangéliques. Les dispensationalistes, d’un côté, soutiennent qu’il y a deux peuples de Dieu, Israël et l’Eglise, qui ont chacun leur destinée propre. D’autres, au contraire, considèrent qu’Israël en tant que nation ou peuple, n’a plus de rôle spécifique à jouer dans l’histoire du salut. Et l’on rencontre des positions intermédiaires entre ces deux points de vue.

Notre compréhension de la place d’Israël dans l’eschatologie dépend de la manière dont nous concevons le rôle de ce peuple dans l’histoire du salut, de notre compréhension de l’identité et de la nature du peuple de Dieu aujourd’hui, de notre interprétation des prophéties de l’Ancien Testament et de notre lecture du texte de Romains 11.

Nous ne pouvons aborder ici tous ces points, ou les aborder de manière développée. Nous traiterons brièvement du rôle d’Israël dans l’histoire du salut et de la nature actuelle du peuple de Dieu, avant d’examiner le chapitre 11 de l’épître aux Romains1 [1].

I. Israël et le peuple de Dieu

Lorsque Dieu a choisi Abraham pour lui donner une descendance qui serait son peuple, il lui a déclaré que tous les peuples de la terre seraient bénis à travers lui et sa descendance (Gn 12:3; 18:18; 22:18)2 [2]. Dès le départ, il apparaît donc qu’Israël n’a pas été choisi pour être béni lui seul: le dessein de Dieu était la bénédiction des nations. C’est en vue des nations que Dieu a choisi Israël. Ceci est fondamental lorsqu’on considère la place d’Israël dans le plan de Dieu.

Pendant un temps cependant, et qui a duré jusqu’à la fin du ministère terrestre de Jésus, Israël a été le bénéficiaire quasiment exclusif (à part quelques exceptions) de la révélation de Dieu et de ses actes rédempteurs. Jésus pouvait encore déclarer: « Ma mission se limite aux brebis perdues du peuple d’Israël » tout en faisant aussitôt après une exception (Mt 15:24ss).

Israël est devenu le peuple de Dieu par l’alliance conclue au Sinaï (Ex 19-24). Tout Israélite était membre de ce peuple en vertu de sa naissance et la circoncision était le signe de l’appartenance à Israël, le peuple de Dieu. En même temps, l’obéissance aux clauses de l’alliance, à la loi mosaïque, est présentée comme une condition pour être le peuple de Dieu (Ex 19:5).

Or l’histoire d’Israël est essentiellement une histoire d’infidélités et de désobéissances à la loi divine, ainsi que d’abandon de Dieu de la part de ce peuple, même s’il y a eu quelques périodes plus lumineuses. Cette histoire a donc abouti à la destruction des deux royaumes israélites, celui du Nord en 722 et celui de Juda en 587 avant notre ère. Ces deux événements étaient prévus par le code de l’alliance: ils sont la réalisation des malédictions incluses dans le traité d’alliance (Lv 26; Dt 28) comme dans les traités de suzeraineté du Proche-Orient ancien.

Quelle portée faut-il donner à ces deux événements? Leur signification est bien exprimée dans le livre d’Osée qui s’adresse au royaume du Nord peu avant sa ruine: « Vous n’êtes pas mon peuple, et moi, je ne suis rien pour vous » (Os 1:9). La seconde formule de ce texte renvoie au nom que Dieu s’était donné lors de sa révélation dans le buisson ardent: « Je suis » (Ex 3:14), ainsi qu’à la formule de l’alliance: « Je suis votre Dieu » (Ex 20:1). Nous avons vu qu’il fallait être fidèle à l’alliance pour être le peuple de Dieu. A partir du moment où Israël se montre infidèle de manière persistante, Dieu inverse la formule qui définit l’essence de l’alliance: Israël ne peut plus se dire peuple de Dieu et le Seigneur n’est plus son Dieu.

Heureusement, cela ne veut pas dire que Dieu en ait définitivement terminé avec les Israélites, et le prophète s’empresse d’ajouter une promesse qui doit s’accomplir au-delà du jugement:

Et, au lieu même où on leur avait dit: « Vous n’êtes pas mon peuple », on leur dira: « Vous êtes les enfants du Dieu vivant »… Vous direz à vos frères qu’ils seront appelés: « mon peuple » (Os 2:1,3).

Les livres de Jérémie et d’Ezéchiel montrent d’ailleurs qu’au moment de la ruine de Juda en 587, Dieu avait laissé la vie sauve à des Israélites qui lui étaient demeurés fidèles (Jr 40:11-14,16-18; 45:5; Ez 9:4-6). En outre, le Seigneur a encore épargné d’autres Israélites qui ont pu subsister en terre d’exil, en Babylonie, où dans d’autres pays où ils avaient trouvé refuge.

