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Des réveils au XXe siècle

Des réveils au XXe siècle

Brigade et Brigadette

Albert BERRUS*

il restera clairvoyant!

Le regard sur le passé ne doit pas nous rendre absents de notre présent, mais mieux participants de l’actualité. Sans remonter à Abraham et à Sara (quatre millénaires avant nous!) considérons deux réveils de ce siècle: celui de la Drôme et celui de la Gardonnenque, dont la Brigade et la Brigadette furent les artisans en prenant au sérieux le Seigneur: « Saint, saint, saint est l’Eternel, toute la terre est remplie de sa gloire »; « Le matin vient »; « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié ».

A) Le réveil: notre commune histoire

L’histoire n’est pas seulement affaire de spécialistes, c’est l’affaire de tous. On ne vit pas sans histoire: on naît, vit et meurt dans une chaîne dont on est l’un des maillons. Mieux vaut en avoir conscience et ne pas oublier que lire l’histoire, c’est rendre présent notre passé.

Il n’y a pas de recette pour le réveil. Il est comme la transfiguration: on ne la provoque pas, on la reçoit. Nous ne sommes pas là pour répéter, mais pour vivre et recevoir, pour voir soudain s’éclairer dans notre présent des paroles de l’Ecriture qui deviennent aussitôt « paroles de vie ». Il faut donc être disponible, être en attente. C’est ce qui m’a fait accueillir un réveil d’un autre genre que « réformé »: le réveil charismatique. Soyons disponibles et clairvoyants devant ce que Dieu éclaire, souligne, attend. Mais ne concluons pas avant d’être sérieusement informés. C’est ce que je voudrais faire modestement en me laissant instruire par les témoins de nos réveils: Jean Cadier, mon professeur; Pierre Guelfucci, un frère aîné. L’un de la Brigade, l’autre de la Brigadette…

Pourquoi ces noms: « Brigade, Brigadette »? Ecoutons J. Cadier:

Brigade, d’où vient ce nom? nous a-t-il été souvent demandé. Nous n’en savons rien. Il nous a été donné, on ne sait par qui, on ne sait pour quoi; il surgit un jour. Je vois bien qu’on nous comparaît à ces gendarmes qui parcourent le pays par petits groupes. D’autres plus sérieux parlaient de « brigades d’assaut » que l’on envoyait pendant la guerre en renfort sur des points menacés… Ailleurs, la Brigade désigne des groupes de suppléants prêts à donner un coup de main d’urgence… Peu importe! Le nom est resté. Nous avons voulu le solenniser en nous appelant « Brigade missionnaire de la Drôme »; cela n’a pas pris. Nous étions « La Brigade », cela suffisait. Le nom apparaît dans notre petit journal L’Accord , au printemps 1923. Il nous est resté… Mais, en fait, ce nom vient de ce que les pasteurs « brigadiers » ont été amenés à travailler en équipe. Cela s’est produit à la suite d’une mission organisée dans sa paroisse par Victor Bordigoni. Cette fois, trois pasteurs présents prirent la parole: une unité parfaite se manifestait et la force du témoignage en était accrue. Ce fut pour ceux qui avaient parlé une expérience nouvelle et décisive. Ils s’étaient sentis fortifiés par cette action commune. Obligés à la brièveté pour laisser à chacun le temps nécessaire, ils avaient donné plus de force à leur parole, ils s’étaient effacés en tant que personnalité pour laisser au message apporté toute sa force. La Brigade était née 1 [1] .

Ce travail en équipe était une chose tout à fait nouvelle en 1923. Il a été caractéristique de ce réveil: œuvre, non d’une personnalité, mais d’une équipe, la Brigade. Il en fut, ensuite, de même en Gardonnenque; aussi s’est-on contenté d’ajouter le « ette » local, qui a fait « Brigadette ».

B) Le réveil de la Drôme

Nous sommes en plein mois d’août 1922, peu après la fin de la guerre de 14-18 qui a tant marqué notre pays et laissé nos paroisses bien somnolentes. Nous sommes un dimanche après-midi en été (heure de la sieste) dans le petit temple de L’Establet (Drôme). Le pasteur de La Motte-Chalendon est venu présider le culte. Une jeune femme, Alice Ponson, se leva et dit: « Mes amis, mes voisins, vous me connaissez… Jusqu’à présent, j’ai vécu pour moi-même, ma famille, mes biens… Maintenant, j’ai compris, je veux vivre pour Dieu; qu’il me donne son pardon et sa force… » Elle s’arrêta les yeux pleins de larmes. Le pasteur descendit de chaire. Déjà, la plupart des auditeurs s’étaient mis à genoux. Plusieurs déclaraient leur volonté de se donner à Dieu. Le pasteur allait de l’un à l’autre. C’était vraiment une manifestation de l’Esprit de Dieu.

