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De l’actualité de la dîme

De l’actualité de la dîme

Dominique CHABRIÈRES*

La terre est à l’Eternel et tout ce qu’elle contient…
(Ps 24:1)

Chez les peuples de l’Antiquité, on constate un prélèvement de 10% sur les biens de la terre et l’affectation de ce produit au culte de la divinité ou à l’entretien de ceux qui la servent: prince et prêtre.

Rien ne permet de penser que cette offrande soit la conséquence d’une révélation divine faite aux premiers hommes; elle serait tout au plus le fait de la révélation générale. La dîme est donc d’institution humaine.

Pourquoi la dîme, un dixième? L’explication la plus simple et la plus plausible tient au fait que nous avons dix doigts, ce qui fait un ensemble complet, une totalité, une perfection! La fraction du dixième dans une société qui utilise le système décimal semble d’un usage facile.

L’Israélite fidèle donnait, nous allons le voir, au Temple, le dixième de ses revenus (des « revenus » et non pas du « capital »…). Dieu voulait que l’on reconnaisse ainsi ses droits sur toutes richesses confiées aux hommes. Adaptant ses exigences à l’état spirituel de son peuple, il fixa une fois pour toutes et uniformément la part qui devait lui être faite; on peut y voir une manière de pourvoir aux besoins du culte, mais plus profondément, un acte d’allégeance envers Dieu. Les juifs religieux continuent à verser la dîme.

Qu’y a-t-il derrière le mot « dîme »? Une simple coutume juive rendue caduque par la révélation de Jésus-Christ? Ou bien cette coutume serait-elle le signe d’une vérité beaucoup plus profonde, dont nous aurions un besoin urgent de retrouver le sens? Comme le disait Augustin, « derrière le sabbat charnel n’y a-t-il pas un sabbat spirituel? », et pour essayer de dégager le sens spirituel de la dîme, nous avons osé extrapoler: « derrière la dîme charnelle n’y a-t-il pas une dîme spirituelle »?

Il nous a donc semblé utile de considérer comment le sujet est abordé dans les textes bibliques fondateurs.

A) Les divers types de dîme

Deux types de dîme existent dans l’Ancien Testament: d’une part, « la dîme royale », la plus ancienne, avec les exemples d’Abraham et de Jacob; et, d’autre part, la dîme proprement dite que nous appelons « dîme du sanctuaire ».

Une synthèse de la Loi mosaïque sur la dîme montre clairement:

– la dimension légale de la dîme: elle appartient au Seigneur (Lv 27:30-33);

– son aspect sacerdotal: le livre des Nombres (18:8, 21-29) établit que les prêtres vivront des offrandes faites à Dieu par l’ensemble du peuple;

– et, enfin, son caractère sacré; dans le livre du Deutéronome (12:17; 14 :23; 26:12ss), Dieu promet de désigner le lieu unique du culte où il veut être adoré: dans un premier temps, devant le Tabernacle contenant l’Arche et les Tables de la Loi; puis, ultérieurement, à Jérusalem, au Temple.

La dîme est institutionnalisée et codifiée: les quatre dîmes, qui en fait ne sont que trois, et leur destination:

– La dîme lévitique versée aux lévites par le peuple six années sur sept, la septième étant l’année de repos de la terre et du peuple. Les lévites donnaient eux-mêmes la dîme de la dîme aux grands prêtres (la meilleure part).

– La dîme de réjouissance partagée par le « dîmeur » avec ceux de sa maison, le lévite et le pauvre devant le Seigneur: à Jérusalem.

– La dîme des pauvres due par tous sans exception, toutes les troisièmes années (deux fois en sept ans) au niveau local; elle est mangée avec les pauvres de l’endroit.