Pour ces Israélites, le Deutéronome, puis les prophètes, ont prédit le retour de l’exil (Dt 30.4s). Mais la visée de ces textes va bien au-delà. Le Seigneur se propose de renouveler totalement son peuple. Pour ce faire, il va faire un tri au sein de son peuple. Ce thème du tri est particulièrement présent chez Michée, Esaïe et Ezéchiel (Mi 2.12; 4.6s; 5.7; 7:18; Es 65:1-16; 66; Ez 34:17-22). Un autre thème s’y associe, celui du reste, que l’on rencontre chez la plupart des prophètes: le jugement de Dieu réduira Israël à un reste et c’est ce reste, et non pas tout Israélite, qui bénéficiera du salut à venir (Es 10:22; Mi 2:12; 4:6s; 5:6s; 7:18; So 2.7,9; 3:12s…).

Un tri a déjà été opéré au sein d’Israël par les jugements dont nous avons parlé. Mais le thème est encore repris après l’exil: les Judéens rentrés d’exil ne constituent pas encore le reste qui doit bénéficier du salut eschatologique. Un nouveau tri doit avoir lieu qui ne laissera subsister qu’un reste au sein du reste des Judéens rentrés d’exil (Za 13:7-9; Ml 3:3-5).

Ce reste que Dieu veut ainsi conserver, il va le purifier: il pardonnera ses fautes (Mi 7:19; Jr 31:34) et le transformera intérieurement par son Esprit (Jl 3:1s; Es 32:15ss; Jr 31:31-33; Ez 36:25-27; 37:9s,14; 39:29…). Déjà le Deutéronome opposait l’Israël incirconcis de cœur du temps de Moïse (Dt 9:6,13; 29:4) à ce reste eschatologique, dont le Seigneur circoncirait le cœur, au-delà de l’exil (Dt 30:6). Le but poursuivi par Dieu était de se constituer un peuple nouveau, exclusivement composé de gens connaissant le Seigneur dans un sens profond, de disciples véritables du Seigneur (Jr 31:34; Es 54:13).

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Ces thèmes forment la trame de la théologie du peuple de Dieu dans l’enseignement de Paul en Romains 9. L’apôtre soulève ici le problème que constitue le rejet de l’Evangile par une grande partie des Israélites, et par conséquent leur non participation au salut. Paul souligne que l’intention divine n’a jamais été que tous les Israélites soient membres du peuple de Dieu (v. 6-8). Il y a ainsi un Israël au sein d’Israël, un véritable Israël composé uniquement de ceux que Dieu a élus. Le thème du reste apparaît aux verset 27 à 29, où Paul cite des textes d’Esaïe pour souligner que seul un reste d’Israélites devait obtenir le salut, et non pas tout Israélite.

Les prophètes de l’Ancien Testament enseignaient donc que le peuple de Dieu se réduirait à un reste, mais il devait y avoir une contrepartie à ce rétrécissement: le peuple de Dieu devait en même temps s’élargir pour englober des gens de toutes les nations, des païens convertis, qui seraient incorporés au peuple de Dieu. Ainsi l’Egypte et l’Assyrie doivent recevoir deux titres d’Israël, « mon peuple » et « mon œuvre » (Es 19:25). Ou encore, des étrangers s’attacheront au Seigneur et à son alliance et ne devront pas se dire exclus du peuple de Dieu (Es 58:3-6) car Dieu les adjoindra au reste de son peuple qu’il va rassembler (v. 8). Zacharie écrit la même chose (2:15) et de nombreux textes pourraient encore être cités ici (Es 44:5; 65:1; 66:18-24; Am 9:12; Za 8:23; 9:7). Incorporés au peuple de Dieu, ces gens des nations bénéficieront du salut promis aux Israélites et des mêmes promesses. Par exemple, Sophonie prévoit qu’ils feront l’objet de la même œuvre de transformation intérieure que celle qui est promise pour le reste israélite (So 3:9s.; comp. Jr 31:31-33; Ez 36:25-27). Ainsi ils connaîtront le Seigneur (Es 19:21; comp. Jr 31:34 qui concerne les Israélites).