Aussi est-ce plein de joie que le pasteur descendit à La Motte. Dans le culte du soir, il raconté la scène. Sur le champ, plusieurs déclarèrent vouloir se donner à Dieu. Le petit feu qui venait de s’allumer commençait à embraser la forêt. On chantait: « C’est la joie, c’est la joie, c’est la joie du ciel qui rayonne dans nos cœurs: gloire à l’Eternel… »

Le réveil chante et fait chanter, c’est un signe. La Réforme a chanté. Le réveil piétiste a chanté. Le réveil du Pays de Galles, le réveil de la Drôme, le réveil charismatique aussi ont chanté. Mais il existe aussi des renouveaux bibliques qui ont peu chanté et beaucoup apporté.

C) Le réveil s’est discrètement préparé

Dès 1921, un groupe de pasteurs du sud de la Drôme avait décidé de mettre le réveil à l’ordre du jour de leurs réunions. Ils étaient presque tous jeunes, au début de leur ministère. Ils attendaient un renouveau dans leurs Eglises. On sortait de la guerre, on avait dressé les monuments aux morts; une vague de jouissance déferlait, l’incrédulité faisait des ravages. Le défi était lancé, il fallait le relever.

Dieu tient les temps dans sa main. Ils veut les faire naître dans l’institution qui demeure avec ses paroisses, ses conseillers, ses synodes… Soudain, l’événement surgit qui se sert des structures, d’un groupe de pasteurs instruits: Edouard Champendal, Henri Eberhard, Pierre Caron, Jean Cadier et, plus tard, Jacques Deransart, Antoine Antomarchi, Gédéon Sabliet. A ces pasteurs, il envoie un prophète isolé pour les entraîner: Victore Bordigoni. Tout était prêt, comme au Carmel.

D) Les signes du réveil dans l’espace et dans le temps

Lorsque nous assistons à des prières d’humiliation, de consécration, à des réconciliations, à des reprises en main de serviteurs, lorsque des textes retrouvent un accent de nouveauté et leur puissance, n’est-ce pas le signe que l’Esprit est à l’œuvre? Il y a un appel clair au changement. Pourquoi laisser passer cette heure sans se donner pleinement à l’action actuelle de l’Esprit saint?

Le rayonnement du réveil est aussi l’un de ses aspects: d’un village à l’autre, d’une paroisse à l’autre, d’un pasteur à l’autre, d’un chrétien à l’autre et les incrédules sont atteints. Tout peut servir au dessein de Dieu: les amitiés, les études, la proximité paroissiale… Il faut tout cultiver et attendre les heures qui sonnent ou sonneront. Voici quelques noms de villages atteints par le réveil de la Drôme: La Motte, Crest, Valdrome, Dieulefit, Mazamet, le Poitou… les frontières sont franchies vers la Suisse (Genève), vers la Belgique.

Voici les mots d’ordre de la Brigade: Dieu ne se contente pas de ce que nous sommes (1926). Il faut que tout change (1927). Dieu n’a pas changé (1928). En haut (1929). Vainqueur (1930). O Dieu, crée en moi un cœur pur (1931). Vous serez mes témoins (1932). Debout! (1933). Mon seul titre devant le Dieu juste: être pécheur pardonné (1934). Dis à ceux qui la replâtrent que la façade s’écroulera (1935). Il faut que Dieu gagne (1936). Il est plus tard que vous ne pensez (1937). Je cours vers le but (1938).

E) La Gardonnenque

Des jeunes de l’Union chrétienne de jeunes gens (UCJG) de Nîmes sont allés assister à une mission de la Brigade à Saint-Paul-Trois-Châteaux (du 29 mai au 2 juin 1925). Ils invitent la Brigade à venir à Nîmes du 30 novembre au 3 décembre 1925. Le 2 décembre assistent à la réunion des étudiants en théologie gagnés au Christ dès leur jeunesse par les conventions du grand revivaliste Ruben Saillens. Ce sont Jean Bordreuil, Jean Cruvellier, Pierre Guelfucci, Louis Poulain, qui seront bientôt suivis par Marc Perrier, Georges Serr et Boris Decorvet.

