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L’Ascension

L’Ascension

Gérald BRAY*

L’ascension de Jésus-Christ, quarante jours après sa résurrection, est l’événement le plus inexplicable de la Bible. Les personnes qui veulent nier la résurrection peuvent toujours trouver une raison pour mettre en doute les témoignages bibliques, même si leurs explications ne sont pas convaincantes. Il leur est tout aussi facile d’écarter la naissance virginale du Christ comme étant une simple légende. Il n’en va pas de même pour l’Ascension. Il peut sembler plausible de soutenir que les apparitions de Jésus après la résurrection n’étaient que des hallucinations de disciples en état de choc. Ce qui est moins facile à expliquer, c’est pourquoi cette période s’est terminée de manière aussi abrupte. S’il s’était vraiment agi d’hallucinations, celles-ci n’auraient cessé qu’au bout d’un certain temps. Et si les disciples avaient été réellement convaincus de leur authenticité et avaient essayé de s’expliquer, il est probable qu’ils auraient soutenu que Jésus était encore présent quelque part et qu’il risquait de réapparaître à tout moment, comme il l’avait fait dans la chambre haute.

Certains théologiens, qui se focalisent sur « l’événement de Pâques » et sur l’état d’esprit postpascal de l’Eglise et soutiennent que le Jésus connu des disciples sur la terre est devenu le Christ dans la gloire, considèrent l’ascension comme un détail ennuyeux et s’efforcent de l’ignorer. Pour eux, Christ a été exalté à la résurrection, même si la Bible ne le dit pas du tout. Dans l’Ecriture, Christ est exalté deux fois: lors de la crucifixion et de l’ascension, mais pas lors de la résurrection! La Bible précise avec insistance qu’il y a eu une période intermédiaire entre les deux événements; c’est ce qui nous empêche de dire que la résurrection a été le dernier acte du drame de la rédemption de l’homme.

L’existence de cette période intermédiaire soulève certaines difficultés que les chrétiens « évangéliques » ont été lents à reconnaître. Pourquoi la résurrection corporelle de Jésus n’a-t-elle pas été le mot de la fin? Pourquoi était-il nécessaire que son corps soit exalté le jour de l’Ascension, et pourquoi fallait-il attendre quarante jours? Ensuite, qu’est-il advenu du corps une fois élevé? Est-il devenu esprit, ou est-il toujours présent quelque part au ciel, ou bien dans l’espace? N’aurait-il pas été préférable que Jésus reste sur terre dans son corps ressuscité et soit un témoignage vivant de son oeuvre de salut sur la croix? Pensez combien cela aurait été spectaculaire si un évangéliste avait pu produire le Christ ressuscité comme argument ultime dans sa présentation de l’Evangile! Il est vrai que ces questions ne sont pas souvent posées car, de nos jours, les chrétiens préfèrent les ignorer. Mais si nous décidons de les considérer, les problèmes sont évidents et nous contraignent à leur trouver une solution.

Les Ecritures, du moins à première vue, fournissent très peu de données. Les Evangiles ne disent quasiment rien de l’Ascension, bien que tous évoquent les apparitions et l’enseignement de Jésus après la résurrection. Seul, Jean va plus loin, quoique cela ne soit pas dans le récit des derniers chapitres, mais dans les discours des chapitres 14 à 16, où nous entrevoyons ce qui va se passer. Jésus dit à ses disciples qu’il doit retourner auprès du Père, et que ce sera seulement alors que le Saint-Esprit pourra venir. Il n’indique pas comment il s’en ira, et rien ne permet d’imaginer qu’il s’agira d’une ascension.

Un seul verset dans les Actes raconte l’événement, et Luc donne l’impression, comme les autres évangélistes, que c’est la seconde venue du Christ – « de la même manière » – qui retient le plus son attention. Paul est le seul apôtre qui semble avoir considéré sérieusement l’Ascension comme étant un événement ayant une signification théologique propre; cependant, même lui ne manque pas de l’associer étroitement à la Pentecôte (Ep 4:8-10). L’Apocalypse suppose que l’Ascension a déjà eu lieu, et d’ailleurs sans elle son message aurait été impossible; cependant, on ne peut pas dire que Jean se penche longuement sur le sujet comme s’il lui accordait une signification d’importance en lui-même.