Cet aspect de la prédication prophétique est aussi repris par l’apôtre Paul, notamment dans l’épître aux Romains. Les véritables Israélites sont ceux qui le sont intérieurement, par la circoncision du cœur, même s’ils sont d’origine païenne (Rm 2:26-29). Abraham est le Père des non Juifs qui ont la foi: ceux-ci sont par conséquent ses héritiers, héritiers des promesses faites pour sa descendance (Rm 4:11s). Il n’y a donc plus de différence entre Juifs et non Juifs: ils sont tous fils de Dieu (Ga 3:28,26), comme Israël était fils de Dieu dans l’Ancien Testament (Os 11:1).

La vision du peuple de Dieu que l’on obtient à partir du thème du reste et de celui de l’incorporation de non Juifs est bien illustrée par l’image de l’olivier en Romains 11:17ss. L’olivier représente Israël, une image qui vient de Jérémie (Jr 11:16). Des branches ont été retranchées de l’olivier: elles représentent les Israélites incrédules, ceux qui ont rejeté l’Evangile et le Messie envoyé par Dieu. Des branches provenant d’un autre olivier, d’un olivier sauvage, ont en revanche été greffées sur l’olivier israélite: elles représentent les non Juifs qui ont été incorporés au peuple de Dieu par la foi. Ainsi, Israël, le peuple de Dieu se constitue aujourd’hui du reste des Israélites, ceux qui ont la foi, ainsi que des non Juifs qui ont la foi et ont été incorporés au peuple de Dieu. Et l’Eglise n’est rien d’autre que cela. L’image de l’olivier souligne bien qu’il y a continuité entre Israël et l’Eglise.

Nous ne disons pas ici qu’Israël c’est l’Eglise, comme s’il s’agissait de remplacer mentalement le nom d’Israël par l’Eglise dans les promesses de salut eschatologique des prophètes. Mais nous affirmons que l’Eglise, c’est Israël, Israël au sein duquel le tri annoncé par les prophètes a été effectué, Israël dont Dieu a retranché les Israélites qui rejettent leur Messie, Israël dans lequel encore Dieu a intégré les non Juifs qui croient et qui par la foi sont devenus des Israélites véritables. Ainsi Dieu s’est constitué un peuple composé exclusivement de disciples de Jésus-Christ.

Nous ne disons pas que Dieu aurait remplacé Israël par l’Eglise. Mais nous disons que Dieu a remplacé, au sein d’Israël, certains Israélites, les incrédules, par les non Juifs qui ont la foi3 [3].

C’est bien à cet Israël là que les promesses ont été faites, non pas à tout Israélite, mais au reste augmenté des non Juifs convertis au Seigneur. C’est cet Israël-là qui est le bénéficiaire des promesses de salut eschatologique des prophètes.

Le chapitre 11 de l’épître aux Romains s’ouvre par la question: « Dieu a-t-il rejeté son peuple? ». La réponse est non. Dans la suite (Rm 11:1-10), Paul explique que Dieu n’a pas rejeté Israël, il a seulement rejeté certains Israélites (v. 7-10; le verset 15 parle bien de rejet, ou de mise à l’écart. Dieu n’a pas rejeté Israël, il l’a purifié en en retranchant les Israélites incrédules pour ne conserver que le reste israélite fidèle (v. 2-5). Ce développement s’accorde parfaitement avec la théologie du peuple de Dieu telle que nous venons de l’élaborer.

Mais ce n’est là qu’un premier volet de la réponse à la question sur le rejet d’Israël par Dieu. A notre avis, il y en a deux autres. Aux versets 11 à 24, en effet, Paul affirme que la porte du salut demeure ouverte pour les Israélites qui peuvent, s’ils se tournent vers Dieu dans la foi, être réintégrés dans le peuple de Dieu et recevoir le salut. Puis, aux versets 25 à 32, il nous apprend que, dans l’avenir, « tout Israël sera sauvé ». Chacune de ces deux sections comporte des difficultés d’interprétation qui ont des incidences directes sur notre sujet. Nous nous proposons donc maintenant d’examiner ces deux points.

II. Romains 11:11-24

C’est essentiellement aux versets 11,12 et 15 que nous rencontrons des problèmes.

L’apôtre affirme tout d’abord que beaucoup d’Israélites ont trébuché (v. 11): il veut dire par là qu’ils n’ont pas répondu par la foi en Christ à l’annonce de l’Evangile et que, par conséquent, ils sont passé à côté du salut. Mais il rejette l’idée que cette situation serait définitive: s’ils ont trébuché, ce n’est pas pour tomber définitivement. Nous pensons qu’il veut souligner ici que ces Israélites conservent la possibilité de venir à Christ avec foi et de recevoir le salut.