A une période de déclin spirituel, les Israélites négligèrent de s’acquitter des dîmes. Parmi les nombreux textes de l’Ancien Testament, nous pouvons indiquer Malachie 3:6-12, afin de montrer l’importance que ce prophète a donnée à la dîme et comment il a encouragé le peuple à revenir dans les voies de l’obéissance. Le contenu de ces versets interpelle très fort, en effet, quand Dieu dit: « …Mettez- moi à l’épreuve et vous verrez.… » C’est là la seule fois dans toute la Bible où il nous est permis, et même ordonné (le verbe est à l’impératif), de mettre Dieu à l’épreuve: et c’est au sujet de la dîme! Si les hommes se repentent et reviennent à Dieu, il reviendra à eux.

La dîme a changé peu à peu de signification:

– au début, elle est un acte de reconnaissance et une occasion de réjouissance pour celui qui la donne et pour ceux qui en bénéficient: à l’époque royale, elle est considérée comme un ordre de Dieu;

– après l’exil, elle est un moyen d’existence pour le personnel cultuel (moins de joie, de reconnaissance, de partage…) et elle permet de financer ce qui est nécessaire pour le culte; elle est un peu comme une taxe, une obligation.

Le commandement de la dîme se trouve répété sous des formes différentes, non seulement dans quatre des livres du Pentateuque, mais aussi dans les Prophètes. La fameuse loi de la dîme est vraiment inséparable du culte d’Israël. La Loi indique à Israël comment ne pas retourner en Egypte: en s’engageant dans une Alliance avec Dieu qui lui donne liberté et vie.

La dîme ne fait pas partie des lois sacrificielles ou cérémonielles! L’observance extérieure de ces lois, dont la signification intérieure demeure pour nous, est devenue caduque, selon la Parole de Dieu du Nouveau Testament, depuis « le sacrifice unique et parfait offert une fois pour toutes sur la croix par notre Seigneur Jésus-Christ ».

B) La dîme et le Nouveau Testament

Comment le Nouveau Testament et, plus particulièrement, Jésus reprennent-ils l’enseignement de la dîme?

Il convient, tout d’abord, de préciser que, dans le Nouveau Testament, la dîme se distingue de l’impôt. Le passage de Matthieu (12:14-17) traite des impôts directs et indirects.

Nous montrerons, ensuite, la place de la dîme dans le discours de Jésus dans les évangiles de Matthieu et de Luc:

Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! Parce que vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et que vous laissez ce qu’il y a de plus important dans la loi: le droit, la miséricorde et la fidélité; c’est là ce qu’il fallait pratiquer sans laisser de côté le reste. Conducteurs aveugles! Qui retenez au filtre le moucheron et qui avalez le chameau. (Mt 23:23-24)

Mais malheur à vous, pharisiens! parce que vous payez la dîme de la menthe, de la rue, et de toutes les plantes potagères, et que vous négligez la justice et l’amour de Dieu: c’est là ce qu’il fallait pratiquer sans omettre le reste. (Lc 11:42)

Jésus-Christ fait entendre cette même voix quand il s’adresse durement aux pharisiens qui, pourtant, plus que quiconque, ont essayé de vivre cet enseignement prophétique. Jésus ne s’oppose pas à l’Ancien Testament; il s’oppose au judaïsme de son temps, qui s’en éloignait peu à peu. Ce que veut Jésus, c’est re-former, revenir à l’authentique esprit juif, restaurer le sens originel de la Loi.

Le chrétien n’est plus soumis aux « lois rituelles et cérémonielles » de l’Ancien Testament; en revanche, il reste soumis à ce qu’on appelle, pour simplifier, ses « lois morales ». Il est, en général, relativement facile de distinguer, dans l’Ancien Testament, entre une loi cérémonielle (qui concerne les rites) et une loi morale (qui concerne l’attitude envers le prochain). C’est plus difficile en ce qui concerne la dîme: comment discerner ce qui est cérémoniel de ce qui est moral?

La Loi a sa place dans la nouvelle Alliance. La légalité n’est pas la loi; la légalité fait référence aux règles du jeu établi par un Etat et ses instances. La Loi fait référence à l’ordre fondamental donné par Dieu. Souvent on oppose légalité à loi; il en résulte une destruction légale de la loi et de l’ordre.