Ce groupe d’étudiants, auxquels la vision du réveil s’impose, prient pour le réveil d’une région où Dieu les appellerait à travailler ensemble. Et voici qu’ils sont appelés, les uns après les autres, dans les Eglises de Gardonnenque.

Ils signent une déclaration de principe commune et la première convention a lieu à Saint-Géniès du 26 au 30 octobre 1932. Elle fut préparée dans la prière sur cette terre longtemps desséchée par le rationalisme et la libre pensée. On attend des orateurs de marque, les brigadiers de la Drôme et Ruben Saillens, qui ne put venir et envoya un message. Les brigadiers, nouveaux venus dans la région, firent la conquête des foules enthousiasmées qui n’oublièrent pas la prédication de H. Eberhard sur « la robe de Jésus ».

« Le réveil n’est pas un coup d’éclat. C’est une lutte, c’est un absolu fait de certitude, de calme et d’équilibre », écrit B. Decorvet. Avec ce texte, nous voyons le vocabulaire d’une époque; il caractérise un réveil de type réformé et non charismatique. Il insiste sur le combat de la foi, sur la victoire.

F) Le réveil, des réveils, la continuité

Les cantiques de l’époque sont des chants de victoire ou des chants de guerre et de gloire: « Sûrs de la victoire », « Lève-toi, vaillante armée », « Debout, sainte cohorte », « Le signal de la victoire », etc. Autant de cantiques qui n’ont plus cours. Aujourd’hui, on est moins « des combattants » que « des ouvriers de paix, des bâtisseurs d’amour ». On est plus invité à être des chercheurs, à l’écoute, les mains ouvertes, que des victorieux.

Le message a sans doute besoin de s’actualiser dans le langage du temps, mais il ne saurait se conformer à ce dernier. Il doit garder le caractère de celui qui l’inspire, le réveille.

Les messages des conventions sont successivement: « La vie de victoire », « Vivre; qu’est-ce que le réveil? ». La troisième convention répond à cette question: « La manifestation de la gloire de Dieu »2 [2] . Le message de ce mouvement de l’Esprit est celui de la Parole de Dieu avec toutes ses exigences et toutes ses promesses. En voici quelques pointes:

– Le réveil est le message de la gloire de Dieu (Es 6:3). Non plus « le Bon Dieu » mais le Dieu trois fois saint qui nous montre et nous offre sa grâce en son Fils unique et bien-aimé. En lui, l’amour de Dieu est manifesté, en lui sa justice est satisfaite. Telle est la parole qui a été proclamée dans les montagnes de la Drôme, qui s’est répercutée tel un écho puissant à travers le pays tout entier et qui est parvenue jusqu’à nous dans nos vieilles Eglises de Gardonnenque et des Cévennes. Elle a replacé devant nous la nécessité et l’urgence d’une vie à la gloire du Seigneur.

– Le message du réveil, c’est aussi le message de la croix. Accepter la croix, c’est accepter l’opposition, c’est recevoir la sérénité de la foi: combat et repos, lutte et paix. La croix pour le chrétien, c’est comme l’aile de l’oiseau. Quand nous voyons un oiseau marcher à terre, il nous semble que ses ailes lui sont un fardeau. Mais s’il s’élève dans les airs, ce fardeau le porte. La croix nous porte.

G) Les drames du réveil

Tout ceci a porté d’excellents fruits: que de vies consacrées à Dieu, aux frères; que d’œuvres, d’Eglises en ont bénéficié! Cependant, il faut reconnaître que tout réveil connaît la situation des ouvriers qui disent à leur Maître: « N’as-tu pas semé du bon grain? D’où vient qu’il y a de l’ivraie? » Au départ, on vit en communion de consécration et puis, soudain, une zizanie surgit et le temps de l’épreuve et de la déception arrive. C’est d’abord, en 1927, un voile qui se déchire sur l’un des pionniers du réveil de la Drôme qui avait beaucoup apporté. En 1928, J. Cadier est victime d’un terrible accident d’auto entre Crest et Aouste. Cet accident a été l’occasion de se dégager d’un certain « magisme ». Il n’est pas dit que Dieu protège toujours ses enfants de la souffrance et de la mort, mais plutôt que « ni les souffrances, ni la mort ne peuvent nous séparer de son amour ».