Puis Paul ajoute un commentaire sur ce faux pas de certains Israélites: Dieu l’a utilisé pour rendre le salut accessible aux païens. On peut penser à cet égard à l’expérience missionnaire de l’apôtre telle qu’elle nous est rapportée dans le livre des Actes: très souvent, c’est le rejet de l’Evangile par les Israélites qui a conduit Paul à se tourner vers les non Juifs pour leur proclamer l’Evangile (Ac 13:45-48; 18:6; 28:24-28).

A la fin du verset, Paul suggère que le salut de non Juifs pourrait à son tour devenir l’occasion du salut d’Israélites: voyant des païens parvenir au salut, des Israélites pourraient être rendus jaloux, c’est-à-dire que cela pourrait les stimuler à désirer le même salut.

Puis, au verset 12, Paul imagine ce que sera, ou ce que serait, la conversion des Israélites. Si une faute de leur part (le rejet de l’Evangile) a pu entraîner des conséquences aussi bénéfiques que la conversion de païens, à combien plus forte raison une attitude positive de la part d’Israélites aura des conséquences bénéfiques.

Plusieurs incertitudes pèsent sur la compréhension de ce verset. D’une part, quel est le sens du terme grec plèrôma à la fin du verset: quelle richesse plus grande encore sera (serait) leur plèrôma? Nous mentionnerons ici trois possibilités:

1) Leon Morris suggère comme une possibilité que ce terme désigne « le plein accomplissement de la volonté de Dieu ».

2) Une large majorité d’exégètes y voit la participation de tous les Israélites au salut. Dans ce cas, on peut comprendre le verset à l’affirmatif ou au conditionnel. Autrement dit, Paul veut-il dire: « ce sera extraordinaire lorsqu’un tel événement se produira », ou bien: « ce serait extraordinaire si un tel événement se produisait »?

3) Ou bien le terme plèrôma peut désigner la totalité des Israélites qui doivent être sauvés, c’est-à-dire le nombre complet des élus israélites, comme le pense H. Ridderbos.

Aux versets 13 à 15, Paul revient sur les mêmes choses en s’adressant plus particulièrement aux chrétiens d’origine païenne. Il ajoute aussi une pensée concernant son propre ministère apostolique. Puisque les Israélites sont susceptibles d’être stimulés à désirer le salut en voyant les non Juifs l’obtenir, Paul espère que son ministère de prédicateur de l’Evangile auprès des non Juifs pourra contribuer au salut de certains Israélites. Voyant des non Juifs sauvés grâce à son ministère, des Israélites pourraient ainsi se convertir eux aussi.

Le verset 15 répète le verset 12. Dieu a mis les Israélites incrédules à l’écart de son peuple pour sanctionner leur incrédulité et cela a constitué une occasion pour des non Juifs de recevoir la faveur divine. Mais l’apôtre envisage que ces Israélites, ou certains d’entre eux, soient réintégrés dans le peuple de Dieu et il écrit que ce serait une résurrection d’entre les morts.

Pour la plupart des exégètes, cette dernière affirmation concerne un événement eschatologique: la conversion du peuple juif dans son ensemble. Ces mêmes commentateurs considèrent que le verset 12 affirme la participation de l’ensemble des Israélites au salut (optant ainsi pour la solution 2 pour le mot plèrôma et comprenant le verset à l’affirmatif). Les versets 12 et 15 affirment alors la même chose que le verset 26.

La mention d’une résurrection d’entre les morts peut alors se prendre dans un sens figuratif: ce serait l’idée d’un événement de grande ampleur, qui ferait passer de la mort spirituelle à la vie spirituelle. Mais F. F. Bruce et C. E. B. Cranfield y voient une référence à la résurrection corporelle, pour indiquer que la conversion du peuple juif dans son ensemble précèdera de peu la résurrection des morts et mènera à cet événement4 [4].

Deux objections nous semblent cependant militer contre cette lecture. Tout d’abord, elle donne au mot plèrôma un autre sens que celui qu’on lui reconnaît au verset 25. Là, Paul parle de l’intégration dans le peuple de Dieu du plèrôma des païens. Il ne veut certainement pas dire que tous les non Juifs seront incorporés au peuple de Dieu et par conséquent sauvés. Il est donc très largement admis que Paul veut parler de la totalité des non Juifs qui doivent être intégrés au peuple de Dieu, c’est-à-dire la totalité des élus d’origine païenne. Mais alors, il paraît difficile de donner un autre sens au mot plèrôma lorsqu’il est utilisé à propos des Israélites, au verset 12. L’usage du mot au verset 25 favorise très nettement l’option 3: au verset 12, il est question de la totalité des élus israélites.

