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Narration et foi

Narration et foi

Harold KALLEMEYN*

Le pasteur chrétien est un éducateur chargé de transmettre tout le conseil de Dieu à ceux qu’il enseigne afin qu’ils grandissent vers la stature parfaite du Christ1 [1]. Sa responsabilité d’éducateur ne s’arrête cependant pas là, car il a également la charge de former et d’encadrer ceux qui partagent, avec lui, la vocation de transmettre la Foi aux autres: moniteurs de l’école du dimanche, responsables de jeunes et animateurs d’études bibliques2 [2]. Cette responsabilité l’incite à se poser la question: « Quelles sont les qualités à rechercher et à promouvoir chez les catéchètes de l’Eglise? »

Un premier élément de réponse à cette question concerne les qualités communes à tout éducateur; par exemple, connaître la matière qu’il enseigne et les traits caractéristiques de ceux qui sont à sa charge. De plus, l’éducateur doit savoir bien préparer son enseignement, le dispenser de manière appropriée et évaluer son action et ses résultats. Il convient, également, à tout éducateur d’être au clair sur ses propres capacités et ses limites. Ces qualités, dites pédagogiques, méritent toute l’attention du catéchète. Mais, elles ne sont pas suffisantes, car la transmission de l’héritage de la Foi chrétienne n’est pas totalement comparable à la transmission d’autres connaissances comme, par exemple, les mathématiques.

Dans cet article, je me propose de présenter deux traits caractéristiques de la Foi qui appellent des qualités à trouver et à développer chez les catéchètes chrétiens: la Foi chrétienne 1°) implique une relation d’amour réciproque entre Dieu et l’homme et 2°) présente un Dieu qui communique par la Parole écrite.

A) La Foi chrétienne implique une relation d’amour réciproque

Le message chrétien peut être résumé par l’affirmation que Dieu aime l’homme et qu’il recherche, en retour, son amour. Les deux aspects de cette relation à double sens intéressent le catéchète: l’amour initiateur de Dieu et l’amour répondant de l’homme. Ils représentent, en effet, la double finalité de son engagement: que ceux à qui le catéchète enseigne apprennent 1°) que Dieu les aime et 2°) qu’ils ont à l’aimer en retour.

Le premier de ces deux objectifs peut paraître le plus accessible, car il conduit, entre autres, à présenter le message biblique de l’amour de Dieu révélé en Jésus-Christ. Le second objectif, à savoir susciter en retour un sentiment d’affection, d’amour paraît moins facile à atteindre. Remarquons, en outre, que cet « amour en retour » ne peut être authentique que s’il est de tout cœur de la part du croyant. C’est pourquoi le catéchète ne peut pas imposer sa foi à ceux à qui il enseigne, ni substituer la sienne à la leur.

Comment, pratiquement, le catéchète peut-il promouvoir l’émergence et la croissance d’une foi personnelle chez ceux à qui il enseigne? Un élément de réponse est donné par le deuxième trait caractéristique de la Foi.

B) La Foi chrétienne présente un Dieu qui communique par une parole écrite

Par l’Ecriture, le catéchète fait découvrir le Dieu trinitaire « qui a tant aimé le monde ». En quoi la connaissance de ces textes millénaires peut-elle amener à l’émergence et à la croissance d’une foi personnelle?

Un premier élément de réponse est d’une simplicité évidente: l’amour de Dieu révélé en Jésus-Christ ne laisse pas insensible! Cet amour éveille une réponse de même nature dans le cœur humain qui le comprend et le reçoit3 [3]. Cette réponse d’amour est un mystère qui échappe à toute tentative d’explication rationnelle, qui pourtant ne reste pas totalement incompréhensible.

C’est ainsi qu’il me semble possible d’affirmer que l’amour de Dieu suscite, dans le cœur de l’homme, un écho dont la nature et l’intensité sont liées aux différentes structures des textes bibliques. Trois formes littéraires retiendront brièvement notre attention: la narration, la poésie et les impératifs bibliques.

I. La narration

Les récits bibliques racontent les merveilles4 [4] du Dieu Trinitaire qui intervient dans l’histoire humaine par ses actes et par ses paroles. Le catéchète y trouve une riche « matière première » qui lui permettra d’atteindre son premier objectif5 [5].

La manière utilisée par les rédacteurs du texte biblique6 [6] pour rappeler les événements présente au catéchète des pistes pédagogiques pour promouvoir l’éveil et la maturation de la foi de ceux à qui il enseigne. Comment les rédacteurs bibliques racontent-ils les événements? Ils ne recourent pas tous au même style littéraire. On peut, cependant, identifier deux traits caractéristiques dans l’ensemble des récits bibliques. Premièrement, ces récits présentent Dieu comme le grand acteur dans l’histoire du salut. Il est indéniablement l’acteur principal des événements rapportés du Pentateuque aux évangiles, et jusqu’à l’Apocalypse. Deuxièmement, les récits bibliques présentent des acteurs humains7 [7] en interaction avec Dieu et en interaction les uns avec les autres.