Comment faut-il interpréter l’apparente réticence des Ecritures à accorder à l’Ascension du Christ une place centrale dans son enseignement? Si cet événement est étroitement lié à ce qui l’a précédé et suivi, peut-on en déduire que l’Ascension n’a pas une grande importance en elle-même? Là il faut faire très attention. L’Eglise primitive a jugé l’Ascension suffisamment importante pour la faire figurer dans le Credo – « il est monté au ciel ». Le fait qu’elle n’est pas évoquée très souvent ne signifie pas qu’elle ait peu d’importance. On pourrait en dire autant d’autres doctrines, comme la chute de l’homme, par exemple, alors que toute l’histoire de la rédemption découle de ce seul événement! L’Ascension ne peut pas être isolée de son contexte, mais elle a une signification qui va bien au-delà de l’apparence et qui lui confère le droit de réclamer notre attention.

L’ascension du Christ est présentée dans l’Ecriture comme le point culminant du témoignage postpascal de Jésus. Cette période de quarante jours a une grande importance symbolique. Au début de son ministère, Jésus a passé quarante jours à combattre les tentations de Satan; aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à trouver une période semblable à la fin de sa vie terrestre pour consolider sa victoire. Ensuite, il ne faudrait pas non plus oublier les quarante années d’épreuves endurées par Israël avant d’entrer dans la Terre promise. Si le ciel est le but auquel nous aspirons en tant que chrétiens, cette période de préparation, qui rappelle l’expérience des Juifs dans l’Ancien Testament, n’est sûrement pas sans signification pour nous. Mais il ne faut pas aller trop loin, même s’il y a des raisons de croire que cette période de quarante jours a été un temps d’épreuve et d’engagement pour les disciples.

En particulier, il est certain que c’est pendant cette période que les grandes lignes de l’enseignement que Jésus leur avait dispensé avant la résurrection sont devenues claires pour eux. Il est exclu de penser que les disciples n’ont accédé à une foi mûre qu’après la Pentecôte, si important que soit cet événement. L’Esprit leur a conféré puissance et conviction, mais pas un message nouveau ou approfondi. Le message que Jésus leur a donné avant son ascension est le commandement d’évangéliser et de baptiser les nations (Mt 28:19-20). C’est en cela que l’Ascension est le point culminant de l’enseignement terrestre de Jésus, le parachèvement de son message.

En même temps, il faut veiller à ne pas fausser la signification de tout cela. Si à l’Ascension le message de Jésus est complet, son oeuvre ne l’est pas pour autant. Il est même permis de soutenir qu’elle marque le début de son oeuvre, du moins comme elle nous concerne aujourd’hui. Il est bien vrai que la grande oeuvre de réconciliation du Christ a été accomplie sur la croix. Il est vrai aussi que la résurrection signifie que la mort a été vaincue et la vie éternelle accordée à ceux qui croient. Mais en elles-mêmes, ces choses ne sont pas complètes. L’oeuvre que Christ a accomplie nous concernait, mais pas simplement pour provoquer notre foi. Jésus a montré ses blessures à Thomas et aux autres, non pour signifier son triomphe, mais pour réprimander leur incrédulité.

Ces notions de satisfaction et de triomphe ne peuvent être comprises qu’en relation avec le Père, qui a envoyé son Fils dans le monde pour accomplir ses actes puissants. C’est seulement après être remonté victorieux auprès de son Père qu’il est possible de dire que Christ a pleinement accompli sa tâche. En citant le Psaume 68, Paul nous le dit comme explication de ce qui est arrivé à l’Ascension, Jésus a « emmené la captivité captive » ou « emmené une multitude captive », sous-entendant que cela n’avait pas été fait auparavant. Les captifs avaient été pris parce que le péché avait été payé et la mort détruite, mais ils n’avaient pas encore été emmenés.

Cet aspect supplémentaire n’est pas un simple détail à prendre ou à laisser. Le fait pour l’Eglise d’avoir négligé de dispenser cet enseignement explique que de nombreux chrétiens, tout en ayant entendu parler du pardon des péchés, ignorent cette vérité vitale. Dieu ne se limite pas à nous pardonner; il éloigne nos péchés de lui, aussi loin que l’est se trouve distant de l’ouest. Nos péchés ne sont pas détruits au point que nous puissions prétendre être parfaits, car Christ se tient toujours à la droite du Père pour intercéder pour nous. Mais ils sont cachés dans les profondeurs de l’amour miséricordieux du Père. Leur contemplation ne peut plus nous laisser envahir par le désespoir. Si, en tant que chrétiens, nous nous inquiétons de nos péchés, si nous sommes tentés de les déterrer et de les contempler avec une fascination morbide, nous ne trouverons rien, ni personne, si ce n’est le Christ. Nos péchés sont cachés avec lui en Dieu, et plus jamais ils ne referont surface pour nous troubler.