L’autre objection apparaît lorsqu’on considère le contexte immédiat des versets 12 et 15. En effet, Paul y exprime le désir que son ministère auprès des non Juifs puisse contribuer au salut d’Israélites. Ceci indique que, dans les versets 12 et 15, il ne pense pas à un événement qui doit se produire à la fin des temps, mais bien plutôt à la conversion d’Israélites au travers de son ministère et, ajouterons-nous, durant toute l’ère missionnaire de l’Eglise.

Ainsi, nous pensons qu’au versets 12 et 15, Paul souligne combien il est appréciable de voir des Israélites se tourner vers Christ avec foi: c’est comme une résurrection d’entre les morts dans un sens figuratif ou spirituel. Et il nous dit combien cela sera merveilleux lorsque tous les Israélites qui doivent se tourner vers Christ tout au long de l’histoire missionnaire auront fait cette démarche et auront reçu le salut.

Il s’adresse en cela plus particulièrement aux chrétiens d’origine païenne qui, pour certains, pouvaient avoir tendance à mépriser le peuple juif ou à entretenir un esprit de supériorité à son égard (cf. v. 20). Ce qu’il faut souhaiter au contraire, c’est la conversion des Israélites, il faut même œuvrer dans ce sens et être prêt à accueillir ces éventuels nouveaux frères en la foi au sein de la communauté chrétienne (ceci prépare les chapitre 14 et 15 où les « faibles » qu’il faut accueillir sont certainement des croyants d’origine juive restés attachés aux prescriptions rituelles de la loi mosaïque).

L’image de l’olivier débouche sur la même affirmation de la possibilité pour les Israélites d’être réintégrés dans le peuple de Dieu. C’est à cause de leur incrédulité que des Israélites sont comme des branches coupées de l’arbre. Mais s’ils ne persistent pas dans leur incrédulité, ils seront regreffés sur l’olivier, car Dieu en a le pouvoir (v. 23). Et si Dieu a greffé sur l’olivier d’Israël des branches provenant d’un arbre sauvage, c’est-à-dire les croyants d’origine païenne, il sera encore plus désireux de greffer sur ce même olivier des branches qui s’y trouvaient autrefois, les Israélites qui se convertiront (v. 24).

Ainsi, la section formée des versets 11 à 24 a bien pour but de souligner que la possibilité demeure, pour les Israélites du temps de Paul, ainsi qu’en notre temps encore, de se tourner vers Christ par la foi et d’être réintégrés dans le peuple de Dieu. Ils ont trébuché, mais leur chute n’est pas irrémédiable, elle n’est pas nécessairement définitive.

Dieu a-t-il rejeté son peuple? Non! Il en a seulement exclu les Israélites incrédules. Et encore, si ceux-ci reviennent à lui dans la foi, ils seront réintégrés, selon le principe exposé par Osée:

Au lieu même où on leur avait dit: « Vous n’êtes pas mon peuple », on leur dira: « Vous êtes les fils du Dieu vivant. » (Os 2:1,3)

III. Romains 1:25-32

A partir du verset 25, Paul ajoute ce que nous considérons comme un troisième élément de réponse à la question posée au début du chapitre. Non seulement la porte du salut reste ouverte pour les Israélites, mais, un jour, cette possibilité deviendra réalité: Tout Israël sera sauvé.

L’interprétation de ce texte est controversée, c’est le moins qu’on puisse dire. Le nœud de la question, c’est l’identité du tout Israël.

i) Calvin considère que cette expression désigne l’ensemble des élus, Juifs et non Juifs. Ainsi, Paul serait en train de dire que lorsque les élus d’origine païenne seront sauvés, alors Israël sera au complet.

Nous mentionnons cette interprétation en premier lieu pour l’écarter d’emblée. Il paraît, en effet, impossible de donner au nom « Israël » au verset 26 un sens différent de celui qu’il prend au verset précédant. Au verset 25, « Israël » désigne l’Israël national, dont une partie a été endurcie. En outre, dans l’ensemble du chapitre jusqu’ici, le nom d’Israël a été utilisé au sens national, et en opposition aux non Juifs. Il est impensable que Paul emploie soudainement le nom d’Israël d’une manière radicalement différente de sa pratique depuis le début du chapitre, sans donner la moindre indication de ce changement d’usage.

ii) Pour la grande majorité des exégètes, Paul dit ici que l’endurcissement d’Israël non seulement est partiel (puisque Dieu s’est conservé un reste de croyants juifs), mais que cet endurcissement sera aussi limité dans le temps. Il ne durera que jusqu’à ce que les élus d’origine non juive soient tous parvenus au salut. Alors, à la fin de l’ère missionnaire, le peuple juif de cette époque sera sauvé dans son ensemble, c’est-à-dire la dernière génération qui vivra avant le retour de Christ.