Jamais nous ne voyons Jésus déclarer vide de sens le sacrifice juif. Ce qu’il rejette expressément, c’est la conception de ceux qui estiment être quittes avec les exigences de Dieu par l’offrande d’un sacrifice.

Franck Michaëli commentait Matthieu 5 en ces mots:

Nous sommes sauvés en espérance, déchirés en nous-mêmes. A cause de cela, la Loi demeure valable pour nous en attendant le Royaume de Dieu. Seulement, cette Loi n’est plus un chemin vers le salut, mais partant du salut …

Cette notion est capitale pour bien comprendre, entre autres, le « petit commandement » de la dîme.

Pour Herman Ridderbos:

La prédication éthique de Jésus n’a pas d’autre fondement que la Loi en tant que révélation de la volonté de Dieu à Israël, au peuple de l’Alliance. Encore et encore, c’est la Loi et seulement la Loi dont le sens et l’intention constituent le sens et l’intention des commandements de Jésus.

Calvin a écrit: « La somme de la loi revient à aimer. » C’est un résumé magnifique! Nous pouvons donc dire: « L’amour est le résumé de la Loi; et un résumé n’annule pas le contenu de ce qu’il résume. »

Avec l’épître aux Hébreux1 [1], nous insistons sur l’importance de la dîme comme manifestation de foi et de fidélité. L’auteur de l’épître se contente de rappeler un fait connu, celui de la dîme prélevée par les fils de Lévi. Précisant que la législation leur attribue ce droit, il ne conteste pas la légitimité de cette disposition légale; il l’entérine plutôt, il la corrobore.

Les lois de Dieu sont écrites dans les pensées et sur les cœurs des croyants. Ce n’est pas cette volonté de Dieu qui est nouvelle, ni la Loi comme l’ordre de grâce et comme cadeau de Dieu à son peuple. Le nouvel aspect, c’est l’inauguration par Dieu de la nouvelle Alliance, le fait qu’il écrit sa Loi dans les cœurs de son peuple! C’était une prophétie en Jérémie, c’est accompli par le Christ Seigneur. Et maintenant, c’est Dieu-Esprit-Saint qui nous convainc dans notre cœur, et lui seul!

Avec Paul, nous prenons la mesure du don et de l’offrande. Paul ne parle pas de dix pour cent; mais, dans toute la Bible, la dîme est la seule indication quantitative de ce qu’il est convenable d’offrir à Dieu comme signe de reconnaissance de ce qu’il nous a tout donné… Toutes les ordonnances de l’Eternel au temps de la Loi nous fournissent des enseignements, comme nous le lisons en 1 Corinthiens 10:11: « Ces choses leur sont arrivées pour servir d’exemples et elles ont été écrites pour notre instruction à nous qui sommes parvenus à la fin des siècles. » Nous « instruire » signifie également nous « avertir ».

Paul nous instruit: « Le premier jour de la semaine, chacun mettra de côté chez lui ce qu’il aura réussi à épargner… » C’est une discipline que le chrétien doit savoir exercer sur son cœur et sur sa vie. Donner est un acte de consécration; donner doit se faire dans la joie et dans l’amour: c’est un retour à la pratique originelle de la dîme.

C) Conséquences

Quelles sont les conséquences théologiques, spirituelles et pratiques pour les chrétiens aujourd’hui?

i) Le Catéchisme de Heidelberg, à la question 91, définit les œuvres bonnes comme celles qui procèdent d’une vraie foi, qui sont faites à la gloire de Dieu, qui sont conformes à la Loi de Dieu; la foi, l’amour et la Loi vont ensemble dans le cœur du chrétien.

ii) Il faut mettre en évidence la « dimension spirituelle de dîme » par un parallèle entre sabbat et dîme (qui sont l’un et l’autre des « dons »). Dieu nous a donné ces ordres pour nous libérer de notre temps et de notre avoir.

iii) Il convient de rappeler la place de l’argent dans la vie en général et, plus précisément, dans la vie du chrétien.

iv) D’où la déduction suivante: enseigner la pratique de la dîme est une nécessité. Le témoignage que les chrétiens, leurs familles et les Eglises doivent au Seigneur et à son Evangile, c’est de vivre selon l’Evangile, cette loi d’amour, et de chercher à le faire connaître, à l’enseigner.