A la lecture des récits bibliques, un phénomène se produit qui est commun à la lecture de presque tout récit: le lecteur adopte le point de vue du rédacteur sur les événements décrits. Par son imagination, il apprécie ces événements à partir de la perspective de celui qui les raconte. Souvent, le point de vue du rédacteur est aussi celui des personnages du récit, ce qui produit le phénomène de « l’association narrative » par laquelle le lecteur se remémore les événements racontés comme s’il se trouvait à la place des personnages. Le récit met le lecteur « dans la peau » de ceux qui sont au centre de l’action décrite. Cette identification imaginaire avec les personnages du récit est souvent si forte que le lecteur ne peut s’empêcher d’être heureux de leur bonne fortune ou de s’attrister des malheurs qui s’abattent sur eux.

Cette association narrative ouvre des pistes pédagogiques au catéchète pour atteindre son deuxième objectif: que ceux à qui il enseigne apprennent à répondre à l’amour de Dieu en l’aimant en retour8 [8]. Illustrons brièvement ce propos par le récit de l’appel de Moïse par Dieu devant le buisson ardent, en Exode 3 et 4.

Une lecture qui tient compte de l’ensemble des éléments de ce récit, pris dans leur contexte, montre que Dieu en est l’acteur principal. Une des intentions manifestes du rédacteur du récit biblique est de faire apprécier la compassion et la fidélité de Dieu9 [9]. La tâche primordiale du catéchète est donc de faire apprécier cette compassion bienveillante de Dieu. L’amour divin donne un sens à l’ensemble des événements racontés dans ces deux chapitres.

Evidemment, Dieu ne se trouve pas seul au buisson ardent! Notons avec quel soin le rédacteur rapporte la conversation détaillée qui a lieu entre Dieu et Moïse, si bien que, par le phénomène de l’association narrative, le lecteur perçoit les appréhensions et les résistances de Moïse face au projet que son Seigneur compatissant lui propose. Et, par là même, le récit incite le lecteur à considérer en quoi ses propres rapports avec Dieu ressemblent à ceux de Moïse.

De manière schématique, on pourrait dire que la compassion de Dieu constitue le cadre de ce récit biblique dont le cœur est fait des réactions d’un homme bouleversé par un appel qui va à l’encontre de ses propres penchants10 [10]. Le catéchète, en présentant ce récit, doit s’assurer que ceux à qui il enseigne sont conduits 1°) à apprécier l’amour compatissant et fidèle de Dieu et 2°) à réfléchir sur leur propre réponse à l’appel de Dieu, lequel ressemble, à certains égards, à celui de Moïse.

Notons aussi que les correspondances établies entre le lecteur et les personnages du récit – quand le lecteur se voit comme un autre –offrent un terrain fertile de découvertes et d’appropriations personnelles. Or, l’acte d’imagination narrative par lequel une personne se considère comme une autre est une démarche essentielle à l’édification de sa propre identité. C’est pourquoi le catéchète a tout intérêt à prévoir des démarches pédagogiques qui engagent ceux à qui il enseigne non seulement à apprendre des faits bibliques, mais aussi à explorer les associations narratives suggérées par le texte11 [11].

II. La poésie

Comment la poésie biblique peut-elle contribuer à l’éveil et à la maturation de la foi personnelle? A titre d’exemple, considérons la première phrase du Psaume 23:

Le Seigneur est mon berger, je ne manquerai de rien.

Dans la première clause, le psalmiste décrit Dieu comme un berger. Dans la suite du psaume, il développe cette analogie pastorale pour que le lecteur comprenne mieux l’amour de Dieu: « Il me fait reposer dans de verts pâturages, etc. » Cette analogie fournit au catéchète une riche matière pour atteindre son premier objectif.

Cette première phrase du Psaume 23 contient plus que des informations sur Dieu. Elle est aussi une confession de foi personnelle: Le Seigneur est mon berger.

Cette confession interpelle le lecteur attentif et suscite en lui des interrogations: Dieu, mon berger? En quoi est-il mon berger?

Cet aspect de confession du psaume se retrouve dans la suite de la phrase: Je ne manquerai de rien. Cette affirmation suscite également des interrogations dans l’esprit du lecteur: Ne manquerai-je (jamais!) de rien? Les deux parties de la phrase engagent le lecteur attentif à une recherche qui l’aide à comprendre le sens du texte.

L’aspect de confession de la poésie biblique donne à l’enseignement de ces textes bibliques, comme aux textes narratifs, une double visée: celle de clarifier les affirmations bibliques pour mieux comprendre l’amour de Dieu (« Dieu est un berger », voir Jean 10, etc.) et celle d’encourager l’exploration personnelle, la confession personnelle du lecteur étant confrontée avec celle du rédacteur biblique. Le lecteur peut vivre cette confrontation en éprouvant des sentiments d’appréhension, d’hésitation et de doute comme aussi d’adhésion confiante. (Ne manquerai-je (jamais!) de rien?) De nombreux psaumes, en raison de leur structure et de leur mouvement internes, suggèrent que ces expériences d’incertitude font partie du processus de maturation de la foi12 [12].