L’expression tout Israël n’est pas à prendre comme désignant tous les Israélites sans exception aucune, mais comme se référant à la grande majorité d’entre eux, à Israël en tant que peuple. Un texte rabbinique est souvent cité à ce propos, qui déclare que « tout Israël aura une part dans le monde à venir » et qui se poursuit par une liste d’exceptions (Sanhédrin 10:1, cité par Cranfield).

Paul prédirait donc qu’un réveil national du peuple juif se produira juste avant le retour de Christ.

iii) Un autre point de vue, celui de H. Ridderbos, a été repris par un certain nombre de théologiens réformés évangéliques5 [5]. Ce spécialiste du Nouveau Testament pense que la formule tout Israël désigne l’ensemble des Israélites qui accueilleront l’Evangile et se convertiront tout au long de l’histoire de l’Eglise. Le mystère, dont il est question au verset 25, consisterait dans le fait qu’Israël ne sera pas sauvé sans les païens. Il donne au mot outôs, qui ouvre le verset 26, le sens « de cette manière ». Paul dirait alors que les Israélites ne peuvent être sauvés qu’avec l’entrée de non Juifs. Israël ne peut être sauvé que de cette manière, il ne peut pas être sauvé sans les non Juifs.

Mais pourquoi alors insister sur le fait que tout Israël sera sauvé? Ridderbos commente: jusqu’à présent, les croyants d’origine non juive ne voient que quelques individus juifs qui soient convertis, mais alors, Israël sera manifesté dans son unité comme une communauté sauvée.

Ridderbos considère donc que les versets 25 et 26 parlent de la même chose que ce qu’il a compris, et nous-même avec lui, aux versets 12 et 15. Il s’appuie pour cela sur les arguments suivants.

a) Dans le reste du Nouveau Testament, on ne rencontre nulle part ailleurs l’idée d’une conversion générale d’Israël. Il paraît donc douteux que Paul fasse ici la révélation d’un tel événement en cinq mots (dans le grec), sans autre explication.

b) Dans ce qui précède, l’apôtre n’a parlé que de conversion des Israélites au cours de son époque et, en outre, il n’espère en sauver que quelques uns (v. 12,15).

c) Au verset 31, il est dit que c’est maintenant que les Israélites reçoivent miséricorde: l’apôtre parlerait du temps présent, et non pas d’un événement qui devrait se produire à la fin de l’ère actuelle.

d) L’idée que l’ensemble des Israélites doive être sauvé est en contradiction avec ce que Paul a écrit au chapitre 9: seul un reste d’Israël doit avoir part au salut et cela non pas sur une base nationale.

Ces arguments ne nous paraissent pas suffisants.

– L’argument d) ne porte pas. En effet, que la dernière génération d’Israélite soit sauvée dans son ensemble n’empêche pas le principe du reste de s’appliquer au cours de toute l’histoire qui précède.

– Le terme « maintenant », sur lequel se fonde l’argument c), ne se trouve de loin pas dans tous les manuscrits. Et même si on devait considérer qu’il doit être conservé, il peut se comprendre de manière lâche, ou avec une valeur logique plutôt que temporelle.

– L’argument b) ne tient pas si l’on considère que Paul parle de deux époques différentes, son temps aux versets 11 à 24 et le temps de la fin dernière, juste avant le retour de Christ, dans les versets 25 à 27.

– L’affirmation sur laquelle repose l’argument a) n’est probablement pas tout à fait vraie. Car lorsque les apôtres ont demandé à Jésus quand il rendrait le royaume de Dieu à Israël, celui-ci ne leur a pas répondu qu’il ne le ferait pas. Il leur a simplement déclaré qu’il ne leur appartenait pas de connaître le moment fixé par le père (Ac 1:6-7). Ceci indique que le royaume sera un jour rendu à Israël, c’est-à-dire qu’Israël en tant que peuple entrera dans le royaume qui lui a été ôté à cause de son incrédulité (Mt 21:43). Un autre texte pourrait vouloir dire la même chose, celui de Lc 21:24.

En outre, on peut opposer plusieurs objections à la thèse de Ridderbos et l’interprétation majoritaire n’est pas sans appui.

Ces raisons nous amènent à retenir l’interprétation ii) pour le verset 26.