Dieu agit selon son bon plaisir qui est le bon pour nous, dans sa souveraine liberté. Ce qui a été pensé en mal, il peut le changer en bien pour le salut. Il est une croissance de la foi qui connaît aussi des crises. Tous les dons de Dieu sont vivants. Et comme la vie, ils sont dans son mouvement. C’est ce que ne croit pas celui qui pense avoir la plénitude du Saint-Esprit. Il se laisse envahir par l’orgueil; sa propre pensée devient à ses yeux la pensée de Dieu qui a pris son parti. En fait, il rend Dieu captif… C’est ce qui est arrivé au pasteur de Loriol qui se laissera saisir par les absolus particuliers au mouvement pentecôtiste de l’époque et ne pourra pas être gardé dans l’Eglise réformée. Il y a certes dans les mouvements revivalistes des carences des Eglises. Des hommes de réveil comme Louis Dallière l’ont compris. Aussi la communauté de Charmes a-t-elle tenu jusqu’à nos jours, apportant sa vivante présence dont beaucoup ont bénéficié.

Plus grave a été la scission qui s’est produite en 1935 entre la Brigade et la Brigadette. Tandis que la Brigade prenait parti en faveur de l’unité de l’Eglise réformée de France, qui se réalisera en 1938, la Brigadette ne put pas se satisfaire de ce qui lui apparaissait comme un compromis inacceptable. Réunis à Valréas en 1935, les deux équipes se sont expliquées et séparées. Ce fut un moment douloureux de rupture.

La Brigade continuera ses réunions jusqu’à la guerre, mais les départs de E. Champendal pour Genève en 1935, de H. Eberhard pour Lyon et de J. Cadier pour Montpellier amputent l’équipe locale malgré l’arrivée de J. Deransart et de G. Sabliet. La Brigadette, de son côté, poursuivra sa mission dans les Eglises réformées évangéliques jusqu’en 1991 (58e convention). La « fête de l’Evangile » a pris le relais à Saint-Hippolyte-du-Fort et à La Grand Combe.

La rupture n’empêchera pas que des hommes comme E. Champendal viennent à Alès et qu’en 1971, J. Cadier fasse de même pour écouter P. Marcel. Le comité de la convention s’ouvrit à ce brigadier et s’élargit à d’autres, ce dont je me suis réjouis.

Conclusion

La théologie du réveil a ses limites et ses dangers. Il est bon qu’elle invite à la décision, à la consécration et au service. Mais il ne faut pas oublier qu’on se décide, se consacre pour les autres et avec les autres pour être une pierre vivante insérée dans le mur de l’Eglise. Toute l’Eglise est chandelier d’or devant Dieu: c’est sa mission. Dieu la voit telle qu’elle est, telle qu’elle est appelée à être.

Pour ma part, je suis heureux d’être resté un trait d’union entre la Brigade et la Brigadette. A ma consécration, en janvier 1951, parmi les pasteurs consacrants se trouvaient Jean Cadier (Brigade) et Marc Perrier (Brigadette), qui nous ont conduits dans la prière. J’ai certes une prédisposition pour le réveil de type réformé. Avec Luther, toujours pécheur, toujours repentant, toujours pardonné. Avec Calvin, je crois à la souveraine liberté de Dieu. Et, aujourd’hui, je me veux témoin soucieux de la santé et de la croissance de la foi.

Soyons fermes sans être fermés. Soyons lucides, non aveuglés. Soyons des brigadiers sans être embrigadés; nous servant de tout sans être asservis à rien. La croix restera toujours notre jugement, notre pardon, notre unique espérance, car le crucifié est ressuscité, vivant à jamais.


*A. Berrus est pasteur à la retraite de l’Eglise réformée de France et président du conseil de la Faculté libre de théologie d’Aix-en-Provence.

1 [3] Les citations sont tirées du livre de J. Cadier Le matin vient (Les Bergers et les Mages) et de la brochure Les conventions chrétiennes de Gardonnenque et le réveil , écrite par B. Decorvet et P. Guelfucci.

2 [4] Dans la quatrième convention, après la déchirure de 1935 avec la Brigade, on revient à « La Bible », « La prière », « Que ton règne vienne », « L’Eglise conquérante » (en 1938, Munich). La huitième convention a lieu à Alès en 1941 (après deux années d’interruption): « L’Evangile éternel » (150 participants). « Tous un en Christ » (1942); « Ce que l’Esprit dit aux Eglises » (1943, 325 participants); « Toutes choses nouvelles »; « La vocation » (440 participants). On venait à Alès du Nord, du Midi, du Poitou, d’Alsace, de Lorraine. On pourrait aussi parler des conventions du Sud-Ouest; au Mas d’Azil (1943, 1944); à Montauban et aux Bordes-sur-Arize à partir de 194