Remarquons à quel point l’exploration active et personnelle à laquelle le Psaume 23 invite son lecteur peut ressembler à celle que suscite le récit de la rencontre entre Dieu et Moïse au buisson ardent.

III. Les impératifs bibliques

De nombreux textes bibliques mentionnent des attitudes à adopter ou des comportements à suivre13 [13]. Le catéchète aurait tort de croire que sa seule tâche consiste à faire connaître ces exigences, en laissant à chacun la responsabilité et la liberté de les respecter ou d’y résister.

Ces impératifs eux-mêmes invitent le lecteur attentif à plusieurs démarches d’exploration active en suscitant au moins trois interrogations personnelles: 1°) Quel est le sens de cet impératif? 2°) En quoi m’invite-t-il à évaluer mon passé? Et 3°) En quoi me conduit-il à clarifier mes intentions par rapport à l’avenir?

Prenons, par exemple, le commandement « Tu ne tueras pas ».

La catéchète a la responsabilité de clarifier le sens de cet impératif, particulièrement à la lumière de l’enseignement de Jésus et des apôtres, et de montrer en quoi cet impératif est le reflet de l’amour de Dieu14 [14]. Mais, sa tâche n’aura pas été réalisée si ceux à qui il enseigne ne se sentent pas concernés par cet impératif. Il ne s’agit pas pour le catéchète de remettre en question, de sa propre autorité, ou d’indiquer en détail le comportement que chacun doit adopter; il doit plutôt les « initier » à une démarche de réflexion active qui comportera un double regard: le regard de chacun sur son passé et le regard sur ses intentions pour son avenir.

Conclusion

Pour résumer, remarquons que la narration, la poésie et les impératifs bibliques encouragent le catéchète à développer une double démarche pédagogique qui consiste 1°) à transmettre et à expliquer le contenu du texte biblique de sorte que ceux à qui il enseigne saisissent de mieux en mieux les intentions bienveillantes de Dieu et 2°) à engager des démarches pédagogiques qui incitent chacun à explorer, à examiner, à tester et à clarifier sa propre foi.

Revenons, en conclusion, à notre question du départ. A la lumière des deux traits caractéristiques de la Foi chrétienne signalés dans cet article (une relation d’amour réciproque avec un Dieu qui parle…), quelles sont les qualités à rechercher et à promouvoir chez un catéchète? Il importe que le catéchète cultive des compétences pédagogiques pour que ceux à qui il enseigne s’engagent activement dans l’assimilation et l’appropriation de l’Evangile. En plus, il lui faudra cultiver trois qualités:

1. Aimer Dieu par Jésus-Christ. Comment, en effet, cultiver cet attachement fidèle et affectueux chez d’autres sans le vivre soi-même? De nombreux croyants, dans le passé, ont témoigné de l’influence d’un catéchète en affirmant: « Il vivait ce qu’il enseignait. »

2. Aimer ceux à qui il enseigne. Cet amour se manifeste par l’accueil favorable de tous ceux à qui il enseigne et par l’importance qu’il attache à la démarche active de chacun dans la formulation et la confirmation de sa propre foi.

3. Aimer l’Ecriture. Il reconnaît, en elle, le moyen privilégié de cultiver son amour pour Dieu et de renouveler sa vocation dans le Royaume.

L’exigence de ces « trois amours » souligne l’importance qu’il y a pour le catéchète de cultiver une foi équilibrée et renouvelée… et la lourde responsabilité du pasteur à qui il incombe de prévoir des temps et des lieux de ressourcement spirituel pour les catéchètes de son Eglise.


* H. Kallemeyn est professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

1 [15] Ac 20:27; Ep 4:13.

2 [16] Dans la tradition chrétienne, on a souvent appelé ces éducateurs des catéchètes.

3 [17] Par son Esprit et son œuvre de régénération.

4 [18] Ac 2:11.

5 [19] Faire découvrir et apprécier l’amour de Dieu.

6 [20] Sous l’inspiration de l’Esprit.

7 [21] Que l’on pourrait qualifier d’acteurs « secondaires ».

8 [22] Les propos qui suivent concernent, avant tout, les associations narratives que les récits bibliques provoquent entre le lecteur et les personnages humains. A mon avis, les textes bibliques cultivent aussi une forme d’« association narrative » entre le lecteur et Dieu, aussi bien dans l’Ancien que le Nouveau Testament. On ne peut pas approfondir ce sujet dans le cadre du présent article.

9 [23] Ex 2:25, 3:7-8, 17.

10 [24] Un appel qui fait écho à d’autres adressés, par exemple, à Abraham, à Esther, à Jonas et à Pierre.

11 [25] Il existe, certes, le danger pour le lecteur biblique d’établir des associations narratives douteuses qui vont à l’encontre de l’Evangile. Par exemple: « Soyons forts comme Samson et tuons nos ennemis! »

12 [26] Voir, par exemple, le Psaume 13.

13 [27] Ces directives se trouvent dans l’Ancien Testament et dans l’enseignement de Jésus et des apôtres.

14 [28] Par exemple, à la manière du Catéchisme de Heidelberg.