On peut penser qu’il est illogique de considérer que Dieu va ainsi faire quelque chose de spécial pour Israël. Si les Israélites incrédules ont été retranchés de l’olivier, s’ils ne sont plus le peuple de Dieu (Os 1:9), il n’y a pas de raison pour que Dieu leur réserve un traitement de faveur. Il n’y a plus de raison pour que l’Israël national connaisse une destinée particulière. Mais c’est exactement ce que Paul déclare: Dieu sauve par grâce, et non pas par logique. C’est une fois qu’Israël a été emprisonné dans la désobéissance (v. 32), c’est lorsque le peuple israélite a perdu tous ses droits, tous ses titres à un privilège quelconque ou à une faveur divine spéciale, que Dieu le sauve en tant que peuple et lui accorde une grâce particulière. C’est quand le peuple israélite n’est plus son peuple, quand il n’y a plus aucune raison de lui réserver un traitement particulier que Dieu fait quelque chose de spécial pour lui, quelque chose qu’il ne fera pas pour les autres peuples. C’est cela la grâce!

La manière dont Dieu agit envers le peuple d’Israël démontre qu’Israël ne mérite rien de plus que les autres peuples, et que si Israël est sauvé, c’est tout autant par grâce que dans le cas des non Juifs. Dieu sauve ceux qui n’ont aucun droit au salut: il sauve les non Juifs, à qui il fait grâce (v. 30), et il sauve les Israélites, une fois que ceux-ci ont perdu tout privilège, en leur faisant grâce à eux aussi (v. 31-32).

Conclusion

Enfin, les versets 28 et 29 appellent un commentaire particulier. Si l’on se place du point de vue de l’Evangile, ils sont devenus ennemis de Dieu pour votre bénéfice: cette affirmation met les Israélites incrédules au rang des goyim de l’Ancien Testament. Ils ne peuvent être considérés comme le peuple de Dieu (cf. Os 1:9). Mais du point de vue de l’élection, ils restent les bien-aimés de Dieu à cause de leurs ancêtres, car les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables. Dieu n’oublie pas que le peuple d’Israël a joué un rôle particulier dans l’histoire de la rédemption. Il n’oublie pas qu’il a conclu une alliance avec eux. Bien sûr, nous l’avons souligné, le traité d’alliance incluait une liste de sanctions, des bénédictions et des malédictions. Tout ce que nous, les Israélites, méritions sur la base de cette alliance, ce sont les malédictions. Cependant, Dieu dans sa grâce a décidé d’accorder quand même les bénédictions à Israël en tant que peuple, à cause du rôle qu’il l’avait appelé à jouer dans l’histoire du salut. C’est la raison pour laquelle tout Israël sera un jour sauvé.

Ce que nous comprenons par là est une conversion massive des Israélites à Christ à la fin de l’ère présente. Car Jésus-Christ est le seul chemin de salut, y compris pour les Israélites. Ces Israélites de la dernière génération seront sauvés par la foi. On assistera donc vraisemblablement à un réveil de masse de ce peuple, un événement qui peut faire penser aux grands réveils du XIXe siècle6 [6].

Les croyants d’origine païennes auront peut-être un rôle significatif à jouer dans ce réveil, par la proclamation de l’Evangile aux Israélites. De la sorte, les Israélites obtiendront miséricorde par suite de la miséricorde accordée par Dieu aux croyants d’origine païenne (v. 31). Ceci devrait nous stimuler à annoncer l’Evangile aux Israélites, dans l’espoir d’en sauver quelques-uns dès à présent, et dans l’attente de l’événement prévu par l’apôtre Paul pour la fin des temps.

La manière dont Dieu agit envers le peuple d’Israël démontre sa fidélité et sa grâce, et appelle ainsi notre adoration.

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Appendice : Sur l’identité juive

Existe-t-il encore un peuple juif qui puisse bénéficier d’une telle promesse et comment détermine-t-on qui en fait partie? La question présente une certaine difficulté. Rappelons, tout d’abord, que c’est l’élection divine qui est constitutive du peuple juif. Elle garantit sa subsistance jusqu’au terme de l’histoire, pour que la promesse de Romains 11 puisse s’accomplir. Ainsi, il est indéniable qu’il existe aujourd’hui une entité que l’on est en droit de nommer peuple juif. Même si, pour certains individus pris en particulier, on peut avoir du mal à définir des critères précis pour déterminer s’ils sont juifs ou non, il n’en demeure pas moins vrai qu’il n’y a pas d’hésitations pour ce qui concerne plus d’une dizaine de millions d’Israélites dans le monde. Ceci demeure même si, comme certains le pensent, une partie des ces Israélites ne sont pas des descendants d’Abraham mais des descendants de prosélytes. En effet, il y a toujours eu la possibilité pour des étrangers d’être assimilés au peuple juif: c’est le cas d’individus comme Rahab, mais aussi de clans comme celui des Rékabites, qui était issu des Qénites (Jg 1:16; 1 Ch 2:55; Jr 35).