Il est bon de rappeler que les trois éléments constitutifs d’une religion sont: le sacrifice, le mystère et la prière. Toute vie religieuse équilibrée et fervente offrira, adorera et priera. Sinon elle est atteinte de carence et se dégrade. La valeur religieuse du sacrifice et sa nécessité sont donc essentielles dans la vie du croyant. Le sacrifice préserve la noblesse de l’homme, sa dignité… il est libératoire en ce sens qu’il aide à offrir sans cesse et à abandonner, c’est une obéissance libre, c’est l’arme d’un mystérieux combat contre la mort, pour la vie. (« Si le grain ne meurt, il reste seul. S’il meurt, il porte beaucoup de fruits. »)

Conclusion

Sommes-nous liés, à la fin du XXe siècle, par la loi de Moïse? Ou bien le Seigneur nous en a-t-il libérés? La dîme n’était-elle que pour les juifs d’autrefois? La dîme, un ordre du Seigneur? Pour les siens? Aujourd’hui?

A ces questions, nous répondons que le commandement de la dîme est une loi morale toujours actuelle pour le peuple de Dieu. Bien comprise, la dîme est une libération: l’offrande, comme le sabbat, nous ouvre à Dieu et nous permet de trouver le vrai sens de la vie avec lui.

Tous ceux qui ont osé suivre cette loi ont expérimenté que Dieu tient sa promesse. La dîme est une manifestation de notre fidélité, de notre reconnaissance, de notre amour pour Dieu.

Dieu bénit toujours d’une manière ou d’une autre ceux qui commencent à marcher dans sa Loi. « Dîmer » implique aussi la reconnaissance de celui qui reçoit, qui va récompenser et même bénir!

Nous n’offrons pas à Dieu pour qu’il nous soit redevable de quelque chose, en contrepartie de notre libéralité. En donnant, nous reconnaissons simplement et selon sa Parole, que nous devons tout à Dieu, les dix dixièmes de ce que nous avons. Autrement dit, verser la dîme est la façon biblique de dire merci à Dieu pour tout ce qu’il nous a donné. Nous reconnaissons de cette manière qu’il est El Elyon, le Dieu Très Haut, possesseur des cieux et de la terre, le dispensateur de toutes les bénédictions spirituelles ou matérielles.

+ + +

Des implications existent pour l’Eglise, à savoir recommencer à enseigner la pratique de la dîme comme celle du sabbat, dès l’école du dimanche et le catéchisme, de manière à ce que les fidèles sachent:

– ce qu’ils ont à faire, connaissant la pensée du Seigneur sur ce sujet important, et qu’ils puissent agir selon leur cœur et leur amour pour lui;

– qu’ils connaissent la joie de l’oblation de leur temps, le sabbat; l’oblation de leur avoir, la dîme, et l’oblation d’eux-mêmes (que l’orgueil et l’égoïsme soient arrachés des cœurs pour faire place à l’amour!);

– qu’ils connaissent la joie d’un culte équilibré entre l’offrande, l’adoration et la prière;

– et qu’ils connaissent les bénédictions qui en découlent: l’une d’elles ne serait-elle pas une Eglise en bonne santé qui permette la progression de l’œuvre de Dieu, avec des fidèles qui, suivant l’enseignement de Paul, demandent la grâce de donner, d’offrir au Seigneur afin d’être des témoins de son amour?


*D. Chabrières, ancienne étudiante de la Faculté libre de théologie d’Aix-en-Provence, y a soutenu son mémoire de maîtrise en sciences religieuses en 1998. Cet article en présente l’argument.

1 [2] Hb 7:2, 4, 6, 8, 9.

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