Combien cette vérité est importante et nécessaire pour calmer l’anxiété et donner aux croyants l’assurance qu’ils ont réellement été pardonnés! Ce n’est pas à nous que Christ présente ses blessures pour nous rappeler le mal que nous avons fait, mais au Père pour lui demander sa miséricorde pour nous. Jésus a emmené sa réconciliation au ciel afin d’être notre médiateur éternel. La croix n’est pas seulement un événement historique; elle est une oeuvre du Christ qui demeure une réalité présente dans les lieux célestes. Son sang est pour toujours le sacrifice pour le péché offert à Dieu le Père pour l’éternité. Aussi l’enseignement qui voit dans la messe un sacrifice répété est-il faux. L’idée que le sacrifice doit devenir « réel » pour nous est juste, mais pas de la bonne façon. Le sacrifice céleste ne descend pas sur terre comme dans une sorte de réincarnation (la transsubstantiation revient à cela); c’est l’Eglise terrestre qui doit monter jusque dans les lieux célestes, où nous sommes assis avec le Christ (Ep 2:6).

C’est à Augustin (354-430) que revient l’honneur d’avoir bien fait ressortir le fait que, lors de l’Ascension, le corps de Christ est retourné auprès du Père. De nos jours, cette image est souvent évoquée, en particulier à propos de la communion fraternelle. L’analogie que Paul établit en 1 Corinthiens 12 est poussée au point de devenir toute une ecclésiologie. L’oecuménisme a essayé d’expliquer que les différentes dénominations et positions théologiques représentaient les différentes parties du Corps unique, l’Eglise visible. Chaque partie se distingue des autres, et ne peut représenter à elle seule le corps entier. La tâche oecuménique consiste à reconstruire le tout, de telle sorte que chaque partie soit reconnue à sa juste valeur et place.

Les « évangéliques » n’acceptent pas cette ecclésiologie parce que, pour eux comme pour Augustin, le Corps de Christ est monté au ciel. Il est devenu invisible, une réalité spirituelle qui, pour utiliser les paroles du Livre de la prière commune en usage dans les Eglises anglicanes, « un corps mystique… la compagnie bénie de tous les fidèles ». Aussi faut-il réfuter la doctrine désastreuse qui soutient que l’Eglise visible est le Corps du Christ.

Au niveau personnel, l’Ascension garantit que notre humanité a été rachetée, ou « assumée en Dieu », selon les paroles du Symbole d’Athanase. A une époque où la vie humaine a peu de valeur, où les gens se suicident en grand nombre parce que leur vie n’a pas de sens, il est important de se souvenir que Dieu a un projet pour notre humanité, qui ne sera pleinement réalisé que lorsque nos corps ressuscités seront unis au sien au ciel.

Dans ce domaine, les chrétiens ont tendance à faire l’une ou l’autre de deux erreurs opposées. Soit ils rejettent la vie sur terre, préférant en attendre la fin, soit ils essaient de réaliser la perfection ici-bas, dans une espèce d’utopie sociale. A la lumière de la glorieuse ascension, ces deux tendances sont mises en échec et réorientées. La valeur des réalités terrestres est mieux perçue à la lumière de l’espérance d’un accomplissement éternel. Nous qui suivons le Christ, nous aspirons à occuper la place qu’il est allé nous préparer (Jn 14:2). Nos yeux ont été ouverts sur les réalités célestes. Le but de notre vie sur terre est clair. L’ascension du Christ est le lien entre le temps et l’éternité, la garantie de notre salut. Nous sommes en communion avec lui dès maintenant et à jamais.

* Gérald Bray est professeur d’histoire de l’Eglise à la Samford University (Birmingham, Alabama, Etats-Unis). Il est l’auteur de The Doctrine of God (Leicester: IVP, 1993) et, plus récemment, d’un ouvrage magistral, Biblical Interpretation Past and Present (Leicester: Apollos, 1996). Ce texte a été traduit de Evangel, la revue de la Rutherford House (Edimbourg, avril 1983), par Alison Wells