Pour ce qui est des critères, les rabbins considèrent que la judaïcité se transmet par la mère. Dans le Nouveau Testament, on voit Paul circoncire Timothée qui était de mère juive et de père non Juif. Avoir une mère juive suffisait donc aux yeux de l’apôtre. Mais prendre cela comme le criètre exclusif paraît peu conforme à l’esprit de l’Ancien Testament lorsqu’on considère l’importance qui y est accordée au père et à l’héritage qu’il lègue. Les enfants que Boaz a eus par Ruth la Moabite sont bien considérés comme israélites à part entière. Le fait d’avoir l’un de ses deux parents juif, quel qu’il soit, peut donc suffire. On peut ensuite se demander quelle proportion minimale de sang juif permet de considérer un individu comme israélite. Un grand-parent suffit-il? A notre sens, ce n’est pas là le seul facteur à prendre en compte. Il nous semble que la conscience d’être juif et la volonté d’appartenir au peuple juif constituent aussi des critères importants. Ceux-ci dépendront, non seulement d’une certaine proportion de sang juif – moins un individu a d’ancêtres israélites, plus sa conscience d’appartenir au peuple juif va se diluer –, mais aussi de l’éducation reçue par l’individu et de ses désirs personnels. C’est pourquoi il ne nous paraît pas approprié de proposer un critère exprimé en terme quantitatif (x% de sang juif) qui vaudrait pour tous pareillement.

L’adhésion à la religion juive ou, pour un chrétien, l’appartenance à une communauté messianique renforcera le sentiment d’identité juive et sera une manière d’exprimer la volonté d’appartenance au peuple juif. Nous ne considérons cependant pas ce critère religieux comme nécessaire.

Un autre critère est celui de l’accueil fait à l’individu par la communauté juive (ou par une communauté messianique) en réponse à sa volonté d’appartenance. Si cet accueil existe, il confirmera lui aussi l’identité juive de l’individu. Mais cet accueil est souvent fonction du critère religieux que nous ne considérons pas comme nécessaire. En outre, il est aussi déterminé par le critère de judaïcité énoncé par les rabbins dont nous récusons le caractère exclusif. C’est pourquoi l’absence d’une reconnaissance par une communauté juive n’est pas à nos yeux un facteur déterminant de manière absolue.

Ce ne sont ici que quelques pistes de réflexion sans prétention sur un sujet complexe.


* S. Romérowski est professeur à l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne.

1 [7] Nous avons abordé ces questions de manière plus développée, ainsi que la question du rôle du pays d’Israël dans le plan de Dieu dans l’article suivant: « Hope for the Jews », European Journal of Theology (5:1997) 1, 31-39 et (6: 1997) 2, 131-145. Voir aussi notre Lœuvre du Saint-Esprit ancienne et nouvelle (Mulhouse: CCCM, 1989), ch. 3.

2 [8] Certains traduisent: « toutes les nations se béniront par toi / par ta descendance », ce qui signifie qu’elles utiliseront des formules de bénédiction comme: « Que Dieu te bénisse tout comme il a béni Abraham / les descendants d’Abraham ». Ce problème de traduction n’est pas aisé à résoudre. Sans entrer ici dans la discussion, nous notons simplement que les versions anciennes ont compris ces textes comme signifiant que toutes les nations seront bénies au travers de la descendance d’Abraham et que le Nouveau Testament les comprend, ou tout au moins certains d’entre eux, de la même manière. A nos yeux, la compréhension néo-testamentaire doit être reçue comme normative.

3 [9] Ainsi H. Blocher, « L’œcuménismeet les Juifs », Recension del’ouvrage The Theology of the Churches and the Jewish People, Statement of the World Council of Churches and its Member Churches, Fac Réflexion 13 (Juillet 1989), 30.

4 [10] F. F. Bruce, The Epistle to the Romans (Grand Rapids, Eerdmans) ; C. E. B. Cranfield, Romans, (ICC, Edimbourg: T. & T. Clark, 1990), II, ad loc.

5 [11] Nous dépendons ici d’un document non publié réalisé par R.B. Gaffin, « Professor Ridderbos on Romans 11.25-32. An informal translation of Herman Ridderbos, ‘Israel in het Nieuwe Testament, in het bijzonder volgens Rom 9-11’, Israel (den Haag: van Keulen, 1955), 57-64 ».

6 [12] Devant cette affirmation, la question de la définition du peuple juif peut se poser. Voir l’appendice dans l’encadré à la fin de l’article.